Le génocide des Vendéens ou le vrai visage du robespierrisme

Utiliser le mot « génocide » au sujet des massacres de Vendée n’est pas anachronique

Jacques Villemain, qui est juriste et diplomate, a été en poste à La Haye auprès du tribunal pénal international ; il a publié en 2020 un ouvrage très volumineux et très dense qui est consacré au génocide des Vendéens (« Génocide en Vendée – 1793/1794 »- Editions Cerf). Dans cet ouvrage l’auteur analyse les événements de Vendée sous un angle juridique, ce qui n’est pas aberrant puisque la notion de génocide est une notion juridique.

Depuis la publication de l’ouvrage de Reynald Sécher « Le génocide franco-français » en 1986, le mot génocide a suscité une polémique intarissable. Les néo-robespierristes ont essayé  de démontré que ce terme ne pouvait pas être employé au sujet des événements de Vendée de 1793-1794 pour cause d’anachronisme. Or le mot génocide a été défini et adopté par les instances juridiques internationales en 1948, c’est-à-dire après le procès de Nuremberg et donc après le massacre des Juifs d’Europe qui est pourtant qualifié de génocide depuis 1948.

Le terme « génocide » désigne, selon la Convention de 1948, l’extermination totale ou partielle d’un groupe qui peut être national, racial, ethnique ou religieux mais qui peut aussi être défini arbitrairement par les persécuteurs eux-mêmes. La population de Vendée  fut définie par les révolutionnaires comme une « race » dégénérée  du fait d’une longue soumission au clergé et à la noblesse. Les révolutionnaires (dont Le Peletier, Robespierre, Condorcet….) croyaient à la transmission des caractères acquis et ils pensèrent que les membres de cette « race impure » (Barère et Billaud-Varenne), qui fut aussi qualifiée de mauvaise, infernale et abominable par les exterminateurs, étaient irrécupérables ; ils auraient été en quelque sorte « abâtardis » par la soumission et par la « propagande » religieuse et cet « abâtardissement » aurait fini par se transmettre naturellement de génération en génération !

Les admirateurs de Robespierre et consorts ont prétendu depuis toujours que les massacres de Vendée furent la conséquence des « dérapages » incontrôlés de certains généraux engagés dans la répression du soulèvement vendéen, ‘’or cet argument ne vaut rien’’ (page 191). Ainsi, Jean-Clément Martin a-t-il écrit ‘’Inutile de chercher une volonté génocidaire là où les crimes de guerre ont été permis par une absence de pouvoir’’. Et cet historien insiste sur le fait que pendant le deuxième semestre de 1793 le Comité de salut public n’aurait pas réellement contrôlé l’armée, ce que conteste l’auteur : ’Il n’est pas niable qu’à l’époque où se perpètre le génocide (janvier-mai 1794), l’autorité du Comité de salut public sur les militaires en Vendée est sans faille. La chaîne de commandement fonctionne parfaitement’’ (page 192). La responsabilité du Comité de salut public est donc totale ; ses membres savaient ce qui se passait en Vendée et n’ont rien fait pour y mettre un terme, ce qui rappelle l’attitude de Hitler et de ses complices. ‘’L’intention génocidaire a pu être constituée dès la loi du 1er août 1793, et on ne peut affirmer avec certitude qu’elle a pris fin après la chute de Robespierre qu’avec des hésitations possibles sur la date exacte, sous réserve de travaux plus précis que je n’ai pas entrepris’’ (page 199).

L’évidence du génocide des Vendéens est frappante mais les néo-robespierristes continueront contre vents et marées de le nier. Admettre l’existence d’un génocide des Vendéens, impliquerait, selon les tenants de la Révolution, d’abandonner toute référence à la Révolution française parce qu’ils considèrent qu’ « elle est un bloc » (Clémenceau) et qu’on ne peut donc séparer 1789 et 1793.

L’auteur tend au contraire à penser qu’il faut séparer ces deux moments et reconnaître le génocide de façon à sauver le moment libéral que fut 1789. Mais, à l’origine de la politique totalitaire et criminelle menée par le Comité de salut public  n’y-a-t-il pas l’idée de « volonté générale » qui figure dans la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » (article 6) de 1789, laquelle figure elle-même dans le préambule de notre constitution (c’est Michel Debré qui l’aurait introduite, au grand dam du général de Gaulle selon Frédéric Rouvillois). Jacques Villemain en est conscient puisqu’il a écrit : ‘’Le jacobinisme est une forme de démocratie totalitaire car elle ne conçoit pas que la « volonté générale » puisse être divisée ni qu’elle puisse se tromper’’ (page 164).

Faut-il pour autant sauver 1789 ?  Certainement pas, parce que l’individualisme radical introduit par la révolution de 1789 est à l’origine de la liquéfaction de notre nation, comme le reconnaît d’ailleurs l’auteur : ‘’Le « droit-de-l’hommisme » ou religion des droits de l’homme qui nous sert aujourd’hui de religion civile ne semble guère davantage en mesure de recréer du lien social dans la mesure où il se fonde sur un individualisme consumériste radical, par nature asocial’’ (page 169).

Origine du soulèvement des Vendéens

Contrairement à une croyance largement répandue, le soulèvement des Vendéens n’a eu pour origine ni la nostalgie de l’ancien régime, ni la conscription obligatoire mais la destruction du cadre social et religieux de la société paysanne : ‘’Force est de constater que nulle part ailleurs le déterminant religieux ne s’est présenté de manière aussi prégnante qu’en Vendée militaire (sauf peut-être dans le Morbihan, qui n’en fait pas partie). Si on peut considérer l’existence, au sens sociologique, d’une personnalité « ethnique » du « groupe vendéen » ce n’est que comme le soubassement matériel  d’une organisation sociale dont le centre était la paroisse et son « bon prêtre ». La remise en cause de ce soubassement, ou plus exactement sa négation radicale par le nouvel ordre politique et social a produit l’explosion de mars 1793. La conscription n’a joué à cet égard que le rôle d’un détonateur’’ (page 168). Pierre Péan, qui a consacré un beau livre à ses ancêtres chouans de l’est de la Loire-Atlantique (il était un descendant de Jean Terrien, dit « Cœur de lion », qui dirigeait les chouans de ce département, au nord de la Loire) a écrit la même chose. La « récupération » du soulèvement par les royalistes a été tardive.

Origines intellectuelles et ampleur du génocide des Vendéens

Les origines intellectuelles des massacres de Vendée se situent, selon l’auteur, dans les œuvres philosophiques du XVIIIe siècle : ‘’Ainsi, qu’on se situe dans la ligne nominaliste matérialiste/sensualiste dominante dans la philosophie des Lumières et dans le personnel politique de la Révolution ou bien dans la ligne de pensée idéaliste/déiste de Rousseau et de Robespierre, la conclusion est la même. Les deux courants de pensée aboutissent, par des chemins divers à « dénier aux Vendéens tout caractère humain »(A. Gérard ; 1992), ce qui est ce que les nazis pensent des Juifs, certes avec des prémisses différentes puisque se fondant sur un « racisme génétique » qui n’existe pas au XVIIIe siècle, mais avec la même conséquence génocidaire’’(page 121).Et parmi ces intellectuels Rousseau n’est pas le moindre des responsables : ‘’Rousseau va plus loin en pratique quand il expose que la vie en société elle-même n’est qu’un « don conditionnel de l’Etat »(Contrat social). Ce don suppose l’obéissance absolue aux lois. Quiconque refuse d’entrer ou de demeurer dans le contrat social perd par le fait même le droit de vivre. A cet égard, la mise « hors la loi »des Vendéens par la loi du 19 mars est parfaitement dans la logique de Rousseau dont on voit ici le caractère nettement proto-totalitaire : la société est Tout et face à elle l’individu n’est rien, ou plutôt l’individu ne commence à exister que quand il adhère au Tout social et politique’’ (page 121).

Le bagage idéologique de la Révolution française est issu de deux sources très différentes et opposées sur de nombreux points essentiels. Nous y trouvons d’une part l’apport des Lumières britanniques c’est-à-dire le libéralisme, qui fut dominant au cours de la première phase de la Révolution, et celui de Rousseau qui est une forme monstrueuse de « démocratisme unanimiste », que ses thuriféraires qualifient, à tort, de républicanisme. A tort, parce que le républicanisme n’a jamais été unanimiste (théorie de la « volonté générale ») et n’a jamais nié les libertés d’expression et de contestation des citoyens et des groupes constitutifs de la Cité. Ainsi, comme l’a souligné Machiavel, la spécificité de la république romaine, qui fut la première des républiques et qui à ce titre peut être reconnue comme la matrice et le modèle du républicanisme, est d’avoir amélioré progressivement ses institutions à la faveur des conflits internes. Les républicains romains n’étaient pas taraudés par le souci de l’unanimité et de ce fait, ils n’ont jamais imaginé l’existence d’une quelconque « volonté générale » ; ils ne souscrivaient pas non plus à l’individualisme qui est l’idée centrale du libéralisme. Le républicanisme est la recherche d’un équilibre, d’une part entre les différents groupes constitutifs de la Cité et, d’autre part, entre libertés personnelles et devoirs à l’égard de la nation, de l’Etat, des familles et des autres institutions. La Révolution française a balancé entre deux pôles très éloignés l’un de l’autre, l’individualisme et le démocratisme totalitaire, et c’est ce qui explique qu’elle est à l’origine, d’une part, d’une forme de libéralisme (Siéyès, Mirabeau et leurs successeurs) qui a porté le nom de radicalisme pendant très longtemps et dont le macronisme est l’héritier, et, d’autre part, de plusieurs formes de socialisme et de communisme ( Babeuf, Buonarroti et leurs successeurs).

Les différentes idées propres au courant rousseauiste (unanimisme, projet d’une rééducation généralisée) ont abouti très logiquement, d’une part,  à l’extermination des rebelles et, d’autre part, à ce qu’ils appelaient la « régénération » : ‘’Il est dès lors possible, voire nécessaire, car logique, d’envisager l’extermination d’une « race de non-citoyens » dès lors qu’on pense que le « citoyen » est une nouvelle race à créer. Robespierre lira à la Tribune de la Convention le plan d’éducation de Le Peletier de Saint-Fargeau, le 13 juillet 1793, où, après avoir exposé que « considérant à quel point l’espèce humaine est dégradée par le vice de notre ancien système social, je me suis convaincu de la nécessité d’opérer une entière régénération, et si je peux m’exprimer ainsi, de créer un « nouveau peuple »’’ (page 122) ! Cette idée de « régénération » ou de création d’un homme nouveau est la marque de tous les totalitarismes qui ont suivi, y compris celui des nazis qui entendaient refaire une « race pure », dont on sait aujourd’hui que c’était une idée aussi absurde que criminelle (il n’y eut jamais de « races pures » comme le montrent les travaux récents des paléo-généticiens mais seulement des populations issues d’hybridations qui, dans certains cas, n’ont pas connu de nouvelles hybridations pendant de longues périodes, 5000 ans depuis l’âge du bronze pour les Français selon les conclusions du projet Ancestra de l’INRAP).

Pour parvenir à leur fins les révolutionnaires utilisèrent des moyens classiques (fusillades, exécutions à l’arme blanche….) mais ils envisagèrent aussi des techniques « novatrices » comme celle qui consistait à utiliser des « vapeurs soporatives » c’est-à-dire, des gaz toxiques (essais réalisés près des Ponts de Cé sur un troupeau de moutons), ce qui nous rappelle un autre génocide, mais les essais (en champ ouvert) ne furent pas concluants. Ils pensèrent aussi à l’empoisonnement des sources d’eau…..

En novembre 1793 la loi proposée par Merlin de Thionville qui prévoyait le repeuplement de la Vendée par des colons, ce qui suppose  un « dépeuplement » préalable, fut votée.  Merlin a expliqué au cours d’un débat que ce sont les caractéristiques de cette région (bocage…) qui  génère une population antisociale et égoïste et qu’il convient de tout brûler avant de repeupler après une période de transition d’une année. ‘’L’extermination doit faire disparaître une population non régénérable, l’incendie doit faire disparaître le milieu ambiant qui l’a produite’’ (page 131). Il est intéressant de noter qu’on trouve dans le discours révolutionnaire une véritable « racialisation » des Vendéens qui sont considérés comme des êtres intrinsèquement pervers et irrécupérables. ‘’En  ceci, les Montagnards ne se sentent pas plus criminels en éliminant les Vendéens que les nazis en éliminant les Juifs et les communistes en « retranchant les éléments socialement inassimilables », comme le dira encore dans son jargon stalinien Albert Soboul jusqu’au début des années 1980 pour expliquer/justifier la Terreur’’ (page 133).

Reynald Sécher a écrit dans son ouvrage intitulé ‘’ Le génocide franco-français – La Vendée – Vengé’’ que le nombre des victimes vendéennes des colonnes infernales avaient été de 117257 mais Jacques Villemain pense que ce chiffre est une évaluation basse et que le chiffre réel serait proche de 170000, soit 22% de la population des zones concernées situées dans les départements de Vendée, Maine et Loire, Deux Sèvres et Loire-Inférieure (au sud de la Loire). Quant aux pertes des armées républicaines elles auraient été comprises entre 26000 et 37000 morts.

A propos de Robespierre

Bien qu’il ait énormément écrit et parlé, on ne peut pas dire que Robespierre ait laissé une doctrine clairement définie. De plus, ses actes ont rarement été en phase avec ses déclarations : ‘’Ainsi, Robespierre, sur le plan des principes, est hostile à la peine de mort : aucun pouvoir politique en France n’y a jamais autant recouru que le sien. De même, il proclame les principes politiques les plus démocratiques et influence largement la rédaction de la Constitution de l’an III : mais ce n’est que pour renvoyer à plus tard sa mise en œuvre et maintenir à son profit le pouvoir le plus dictatorial (le « gouvernement révolutionnaire » n’est tenu par aucune légalité, pas même celle qu’il édicte). Discourant à volonté sur la « fraternité » républicaine, Robespierre mènera la politique la plus fratricide (on a pu parler de « frérocité »), fondée sur l’élimination physique non seulement des contre-révolutionnaires, mais aussi de nombre de révolutionnaires dont certains avaient été très proches de lui comme Camille Desmoulins. Sur le plan social, Robespierre n’a que la défense des pauvres contre les riches à la bouche, mais 1793-1794 est une période durant laquelle la bourgeoisie montagnarde se constitue d’immenses fortunes que les thermidoriens n’auront comme idée fixe que de stabiliser et consolider. Le petit peuple sera étranglé par les mesures robespierristes notamment du « Maximum » : car s’il y avait un « maximum » des prix, il y avait aussi un maximum des salaires et une des raisons pour lesquelles le petit peuple de Paris ne se mobilisa pas pour défendre Robespierre en Thermidor est à rechercher dans le fait qu’il avait été réduit à quia par ce système’’ (page 443).

’Le « robespierrisme » est finalement plus le culte d’une personne incarnant davantage un idéal assez imprécis (notamment sur le plan intellectuel et institutionnel) qu’une idéologie bien organisée’’ (page 441). Les écrits de Robespierre sont assez verbeux et on ne peut que trouver assez juste le jugement d’Hippolyte Taine qui voyait en lui ‘’un cuistre, un esprit creux et gonflé qui parce qu’il est plein de mots, se croit plein d’idées, jouit de ses phrases, et se dupe lui-même pour régenter autrui’’.

Les discours de Robespierre sont des sermons abstraits, des développements grandiloquents autour de grands principes sans lien avec le réel : ‘’ Dans la ligne de Rousseau, Robespierre est un exemple de cette « raison rationnelle » qui agite des concepts désincarnés, sans la moindre trace de cette « raison raisonnable » qui s’efforce de faire le lien entre la réalité ou l’expérience pratique et sa conceptualisation. C’est ce qui fait à la fois l’attraction du robespierrisme et sa stérilité’’ (page 446). En fait, on peut considérer que ‘’le robespierrisme définit la politique comme la guerre de l’Humanité contre ses ennemis ! ‘’ (page 447). Contrairement à ce que pensaient Machiavel et de Gaulle, pour lesquels l’action politique devait, avant tout, prendre en compte le réel, ‘’La réalité n’intéresse pas l’Incorruptible : sa vision politique est un pur fantasme. Et un fantasme pervers en ce qu’il fait totalement abstraction des « autres ». Robespierre n’aime que « l’homme vertueux » abstrait, et pense en outre qu’il en est sans doute le seul exemplaire vivant’’ (page 457). La pensée de Robespierre, et de la plupart de ses complices, est tout en noir et blanc ; il y a les bons et les méchants (discours du 12 juin 1794), les patriotes et les contre-révolutionnaires, les défenseurs de la liberté et la horde des fripons (discours du 26 juillet 1794), le parti des hommes vertueux et celui des hommes corrompus (discours  aux Jacobins, mai 1793).

Dans la Rome républicaine, les hommes vertueux étaient certes loués mais ceux qui l’étaient moins n’étaient pas pour autant dénoncés à la vindicte publique et passés au fil de l’épée; la vertu romaine ou la « virtu » machiavélienne sont très différentes de la vertu robespierriste. La première, la « virtus », qui une des composantes du « mos majorum » romain est un ensemble de qualités et de devoirs à l’égard de la Cité (courage, participation à la vie politique, dévouement patriotique)  tandis que la seconde est l’ensemble ‘’des qualités qui permettent à l’homme vertueux de se montrer à tout moment à la hauteur de circonstances changeantes. Un ensemble de dons exceptionnels, mais humains, et donc soumis à des limitations’’ (Marcos Jaèn). Le « vertuisme » robespierriste n’a par contre aucune limite et ce type de vertu mène inévitablement, par delà les débordements rhétoriques, aux excès les plus invraisemblables et les plus terrifiants. La pensée robespierriste tend spontanément, du fait de l’absence de limites, à dérouler les idées jusqu’à leurs ultimes conséquences  y compris les plus délétères. Ce type de pensée, qui ignore la notion de « mesure » chère à Julien Freund (cf son idée de « mésocratie »), conduit inévitablement à ce qu’il y a de pire. Toutes les idées, même les meilleures (liberté….) doivent être manipulées prudemment et avec le souci de la mesure.

Parmi les idées fumeuses promises à un grand avenir auxquelles souscrivait Robespierre figure l’idée de la « table rase » selon laquelle les caractéristiques psychologiques et les aptitudes cognitives sont entièrement acquises, autrement dit que le cerveau humain est, au moment de la naissance, une tablette de cire lisse sur laquelle les éducateurs vont pouvoir inscrire ce qu’ils veulent. De plus, il croyait à la transmission des caractères acquis : ‘’Le Peletier, Robespierre, représentent bien ici les idées de leur temps, également soutenues par Condorcet : tous croient à la transmission des caractères acquis notamment par l’éducation – Condorcet faisant même de cette croyance la base de ce qu’il croit être la loi du progrès continu de l’esprit humain. On est au cœur de la doctrine de la régénération qui est consubstantielle à l’idéal politique de 1793-1794, et dont le versant négatif est qu’il existe des « êtres dégénérés » (dont les Vendéens) qui ne sont nullement « récupérables » et qui doivent logiquement être exterminés’’ (page 123).

Selon Marcel Gauchet (‘’Robespierre, l’homme qui nous divise le plus’’ – Gallimard), Robespierre n’aspirait aucunement à la dictature personnelle mais il établit sans le vouloir une forme de « dictature des principes », principes dont il était l’incarnation ! Peut-être, mais une telle « dictature des principes » n’est-elle pas plus dangereuse que la simple dictature d’un homme ? L’auteur écrit à ce sujet : ’’L’aveuglement sur soi de ce tyran qui s’ignorait se prolonge en cruauté inconsciente à l’égard des victimes dont il requiert le sacrifice. Elles ne le concernent pas. Quoi de plus redoutable que l’innocence meurtrière ?’’.

Les conséquences de cette ‘’dictature des principes’’ ont été effroyables en 1793-1794 et elles l’ont été parce que les dits ‘’principes’’ (recherche désespérée de l’unanimité et croyance dans la vertu naturelle du peuple) n’étaient que des vues de l’esprit, des idées coupées de toute réalité observable. Toutes les idées de ce genre, qu’il s’agisse de la croyance dans l’égalité naturelle, dans l’existence d’une race pure ou dans la vertu naturelle des peuples, sont des inepties qui conduisent inévitablement à des politiques tyranniques et meurtrières. Il est évident que les humains ne peuvent se passer d’idées (pour expliquer le monde dans lequel ils vivent et pour structurer leurs sociétés) mais la manipulation des idées, quand elle mène à la formation de systèmes idéologiques, est toujours dangereuse (cf Machiavel et Julien Freund à ce sujet).

Marcel Gauchet met en évidence l’importance considérable que l’Incorruptible accordait à l’unanimité du peuple et à la vertu supposée de ce dernier, deux idées qui eurent des conséquences dramatiques et qui firent des opposants politiques des « monstres » à abattre. Marcel Gauchet écrit : ‘’Ainsi la lutte contre les ennemis bien réels de la République vertueuse à instituer s’élargit-elle en terreur dirigée contre un ennemi fantasmatique qui n’est autre chose que l’écart entre le peuple réel et le peuple idéal’’. C’est cet inévitable écart, qui est aussi l’écart entre la mystérieuse ‘’volonté générale’’ et les opinions réelles des citoyens, qui fut à l’origine de la fureur meurtrière de l’Incorruptible et de ses comparses.

Alors que, selon Patrick Gueniffey, l’intérêt que portent les Français à cette Révolution diminue régulièrement, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter, l’aile gauche du parti progressiste continue de se référer à Robespierre et les historiens néo-robespierristes essaient toujours de justifier les crimes des révolutionnaires !

BG
Author: BG

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