Jean-Marc Jancovici, polytechnicien, ingénieur, professeur d’énergétique à Mines-ParisTech et conseiller en énergétique de grandes entreprises, était l’invité de Guillaume Erner sur « France culture » le 7 novembre dernier (https://www.youtube.com/watch?v=lBox1k1bFxs). L’échange a été vif et la très mauvaise opinion que Jancovici a de la caste journalistique était palpable.
J.M. Jancovici était venu pour débattre de la question énergétique sur le fond mais le journaliste de France Culture a immédiatement orienté le débat sur la dangerosité de l’industrie nucléaire dont Jancovici dit depuis de nombreuses années qu’elle n’est pas confirmée par l’expérience, ce qui a le don d’exaspérer les journalistes, lesquels croient en général que le captage des énergies éolienne et solaire, lesquelles représentent actuellement moins de 1% de l’énergie consommée dans le monde, pourront remplacer les énergies fossile (et le nucléaire) et permettre ainsi de créer une économie dont la croissance, verte, serait infinie, hypothèse que notre polytechnicien a réduit à néant.
Il a rappelé, ce qu’il fait dans toutes ses conférences, que l’énergie n’était pas qu’une ligne de dépenses ou de recettes dans les comptabilités nationales mais le fondement sur lequel repose toute notre civilisation industrielle et consumériste. Contrairement à ce que pensent beaucoup de nos contemporains, notre civilisation d’abondance ne doit pas son existence à la seule avancée des connaissances scientifiques et technologiques; elle n’a pu se développer que grâce à l’existence de ressources énergétiques fossiles dont l’extraction n’exigeait que peu de moyens (les inventions des ingénieurs n’ont pu être mises au service de la production de masse que parce qu’il y avait des ressources énergétiques fossiles). Il n’est donc pas étonnant que ce soit aux Etats-Unis, un pays regorgeant d’énergies fossiles où commença, en 1859, l’extraction d’un pétrole qui était presque à fleur de sol, que cette civilisation prit véritablement son envol bien que la grande majorité des scientifiques et des ingénieurs de talent fussent alors européens. Ce n’est pas un hasard si le niveau de vie est encore très élevé aux Etats-Unis ; ce pays possède beaucoup de matières énergétiques, ce qui est bien plus important que toutes les théories économiques. Tout ce que notre civilisation a permis depuis 150 ans (nourriture abondante, systèmes de santé, raccourcissement du temps de travail, vacances, systèmes de sécurité sociale et de retraite…..), nous le devons à l’existence de sources d’énergie à très bon marché (1 kwh produit par un terrassier payé au SMIC coûte 140 € hors cotisations sociales tandis qu’un kwh produit par un groupe électrogène fonctionnant au fuel ne coûte que 0,25 €, taxes et amortissement du matériel inclus ! Le fuel ne coûte vraiment pas cher ! ). Tout se passe comme si, grâce aux énergies fossiles, chacun d’entre nous disposait, en France, en moyenne, de 750 esclaves. Par comparaison, une très riche (pour l’époque) propriétaire de plantations et d’usines à sucre de la Réunion possédaient 400 esclaves vers 1830.
Les choses sont en train de changer puisque les nouveaux gisements d’énergies fossiles sont de plus en plus modestes et d’un accès de plus en plus difficile ; de ce fait, nous sommes entrés dans un goulot d’étranglement de la croissance économique mondiale dont nous ne pourrions sortir que par l’utilisation de nouvelles sources d’énergies qui ne seraient pas intermittentes.
Le problème que pose les énergies éolienne et solaire est en effet leur intermittence (10% d’équivalent temps de fonctionnement à pleine puissance pour le solaire et 22% pour l’éolien, en France) ce qui implique que si on veut les utiliser pour produire à l’avenir la quasi totalité de l’énergie dont nous avons besoin, il faudra créer des capacités de stockage (électrique mais surtout hydraulique) qui coûteront extrêmement cher (ce coût n’est jamais pris en compte par les partisans de ces moyens de production) et enlaidiront gravement les régions côtières (c’est près des côtes qu’il y a de l’eau disponible ; les réserves montagnardes sont déjà toutes exploitées, en France). Selon les calculs de Jancovici, le coût de ces capacités de stockage provoquerait une augmentation considérable du prix de l’électricité : d’un facteur 10 (la facture d’électricité moyenne et annuelle d’un foyer passerait ainsi de 1000 à 10000 € ! ).
Sur le graphique ci-dessus sont représentées les évolutions des croissances du PIB mondial (GDP en bleu) et de la consommation d’énergie (en vert). La croissance de la consommation d’énergie diminue depuis plus de 50 ans, ce qui traduit la raréfaction des matières énergétiques fossiles facilement extractibles. La pente de la croissance du PIB mondial est très proche de celle de la consommation mondiale d’énergie. La croissance mondiale du PIB est toujours positive mais elle tend inexorablement vers 0 et deviendra ensuite négative ; nous entrerons alors dans une période de décroissance, contraints et forcés ! Les économistes (et encore moins les politiciens) n’abordent jamais ce sujet ; ils semblent continuer de penser comme Jean-Baptiste Say que les ressources naturelles ne doivent pas être prises en compte puisqu’elles sont inépuisables ! Ce qui pouvait sembler exact en 1803, ne peut plus l’être aujourd’hui.
En France, la consommation d’énergie primaire est passée par un maximum en 2008 (267 Mtep), elle était de 224 Mtep en 1990 et de 244 Mtep en 2016 ( 9% de moins qu’en 2008). La situation est la même au niveau mondial. En fait, le tassement de la croissance reflète une réalité physique (des découvertes ou mises en exploitation de sources d’énergie nouvelles, comme le gaz de roches mères aux Etats-Unis, permettent à certains pays de souffler un peu mais ce n’est que très provisoire), ce que les politiciens et les économistes ont visiblement du mal à intégrer.
Lors d’une conférence prononcée à Sciences Po Paris le 30 août dernier, Jean-Marc Jancovici avait dit que quoi que nous fassions, tout ce qui peut être brûlé sur cette terre le sera, notamment le charbon dont les Chinois ont montré qu’il permettait de sortir les populations de la pauvreté. Désormais, tous les pays pauvres qui disposent de charbon envisagent de suivre l’exemple chinois (la Chine possède près de la moitié des centrales à charbon et la puissance totale de ses centrales à charbon va augmenter de 30% d’ici à 2030). Que la théorie du GIEC soit fondée ou non importe finalement peu parce que l’humanité va continuer à rejeter de plus en plus de CO2 (les rejets de CO2 n’ont jamais cessé d’augmenter depuis la première COP qui eut lieu en 1995) quoi que nous fassions en Europe. En fait, c’est la pénurie de combustibles fossiles qui provoquera une réduction des dits rejets.
Notre problème est celui de la pénurie d’énergie fossile à bon marché, laquelle se profile à l’horizon. Jancovici pense que seule l’énergie nucléaire sera en mesure d’amortir la décroissance future (le GIEC a, quant à lui, émis le souhait d’un quintuplement de la production d’énergie nucléaire pour réduire les émissions de CO2). Par contre, il ne pense pas que nous parviendrons à domestiquer la fusion nucléaire mais certains experts pensent le contraire ; nous ne saurons à quoi nous en tenir sur ce dernier sujet qu’à la fin du siècle. La maîtrise de la fusion nucléaire remettrait tout en cause en matière d’approvisionnement énergétique.
Il reste, pour l’instant, à explorer la faisabilité de la filière « thorium » ; les 10000 tonnes de thorium qui sont stockées en France pourraient nous permettre de couvrir nos besoins en électricité pendant plus de 200 ans et, de plus, nous en possédons des réserves naturelles en France métropolitaine. Les Chinois ont repris les études sur cette filière nucléaire (centrales dites à sels fondus qui présentent beaucoup moins de risques que les centrales actuelles à eau pressurisée) que les Américains avaient abandonnées à la fin des années 1950 parce qu’ils avaient besoin de matières premières issues de l’uranium pour fabriquer leurs bombes atomiques. Affaire à suivre donc. Autre solution, pour nous qui disposons de 300000 tonnes d’uranium appauvri (lesquelles permettraient une couverture de nos besoins nationaux d’électricité pendant 5000 ans), les centrales de quatrième génération mais le projet du surgénérateur ASTRID a été arrêté en 2019 ; la reprise des travaux est envisagée pour la deuxième moitié de ce siècle.
L’énergie est un élément essentiel de notre avenir, puisque notre mode de vie est directement lié à la quantité d’énergie consommée. Faire croire à nos compatriotes qu’ils pourront continuer de vivre comme aujourd’hui sans rejeter de CO2 et sans utiliser de centrales nucléaires grâce à l’énergie éolienne comme le font la plupart des journalistes et des politiciens est irresponsable. Il va nous falloir faire un choix difficile entre une décroissance contrainte et forcée, une décroissance acceptée et maîtrisée grâce à une utilisation mesurée du nucléaire ou la mise en œuvre d’une politique nucléaire audacieuse. Mais au-delà de l’énergie, les problèmes liés à la raréfaction de nombreuses ressources naturelles et à la dégradation généralisée de l’environnement posent le problème plus large de la viabilité de la civilisation de consommation. 54% des Français ont déclaré lors d’un récent sondage Odoxa qu’ils pensent qu’ « il va nous falloir changer fondamentalement notre mode de vie, nos déplacements et réduire drastiquement notre consommation ». Nos compatriotes seraient-ils plus sages et plus clairvoyants que nos politiciens ? http://www.odoxa.fr/sondage/barometre-economique-doctobre-francais-plus-ecolos-jamais/
Je me prépare à la décroissance et plaide pour une limitation des naissances dans le monde
Merci M Jancovici