La classe politicienne et les gens de médias ont la détestable habitude, depuis de nombreuses années, de faire référence, dans leurs sermons quotidiens, aux « valeurs de la république ». Des valeurs dont peu de gens connaissent le contenu exact mais que l’immense majorité associe à cette idéologie contemporaine qui associe l’individualisme, à l’universalisme, à la repentance de l’homme blanc, à l’immigrationnisme, au cosmopolitisme, au « mêmisme » (qui considère que tous les humains sont identiques et interchangeables ; selon cette doctrine, il n’y a plus ni hommes ni femmes, ni Blancs ni Noirs…….. c’est l’aboutissement radical de l’égalitarisme) c’est-à-dire à ce que les progressistes (communistes, socialistes et libéraux) appellent le progrès (toute opinion opposée à ces « valeurs » est qualifiée de régressive).
Cette ritournelle est absolument insupportable mais la grande majorité des Français n’y accordent plus aucune importance. Un sondage réalisé le 20 février 2019 par l’IFOP pour Atlantico (https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2019/02/116231-Rapport-Atlantico.pdf), a permis de constater que pour 67% de nos compatriotes (75% des 18-24 ans ; 84% des proches de DLF mais 31% seulement de ceux de LREM) , l’utilisation massive des termes « république » et « valeurs de la république » dans les médias a vidé ces derniers de toute signification. Autant dire que la stratégie métapolitique de la classe dominante a échoué sur ce point mais, de toute évidence, elle ne l’a toujours pas compris puisqu’elle continue de nous seriner la dite ritournelle ce qui commence à « gonfler » de nombreux Français. Certains, plus irritables que la moyenne, en viennent à faire part de leur hostilité au républicanisme et à opposer les termes « république » et « France ». Il est vrai que les « progressistes » utilisent de plus en plus le mot « république » en lieu et place du mot « France », mais, pour autant, est-ce raisonnable d’opposer la république à la France comme si il était impossible d’être français au plan ethnoculturel et républicain au plan philosophico-politique ? Non, bien sûr. Que certains affichent sur les réseaux sociaux leur anti-républicanisme, c’est leur droit, mais l’honnêteté leur commande de dire clairement ce qu’ils pensent (préfèrent-ils la monarchie, le fascisme, le franquisme, le salazarisme…. ?) et de ne pas se camoufler derrière le mot « conservatisme » lequel n’a aucun sens aussi longtemps que n’est pas précisé ce que l’on entend conserver (ce qui implique qu’il n’y a pas un conservatisme mais des conservatismes qui peuvent être différents les uns des autres) . D’une part, on ne peut pas reprocher aux musulmans de pratiquer la « taqqiya » tout en la pratiquant soi-même à sa façon et, d’autre part, contrairement à ce que semblent croire les dits conservateurs antirépublicains, le républicanisme classique n’est nullement incompatible avec un certain conservatisme, bien au contraire, ce qu’illustre parfaitement le cas de la Rome républicaine.
Que sont les « valeurs de la république » ?
Le mot « valeur » sert à désigner ce qui vaut plus; les valeurs sont donc nécessairement hiérarchisées. Julien Freund a écrit très justement que l’égalitarisme des valeurs n’a aucun sens ; ‘’si tout se vaut, plus rien n’a de valeur’’ (‘’Le nouvel âge’’).
Les « valeurs de la république » sont donc les valeurs les plus importantes pour ceux qui utilisent cette expression. L’utilisation du mot « république » vise à l’associer à leurs idées ; ces idées sont celles que nous avons énoncées précédemment : individualisme, universalisme, cosmopolitisme, « droits-de-l’hommisme »………auxquelles il faut ajouter l’égalitarisme dans certains cas (ce dernier occupe une place importante au sein des idéologies communiste et socialiste ; beaucoup moins dans celle des libéraux de gauche).
Certaines de ces idées sont présentes dans le discours révolutionnaire depuis 1789, avant même la création de la première république, voire même depuis le milieu du 18ème siècle chez les philosophes dits des « Lumières », mais d’autres sont très récentes.
Nous parlons ici de la tradition républicaine française dont les origines se situent, pour l’essentiel au 18ème siècle. Le républicanisme français doit beaucoup plus aux hommes des « Lumières » (y compris ceux des « Lumières » anglaises et écossaises qui ont eu beaucoup d’influence sur les intellectuels français du 18ème siècle) et à Rousseau qu’au républicanisme ancien/classique dont la source est le républicanisme romain.
Le « républicanisme français » est en fait essentiellement libéral ; il est étranger au communautarisme civique de l’ancien républicanisme et il est centré sur l’individualisme moderne d’origine libérale (cet individualisme a lui-même pour origine la philosophie nominaliste du Moyen Âge dont le principal théoricien fut le moine franciscain anglais Guillaume d’Ockam dont la pensée fut reprise par Hobbes et Locke, ce qui explique que l’Angleterre ait été le berceau de l’individualisme moderne). L’individualisme est par nature universaliste et, de ce fait, il porte au nomadisme, au cosmopolitisme et au mondialisme tandis que le républicanisme ancien était très patriotique et privilégiait les intérêts de la Cité sur ceux de chacun des citoyens. L’individualisme était aussi étranger à Cicéron qu’à Machiavel, les deux grandes figures du républicanisme classique.
L’individualisme, l’universalisme, le cosmopolitisme, l’idée de « droits de l’Homme » et l’égalitarisme, par exemple, ne font pas partie du corpus républicain classique. A contrario, le patriotisme qui est une idée répugnante, pour les tenants des « valeurs de la république », en était une valeur centrale (Cicéron et Machiavel, par exemple, ont exprimé leur patriotisme ardent). Mais, il faut rappeler que notre troisième république mettait aussi en avant le patriotisme (il est vrai que ce patriotisme était ambigu parce qu’il associait le patriotisme « idéologique » propre à la Révolution française à un patriotisme ethnoculturel qui promouvait « nos ancêtres les Gaulois »), ce qui illustre le fait que les « valeurs de la république » vont et viennent ; elles ne sont pas immuables, loin s’en faut. Enfin, l’apport de Charles de Gaulle doit être souligné. Les institutions de la Ve République sont en rupture avec la tradition hyper parlementaire de nos Ière, IIIe et IVe républiques et le Général se félicitait, en 1958, de l’occasion historique que lui offrait ‘’la déconfiture des partis pour doter l’État d’institutions qui lui rendent, sous une forme appropriée aux temps modernes, la stabilité et la continuité dont il est privé depuis cent soixante neuf ans’’, c’est-à-dire depuis 1789 (‘’Mémoires d’espoir’’ ; page 23). Rappelons aussi qu’au sujet de la Ve République, Maurice Duverger a parlé de « monarchie républicaine », ce qui traduit la nature « mixte » du nouveau régime dans lequel le pouvoir exécutif est fort (à la grande différence des première, troisième et quatrième républiques qui étaient « acéphales ») mais toujours sous le contrôle des Assemblées et du peuple (d’où l’utilisation récurrente du référendum).
Au sujet de la rhétorique des « droits de l’homme » qui constituent le centre du discours sur les « valeurs de la république », il est intéressant de citer Philippe de Gaulle, lequel a écrit dans ses mémoires que son père entra dans une colère noire quand il apprit que Michel Debré avait introduit la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dans le préambule de la nouvelle constitution : ‘’Michel Debré s’est laissé avoir par les juristes qui grenouillent autour de lui[….]. Alors maintenant, à partir de ce préambule, ils vont tous bêtifier sur les droits de l’hommisme’’ (‘’De Gaulle, mon père’’ ; t.II, pages 57-58). C’était bien vu !
La Ve République est très différente des constitutions précédentes, dans ses institutions et dans son esprit (les successeurs libéraux et socialistes du Général l’ont totalement oublié et utilisent les institutions de manière de plus en plus despotique sans jamais consulter le peuple par référendum. Confronté à un référendum, Macron serait balayé à 2 contre 1). Il est certain que le fondateur de la Ve République, qui était un nationaliste, mesuré certes mais nationaliste tout de même, n’aurait pas fait siennes la plupart des « valeurs de la république ».
Le Général a introduit le référendum dans notre constitution, ce qui était une innovation en rupture totale avec les « valeurs de la république » puisque l’Assemblée nationale avait, depuis 1789, le monopole en matière d’expression de la volonté générale. Autre innovation en rupture avec les « valeurs de la république », l’élection au suffrage universel direct du « monarque républicain » doté de pouvoirs pouvant être étendus jusqu’à la « dictature momentanée » (article 16).
Marcel Gauchet a écrit dans ‘’La Révolution des droits de l’homme’’ : ‘’Reste que là même, au travers de cette idée singulière d’un gouvernement « qui n’a point d’action directe sur les citoyens », c’est l’utopie la plus profonde de la Révolution qui parle par sa voix : l’utopie inhérente au monde des égaux d’une abolition des liens de commandement d’homme à homme au profit du règne anonyme des lois’’ (page 274). La tradition héritée de la Révolution française interdisait l’existence d’un pouvoir exécutif (régalien) fort et très indépendant, susceptible de court-circuiter l’Assemblée en ayant recours au référendum. Le résultat concret de cette utopie libérale fut l’incapacité récurrente des premières républiques (la IIe était différente mais elle n’eut qu’une brève existence ; elle était faite pour le deuxième des Bonaparte qui était, comme son oncle, un despote) à faire face aux situations exceptionnelles, ce à quoi le Général voulait mettre un terme. En faisant voter, en 1961, l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, le Général, qui fit un coup de force à cette occasion dans la mesure où cette votation était anticonstitutionnelle, ce que le Conseil constitutionnel n’osa opposer au chef de la France Libre, permit d’introduire la suprématie de la volonté majoritaire sur toutes les autres, y compris celle du dit Conseil. En modifiant ainsi, en profondeur, nos institutions, Charles de Gaulle tordait le cou aux « valeurs de la république » et il s’en félicitait !
La république n’est pas qu’un cadre
Les réseaux sociaux prêtent à Charlotte d’Ornellas un propos au cours duquel elle aurait affirmé que la république ne serait ni une civilisation, ni un mode de vie mais seulement un cadre. Je crains fort que la charmante journaliste réduise considérablement l’importance d’un régime politique lequel ne se résume pas aux seules institutions politiques. Ces dernières, quand elles ne sont pas imposées de force par un tyran, sont sous-tendues par une philosophie politique laquelle conditionne la nature des relations qui s’établissent entre les citoyens. Ces relations et les mœurs qui en découlent ne sont pas les mêmes dans une monarchie, dans une république et dans un système totalitaire. Il n’est pas indifférent de vivre dans une société dans laquelle il existe une sphère privée à côté de la sphère publique plutôt que dans une société dans laquelle la sphère publique englobe toutes les activités humaines ce qui implique la quasi disparition de la sphère privée (une telle situation est caractéristique des régimes totalitaires). Or un régime républicain authentique (l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques n’était pas une république, bien évidemment) protège la sphère privée tout en accordant une grande importance à la sphère publique, ce qui était le cas de la république romaine. A contrario, les régimes libéraux tendent à la réduction de la sphère publique et à la privatisation totale de l’existence, ce qui n’est pas sans conséquences sur la nature de la culture qui en résulte. Les cultures ne se résument pas aux systèmes politiques bien sûr ; leur nature dépend d’autres éléments essentiels comme la religion, les coutumes, la mémoire collective, les traditions artistiques….mais dire que le système politique n’est qu’un cadre est inexact. Cicéron, qui fut un des plus grands intellectuels romains, a exprimé toute l’importance qu’il accordait à la république laquelle induisait, selon lui, une sociabilité et un mode de vie particuliers.
Le républicanisme se définit d’abord par ce que les Romains appelaient « libertas ». Cette dernière avait deux dimensions ; elle désignait, d’une part, l’indépendance de la Cité par rapport aux autres cités, et, d’autre part, l’absence d’arbitraire en son sein. Ces deux dimensions n’en font en fait qu’une seule puisque la perte de la première implique le règne de l’arbitraire comme les Français ont pu l’éprouver entre 1940 et 1944. C’est parce qu’ils refusaient l’arbitraire que les Romains congédièrent leur dernier roi accusé, par eux, de tyrannie. Pour les républicains, l’absence d’arbitraire se traduit par la soumission à des lois auxquelles le peuple accepte librement de se soumettre ; les lois sont alors garanties par un État chargé de leur application sous la surveillance de contre-pouvoirs (à Rome, le Sénat et les tribuns de la plèbe).
L’absence d’arbitraire n’est pas qu’une fioriture, un ornement dont on pourrait se passer (une société dans laquelle règne l’arbitraire est très différente d’une société qui a pour objectif de le dissoudre). Or, la dissolution de l’arbitraire est un objectif central du républicanisme dont les conséquences sur le mode de vie des citoyens d’une communauté et sur le profil de leur culture sont considérables. Balayer d’un revers de main le républicanisme revient à admettre que la dissolution de l’arbitraire et l’égalité des droits politiques et juridiques n’ont aucune importance. Je ne suis pas sûr que nos compatriotes voient les choses de cette façon-là ; je suis même sûr du contraire. En conséquence, associer l’anti-républicanisme au patriotisme dessert ce dernier. Notons que si on considère la république comme un simple cadre, cela implique de considérer aussi la monarchie, l’État libéral…..comme autant de simples cadres, autrement dit, les systèmes politiques n’ont aucune importance ni contenu culturel ! Ce qui est absurde, bien sûr.
Le républicanisme classique a toujours été intimement lié au patriotisme. A contrario, le libéralisme est indifférent aux communautés, dont les communautés nationales. Le centre focal du libéralisme est l’individu et du point de vue libéral, les communautés ne sont que des groupements contingents d’individus lesquels sont libres d’en faire partie ou non tandis que le républicanisme met en avant la Cité et les vertus patriotiques et civiques. Le républicanisme associe le patriotisme au refus de l’arbitraire (et ce qui en découle : l’égale soumission des citoyens aux lois ; le vote des lois par l’ensemble du corps civique ou par les représentants de ce dernier ; la protection des droits de la minorité politique…..). Ce ne sont pas là non plus que de simples fioritures ; bien au contraire, ce sont des traits culturels essentiels. Par ailleurs, le républicanisme classique se distingue du socialisme, d’une part, en ce qu’il est fondamentalement patriotique tandis que ce dernier est, à l’instar du libéralisme, indifférent voire hostile aux communautés nationales et, d’autre part, en ce qu’il n’est pas égalitariste. Comme l’a écrit Marie Gaille-Nikodimov à propos du républicanisme classique : ‘’ Ce qui distingue la pensée républicaine du socialisme, c’est en premier lieu une telle conception de l’égalité différenciée, qui a son origine dans la manière aristotélicienne de penser la communauté des gens inégaux’’ (Marie Gaille-Nikodimov ; ‘’Lectures de Machiavel’’). On peut ajouter que, par nature, le républicanisme ancien était « mésocratique » (Julien Freund) en ce sens que depuis le création de la république romaine (en 509 avant notre ère), les Romains ont voulu se doter d’une organisation politique efficace permettant d’éviter toute tyrannie et de respecter de manière égale et mesurée les droits des citoyens.
Le républicanisme romain était, par ailleurs, très conservateur, ce qui le différencie radicalement du « républicanisme » de nos révolutionnaires lesquels voulaient construire le nouveau régime en faisant d’abord table rase du passé. La république romaine s’est construite lentement, au fil des siècles, non pas conformément à une idéologie préalablement conçue, mais par des essais et des corrections, propres à la méthode conservatrice qui consiste à conserver tout ce qui fonctionne bien et à modifier (d’une main tremblante) ce qui pose problème. De plus, les Romains ont pris garde de conserver le code moral qui prévalait avant la création de la république, le mos majorum, qui demeura la référence morale de la Rome républicaine. Ce code moral très contraignant mettait en avant des valeurs essentielles comme l’honneur, le courage, le dévouement patriotique, la piété, le devoir envers la famille et la patrie, la frugalité…….qui disparaissent de plus en plus rapidement dans l’Occident libéral.
Il est évident que le « républicanisme » français né en 1792 est un « pot-pourri » depuis sa création ; un « pot-pourri » dont les ingrédients ont d’abord été d’origine libérale puis socialiste, communiste et enfin, libérale-libertaire. Le « républicanisme » français (celui des chantres des « valeurs de la république ») est un syncrétisme dans lequel ont été associées des éléments libéraux, dont l’individualisme radical, la notion de « volonté générale » propre à Rousseau (qui est potentiellement totalitaire), des bribes de républicanisme ancien, puis, plus tard, l’égalitarisme des socialistes et des communistes et, enfin, depuis 1968 et surtout 1990, le libertarisme qui est l’apport essentiel des soixante-huitards lesquels sont passés de l’anarchisme plus ou moins communiste au libertarisme libéral ce qui n’a rien de surprenant puisque, comme l’ont souligné Elsbeth Linpinsel, Henri Arvon et Catherine Audard, le libéralisme et l’anarchisme ont un fond commun.
Libéralisme et républicanisme
Les « valeurs de la république » dont se réclament une majorité de nos politiciens, de gauche, surtout, mais aussi de droite, sont en fait, le plus souvent, des valeurs propres au libéralisme : émancipation de l’individu par rapport à toute communauté ; autonomie, indépendance ou souveraineté de l’individu…… L’individu libéral, affranchi de tout attachement communautaire et même, désormais, de toute identité biologique (notamment sexuelle), a pour objectif de vivre sa vie selon ses désirs sans être gêné par un État « neutre » qui s’impose de respecter de manière égale tous les choix individuels. Le philosophe étatsunien Michael Sandel qui est un des plus fins analystes de la pensée libérale a écrit à ce sujet : ‘’L’idéal que je viens de décrire peut se résumer dans l’expression « le juste précède le bien ». Cela peut être entendu en deux sens. La priorité du juste sur le bien signifie : 1) les droits individuels ne peuvent être sacrifiés au nom du bien général (ce qui l’oppose donc à l’utilitarisme) 2) les principes de justice qui spécifient ces droits individuels ne peuvent postuler aucune conception particulière de la vie bonne (ce qui l’oppose aux conceptions téléologiques en général). Ce libéralisme, dont l’élaboration revient principalement à Rawls, et dont les fondements philosophiques sont hérités de Kant, est admis par la majeure partie de la philosophie morale et politique contemporaine’’ (extrait de l’article intitulé ‘’La république procédurale et le moi désengagé’’).
La morale libérale n’a pour seule limite que l’égalité de tous les individus en matière de liberté individuelle. Pour les libéraux la valeur suprême est la liberté individuelle et la philosophie libérale n’accorde aux institutions étatiques qu’un rôle de protection des libertés individuelles et que peu ou pas d’importance aux communautés, nationales, religieuses, culturelles…..En conséquence, on ne voit pas comment le libéralisme pourrait être associé à quelque conservatisme que ce soit puisque la finalité du conservatisme ne peut être que d’ordre communautaire.
Il en va autrement avec le premier républicanisme, celui des Romains, qui mettait en avant le patriotisme et une morale communautaire, héritée des lointains ancêtres pré-républicains et très exigeante, le mos majorum. Les républicains de la Rome antique et ceux de la Renaissance italienne, tout comme les démocrates athéniens d’ailleurs, ignoraient tout de l’individualisme et des « droits de l’homme ». Ce n’est qu’au XVIIe siècle avec Hobbes, Locke….. que les libéraux menèrent leur première grande offensive intellectuelle, dans une Angleterre en crise, contre, d’une part, les partisans de la monarchie traditionnelle et, d’autre part, contre les républicains ; ils l’emportèrent sur ces derniers et influencèrent à compter de ce moment les élites « éclairées », en Europe et dans les colonies américaines. Nos « républicains » sont essentiellement, malgré l’influence incontestable que la pensée de Rousseau a eu sur eux, des héritiers des libéraux anglais et écossais, comme l’a très justement écrit Jacques Julliard à propos des fondateurs de la IIIe République : ‘’ Pour eux, si la République est la forme politique du libéralisme, le libéralisme est la philosophie implicite de la République’’ (‘’Les gauches françaises’’, page 598). Le « républicanisme » français est en fait une des nombreuses variantes du libéralisme, une variante que Gaspard Koenig appelle le libéralisme jacobin. Jacques Julliard a été clair à ce sujet : ‘’En dépit de l’épisode de la Terreur qui brouille les pistes sans modifier en profondeur la nature du phénomène, 1789 a accompli, contre l’Ancien régime, une révolution libérale ; elle a institué une société d’individus, là où auparavant existaient des ordres, des corporations, des professions organisées. Ce n’est pas seulement en matière juridique et politique, comme en témoigne la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, que la Révolution française est individualiste ; elle est en outre libérale en matière économique, favorable à la propriété individuelle et à la libre entreprise’’. (‘’Les gauches françaises’’ ; page 643).
Quant à Jean-Fabien Spitz, il a souligné, dans son introduction au ‘’Moment machiavélien’’ de J.G.A. Pocock (page XV), que la part de l’idéologie républicaine française qui provient du républicanisme antique est infime : ‘’Pour Marx lui-même, la phraséologie antiquisante et républicaine qui culmine avec Robespierre et Saint-Just n’était qu’un déguisement sous le masque duquel les représentants de la bourgeoisie montante s’étaient cachés pour réaliser leur tâche de transformation de la société en « vaste marché » et les hommes en « libres concurrents ». Une fois cette tâche achevée, dit Marx, la bourgeoisie a jeté le masque et les héros antiques – les Gracchus, les Publicola et les Brutus – ont cédé la place au prosaïsme mesquin et calculateur des Say, Cousin, Royer-Collard et autres Guizot. Le langage républicain n’aurait donc été qu’une illusion dont les hommes de cette époque « avaient besoin pour se dissimuler à eux-mêmes le contenu étroitement bourgeois de leurs luttes, et pour maintenir l’enthousiasme au niveau de la grande tragédie historique ’’.
La primauté de l’individu, qui est l’élément central du libéralisme, est très contestable puisque que l’être humain est un être social qui est toujours l’héritier et le débiteur d’une communauté laquelle l’a élevé et lui a transmis tout ce qui est nécessaire à l’existence collective et même à son existence tout court : une langue, des croyances, des savoirs, des règles sociales….. Aucun humain ne peut échapper à cela ; nous sommes tous « encastrés » dans des communautés dès notre naissance et le rêve libéral d’une « société universelle des individus » n’est qu’une utopie qui ne se réalise nulle part, même aux États-Unis comme l’ont souligné les philosophes communautariens états-uniens, mais qui provoque l’ « atomisation » des sociétés, le dépérissement des communautés nationales, l’anomie et le chaos généré par la confrontation d’innombrables « droits » antagonistes et celle des « tribus » infranationales et/ou nomades qui se substituent progressivement aux communautés nationales.
Les libéraux ne supportent pas l’«encastrement» communautaire qui est, selon eux, privatif de liberté et duquel il serait nécessaire de s’extraire pour s’émanciper. Émancipation ! Idée centrale de tous les révolutionnaires depuis 1789 y compris Marx et Proudhon. A ce sujet, Pierre-André Taguieff a écrit : ‘’Les fanatiques de l’émancipation rejettent toute inscription dans un héritage et toute appartenance à une collectivité définie, perçues comme un empêchement de fuir en avant. Il y a là une extrémisation de la liberté négative défendue par les théoriciens du libéralisme : se libérer de, sans fin’’ (‘’L’émancipation promise’’ ; page 311). La volonté d’émancipation de l’individu que les libéraux partagent avec tous les autres progressistes (socialistes, anarchistes, communistes) est illimitée ; ainsi, nous assistons sans arrêt à l’émergence de nouveaux « droits de l’homme » (Émile Perreau-Saussine a écrit au sujet de ces derniers : ‘’MacIntyre dénonce l’un des articles fondamentaux du credo libéral : l’existence de droits subjectifs universels. « Ne nous égarons pas, écrit-il, la vérité est simple : ces droits n’existent pas, et croire en eux, c’est croire aux sorcières et aux licornes »’’ – ‘’Alasdair MacIntyre : une biographie intellectuelle’’ – page 52).
Émile Perreau-Saussine a écrit dans cet ouvrage consacré au philosophe communautarien, aristotélicien et néo-thomiste, Alasdair MacIntyre : ‘’En absolutisant les droits individuels, on court le risque de ruiner le sens même de la liberté qu’on se propose de cultiver, en favorisant un relativisme moral délétère, en perdant tout sens d’une finalité digne de ce nom. Le libéralisme a besoin d’habitudes, de coutumes, de mœurs que l’individualisme tend à détruire…….Le libéralisme présuppose un ordre social qu’il ne produit pas et qu’il tend même à détruire. En absolutisant le consentement individuel, en réduisant la vérité à une simple opinion sans accorder d’importance aux autorités reconnues par ailleurs, le libéralisme nourrit un relativisme qui subvertit les mœurs et les habitudes dont il a besoin’’ (‘’Alasdair MacIntyre : une biographie intellectuelle’’ ; pages 160 et 164). Ce que Pierre-André Taguieff exprime de la façon suivante : ‘’La « culture de l’illimitation » risque d’orienter notre destin, jusqu’à l’autodestruction du genre humain’’ (‘’L’émancipation promise’’ ; page 330).
De tout cela, il ressort que le libéralisme non seulement n’est pas compatible avec les traditions, quelles qu’elles soient, mais que, de surcroît, il détruit ces dernières. L’illusion « libérale-conservatrice » qui se nourrit des expériences libérales du passé, essentiellement celles du XIXe siècle, tient au fait qu’à cette époque les idées libérales cohabitaient avec des traditions que l’action corrosive du libéralisme n’avait pas encore détruites. Si l’on veut juger de l’effet du libéralisme sur les différentes cultures, il faut examiner l’état actuel des sociétés occidentales et identifier l’origine de l’évolution délétère de leurs cultures et de leurs pratiques politiques comme l’a fait le philosophe état-sunien, communautarien et catholique, Patrick J. Deneen (‘’Pourquoi le libéralisme a échoué’’) qui a identifié les racines libérales de cette évolution au point d’avoir ébranlé Obama lui-même.
Être nationaliste et républicain
Être républicain n’implique nullement de faire siennes les prétendues « valeurs de la république » qui sont en fait, pour l’essentiel, celles de la modernité libérale (l’extrême-gauche emploie aussi cette expression à laquelle elle donne une signification nettement plus égalitariste). Pour renouer avec l’esprit du républicanisme authentique, il faut contourner la Révolution française, laquelle ne fait d’ailleurs plus vibrer les jeunes Français comme l’a souligné l’historien Patrick Gueniffey, et s’affranchir de l’individualisme droits-de-l’hommiste. Pierre-André Taguieff a écrit, dans ‘’Résister au bougisme’’, qu’il faudrait ressourcer notre républicanisme dans la pensée de Machiavel, ce en quoi il a parfaitement raison. Machiavel lui-même nourrissait déjà sa pensée en étudiant le républicanisme romain auquel il vouait une immense admiration.
Ce que les élites européistes appellent avec mépris le « populisme » enfle depuis deux ou trois décennies en Europe. Ce populisme est fondamentalement nationaliste, comme l’a expliqué Pierre-André Taguieff dans ‘’La revanche du nationalisme’’. Taguieff précise que ce néonationalisme n’est nullement « fascistoïde » mais qu’il est, bien au contraire, républicain puisqu’il entend renforcer le pouvoir de contrôle des peuples sur les gouvernements et sur les parlementaires. La popularité du référendum d’initiative populaire au sein des mouvements populistes, en Europe, est le signe majeur de leur républicanisme.
Revendiquer une position nationaliste peut étonner mais le général de Gaulle n’était-il pas essentiellement nationaliste ? Le 13 novembre 1945, il déclarait que ‘’le bien de la patrie est toujours la loi suprême’’, ce qui n’est pas sans rappeler ce que disait le très républicain et très patriote Cicéron : ‘’Salus populi suprema lex esto’’ (Que le bien du peuple soit la loi suprême !). Pour le Général, « l’intérêt supérieur de la France » devait prévaloir sur tout le reste, y compris sur ‘’l’intérêt immédiat des Français’’ (Mémoires de guerre III, page 36) ; dans sa hiérarchie de valeurs, la nation était au sommet, elle était située au-dessus de l’État lequel était lui-même situé au-dessus de la loi (propos tenu à Jean Foyer selon Pierre-Henri Teitgen et Léon Noël).
Contrairement à ce que disait Romain Gary qui opposait le patriotisme au nationalisme, ce dernier n’est pas synonyme de haine des autres. Un nationalisme non dévoyé et mesuré repose sur l’idée que la diversité des nations et des cultures est préférable à l’homogénéisation de l’humanité et que la préférence nationale n’implique pas la haine des autres nations. De plus, de notre point de vue qui est nationaliste et républicain, la nation est le cadre indispensable à l’épanouissement d’une réelle autonomie populaire (ce qui signifie que le peuple décide des lois auxquelles il accepte de se soumettre) et à une solidarité authentique. Les nationalistes considèrent que l’intérêt national doit toujours prévaloir sur les intérêts personnels ou privés ; de ce fait, ils s’opposent clairement aux libéraux. Le citoyen d’une république nationaliste est aussi engagé aux côtés de ses compatriotes pour la pérennité, l’indépendance et la grandeur de la nation que le citoyen d’une démocratie libérale est désengagé et délié de tout lien communautaire.
Les nationalistes se sont parfois égarés dans les impasses du monarchisme et du fascisme, mais, en France, les mouvements nationalistes antirépublicains ont été très marginaux si on les compare au PSF, par exemple, qui comptait plus d’un million d’adhérents en 1939 (ce fut le plus important de tous les partis politiques depuis 1789) et qui était très critique à l’égard de la IIIe République mais qui rejetait les solutions fasciste et monarchiste bien qu’il fût nationaliste. Le général de Gaulle avait lui aussi une très mauvaise opinion de la IIIe et de la IVe Républiques, comme des précédentes d’ailleurs; il ne se référait jamais à la Révolution française et il n’avait pas d’affinités non plus avec les Bonaparte ; l’historien Patrice Gueniffey a souligné le fait que le Général n’avait jamais communié dans le culte de l’empire (‘’Napoléon et de Gaulle’’, page 83) et Frédéric Rouvillois a écrit dans ‘’Les origines de la Ve République’’ : ‘’Du reste, de Gaulle n’eut jamais aucun contact avec un mouvement quasiment éteint, aucune attirance connue pour une « doctrine » à peu près inexistante, et refusera toujours de voir en Napoléon un « modèle », notamment dans l’ordre politique’’ (‘’Les origines de la Ve République’’, page 83).
Les mondialistes de tout poil réduisent le nationalisme « ad hitlerum » mais le nazisme était un racisme. Hitler avait pour objectif, non pas de défendre la nation allemande, mais de créer une race « aryenne » pure, ce qui n’est pas du tout la même chose. Il est vrai que le nationalisme a été instrumentalisé par des ultraconservateurs autoritaires et antirépublicains mais il a aussi structuré de très nombreux mouvements de libération de peuples soumis à des dominations diverses. Le mouvement nationaliste irlandais a libéré le peuple irlandais de la domination britannique, par exemple, et c’était un mouvement républicain (d’ailleurs en Irlande, les nationalistes sont appelés républicains depuis le 19e siècle). L’idée de nation a parfois été dévoyée mais toutes les idées sont dans le même cas. Au nom de l’idée d’égalité, les communistes ont assassiné des dizaines de millions de personnes ; quant aux colonnes infernales, elles ont commis le premier génocide politique de l’histoire en 1793-1794 au nom de la liberté……. L’idée de nation n’est pas plus dangereuse que celles de liberté et d’égalité si elle reste mesurée (les révolutionnaires français et leurs héritiers bolcheviks étaient dans la démesure absolue) et le nationalisme, s’il est associé à un républicanisme mésocratique (Julien Freund), ne peut pas prendre une tournure dangereuse. Les gens de gauche accusait le général de Gaulle d’être un fasciste ; on a vu que toutes ces accusations étaient infondées. Il était certes nationaliste et partisan d’un pouvoir exécutif fort mais il ne s’est jamais comporté comme un chef fasciste et il a considéré jusqu’à sa démission, en 1969, que la volonté majoritaire était un impératif auquel il ne pouvait pas se soustraire.
Un nationalisme respectable ne doit être ni chauvin ni haineux à l’égard des autres peuples ; il doit avoir pour seuls objectifs la pérennité de la communauté nationale, son indépendance et l’excellence de ses réalisations dans tous les domaines. Cicéron qui fut le dernier grand défenseur de la république romaine avait beaucoup de respect pour les autres peuples ce qui ne l’empêchait pas d’être un patriote intraitable. Le premier des objectifs est, pour un républicain comme pour un nationaliste, l’indépendance de la Cité, de la communauté nationale. Or, de nos jours, un très grand nombre de nations, dont la France, sont dominées de plus en plus clairement par des puissances étrangères ou supranationales. Les dominations que nous subissons sont au nombre de cinq : la domination américaine qui s’exerce principalement via l’OTAN et l’industrie culturelle états-unienne; la domination exercée par l’Union Européenne qui est économique, culturelle et juridique ; les dominations exercées par les grands groupes industriels et financiers supranationaux ; enfin, celles des ONG sponsorisées par les milliardaires libéraux-libertaires qui s’exercent souvent via l’Union Européenne ou l’ONU (le « machin », comme disait le Général). Enfin, on ne peut pas passer sous silence un risque de domination directement lié à l’immigration/colonisation : la conquête démographique islamique qui n’est pas une vue de l’esprit, contrairement à ce que répètent en boucle les politiciens et les journalistes progressistes, pourrait aboutir à une domination religieuse et politique puisque l’islam est simultanément une religion et un code juridique qui justifie la domination des Croyants sur les non-croyants. Face à ces puissances qui mettent en péril notre liberté et l’existence même de notre nation, le nationalisme républicain pourrait avoir un rôle clef dans la libération de notre peuple et des autres peuples européens en opposant une double résistance aux activités de ces puissances hostiles : celle du nationalisme qui s’oppose à la disparition des communautés nationales et celle du républicanisme qui, depuis l’Antiquité, a toujours considéré que la première et la plus fondamentale des libertés est l’indépendance de la Cité.