Hétérogénéité ethnique et lien social

Au cours du débat du 17 octobre 2019 (C News) entre Eric Zemmour et Denis  Olivennes, le premier a insisté sur le fait que l’hétérogénéité des sociétés nuit gravement à la solidarité sociale ; on peut ajouter qu’elle nuit aussi à la démocratie parce qu’elle provoque une baisse de la participation civique

Le célèbre sociologue étatsunien Robert Putnam a étudié les effets de l’hétérogénéité ethnique sur le niveau de la confiance que les membres d’une société s’accordent les uns aux autres . Sa conclusion, qui provoqua un séisme dans le monde des ‘’liberals’’ (auquel Putnam appartient d’ailleurs)  est sans appel : l’hétérogénéité ethnique provoque un abaissement important du niveau de confiance entre les membres de la société considérée. Cette conclusion a été vérifiée par une équipe d’universitaires danois qui a analysé un vaste ensemble de travaux relatifs à la confiance. Cette étude, intitulée «Diversité ethnique et confiance sociale: une analyse narrative et méta-analytique », a été menée par Peter Thisted Dinesen et Merlin Schaeffer de l’Université de Copenhague et par Kim Mannemar Sønderskov de l’Université d’Aarhus. Cette équipe de chercheurs danois a fait une analyse de 1 001 estimations issues de 87 études scientifiques sur le rapport entre la diversité ethnique et la confiance dans nos sociétés. Elle conclut qu’un excès de diversité a un impact négatif sur la confiance entre les individus. Or, ce lien de confiance est à l’origine du pacte social selon Emile Poulat, historien des religions et sociologue : « Sans confiance, la vie en société est impossible », rappelait-il dans un entretien publié par Le Monde en 2013.

Par ailleurs, deux professeurs d’économie de l’université de Harvard, Alberto Alesina et Edward Glaeser, ont étudié les effets de l’hétérogénéité ethnique sur les choix opérés en matière de redistribution sociale (« Combattre les inégalités et la pauvreté » – Flammarion – 2006) et leurs conclusions sont claires : ‘’les divisions raciales américaines freinent le mouvement vers l’Etat-providence’’.

’Quand on examine la charité privée, les Américains sont bien plus généreux que les Européens. Comme nous le verrons plus loin, l’écart ne nous paraît pas lié à des règles de déductibilité fiscale, mais il se pourrait que les Européens, se sentant lourdement imposés, soient moins incités à la charité. Les Américains sont aussi beaucoup plus portés que les Européens à participer à des activités sociales dans un cadre associatif, ce qui met à mal la thèse de leur individualisme acharné. Cette hypothèse est intéressante : peut-être les Américains préfèrent-ils la charité privée à la redistribution publique parce qu’ils peuvent ainsi choisir les bénéficiaires. Si l’on constate une aversion pour la redistribution par l’Etat aux Etats-Unis, ce ne serait donc pas parce que les Américains seraient globalement avares, mais parce qu’ils n’auraient guère envie d’aider certains Américains défavorisés. Peut-être le fait qu’ils n’aiment pas les transferts publics vient de ce qu’ils préfèrent (comme beaucoup) donner de l’argent à des gens de leur propre race, religion ou ethnie’’.

’Selon les modèles classiques de l’altruisme de Trivers et d’autres auteurs, on se montre moins altruiste à l’égard de ceux avec lesquels on a moins de gènes en commun. Ce qui suggère que les contribuables seront automatiquement plus favorables aux dépenses sociales quand les prestations vont à des gens qui leur ressemblent physiquement et socialement. C’est un point de vue qui, malheureusement, ne donne guère de raisons d’être optimiste sur les comportements en la matière’’.

’Globalement, ces résultats suggèrent l’importance du facteur racial. On est plutôt favorable aux dépenses sociales quand on vit à proximité de récipiendaires de sa propre race, auxquels on peut probablement s’identifier. Mais la proximité de récipiendaires d’une autre race accroît l’antipathie pour l’Etat-providence. C’est à notre avis l’une des preuves les plus fortes qui suggèrent que l’opposition aux dépenses sociales est liée à la race de ceux qui en bénéficient’’.

’La nouvelle hétérogénéité de l’Europe, fondée sur l’immigration, pourrait finir par la pousser vers des niveaux de redistribution plus proches de ceux des Etats-Unis’’. C’est cette crainte, alimentée par les livres et articles d’Alesina et Graeber, qui a convaincu le parti social-démocrate danois de la nocivité d’une immigration qui met en péril le modèle social de leur pays. Pour les deux économistes, il est évident que si les niveaux de redistribution sont beaucoup plus faibles aux Etats-Unis qu’en Europe et si le socialisme et le communisme ne s’y sont pas développés cela tient à l’histoire multiethnique des USA.

Les auteurs n’hésitent pas à donner une explication de leurs constats qui serait perçue comme iconoclaste en Europe : ‘’L’interprétation la plus simple de ces faits est que les êtres humains sont moins portés à sympathiser avec ceux qui ne leur ressemblent pas. Cette idée peut laisser prévoir que les électeurs ressentiront de la sympathie pour une mère célibataire pauvre avec deux enfants qui aura leur couleur de peau, mais que dès qu’elle en aura une autre leur compassion baissera considérablement. Il existe effectivement des données importantes qui tendent à prouver que le degré de sympathie ou de confiance est moindre pour les personnes d’une autre race’’.

Par ailleurs, Alesina et LaFerrara ont montré que « la participation civique baisse dans les collectivités où l’hétérogénéité augmente » et Glaeser et alia indiquent que ‘’ les individus sont plus portés à la malhonnêteté aux dépens de gens d’une race différente. Un riche corpus de travaux psychologiques atteste l’impact important que peut avoir la race sur la sympathie et l’affection’’. Alesina et Graeber écrivent : ‘’Un vaste corpus de témoignages et d’enquêtes montre que les individus sont plus généreux envers les membres de leur propre groupe ethnique ou racial qu’envers les autres’’.

Selon Alesina et Graeber,’’les différences euro-américaines ont plus à voir avec les clivages raciaux qu’avec de profondes différences culturelles’’.

Contrairement à toutes les assertions des partisans des sociétés multiethniques qui affirment, sans jamais l’avoir démontré, que la diversité est forcément un enrichissement, ce qui ressort de ces différentes études est que la diversité fragilise gravement les sociétés en affaiblissant la confiance et donc le lien social. De plus, l’intrusion de populations portant des cultures très différentes de celles des natifs provoque la formation, à partir d’un certain seuil de densité, de communautés ethniques allogènes indifférentes, voire hostiles, aux cultures autochtones occidentales. Nous savons que les pays ayant une très grande homogénéité ethnique (les pays scandinaves notamment jusqu’aux années 2000) sont ceux dans lesquels la solidarité nationale et la pratique démocratique sont les plus affirmées. A contrario, les pays hétérogènes d’un point de vue ethnique (Brésil, Etats-Unis…) pratiquent une faible redistribution des richesses ce qui génère de très grands écarts de richesses ; de plus, leurs démocraties sont poussives et marquées par des taux de participation très faibles aux élections.

Les Etats dont la population est très hétérogène, ne serait-ce que du seul point de vue religieux comme le Liban et la Syrie, ne parviennent tout simplement pas à créer des institutions démocratiques stables ; ils semblent voués à la dictature de certains groupes ethniques sur les autres. Plus proche de nous, l’Empire d’Autriche-Hongrie qui était lui aussi multiethnique n’a jamais réussi à satisfaire simultanément les aspirations des différents peuples assujettis (on parlait à son sujet de « prison des peuples ») et a fini par exploser en déclenchant la première guerre mondiale. Quant à l’Union Européenne, n’est-elle pas, elle aussi, en train de devenir une « prison des peuples » ?

Barack Obama a déclaré récemment que les élites occidentales s’étaient sans doute trompées parce que les peuples semblent préférer vivre dans des espaces relativement fermés plutôt que dans des zones ouvertes aux flux migratoires. Les yeux des uns et des autres seraient-ils, enfin, en train de se dessiller ?

BG
Author: BG

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