De l’identité à l’identitarisme

Identité « ipse » et identité « idem »

On distingue l’identité personnelle et l’identité de groupe ; l’identité personnelle, dite « ipse », nous permet de nous distinguer de tous les autres êtres humains, d’exister en tant que personne, tandis que l’identité « idem » est ce que nous partageons avec les membres d’une communauté. Nous sommes à la fois uniques (même les vrais jumeaux ne sont pas absolument identiques du point de vue génétique, physique, psychologique…) et semblables aux membres de notre communauté dans la mesure où nous partageons avec eux un territoire, une histoire, un patrimoine, des origines, des institutions, une langue, une culture, des symboles, un mode de vie, de nombreux ancêtres…..

L’identité « ipse », c’est la façon dont chacun d’entre nous se perçoit et se présente aux autres, et dont il est perçu par les autres tandis que l’identité « idem », c’est l’identité collective. En toute rigueur, nous devrions parler de nos identités collectives car nous en avons plusieurs : identité familiale, identité professionnelle, identité religieuse, identité locale ou régionale, identité nationale et identité européenne…. L’identité n’est pas quelque chose d’aussi insaisissable que superflu, comme certains spécialistes des sciences sociales le disent ; la sociologue Liah Greenfeld a écrit : ‘’Aucun humain et aucun groupe ne peut vivre sans identité. Avoir une identité semble être une nécessité psychologique, et c’est pourquoi il s’agit d’une constante sociologique. Par ailleurs, toute identité spécifique s’explique historiquement. Ainsi, l’identité religieuse a longtemps été l’identité la plus importante. A la fin du Moyen Âge, en Europe, cette identité religieuse a été remplacée par une identité nationale’’ (citée par Pierre-André Taguieff dans « La revanche du nationalisme », page 203).

Quant à la sociologue Nathalie Heinich, elle a écrit, dans un ouvrage intitulé ‘’Ce que n’est pas l’identité’’ (Gallimard – 2018), que si l’identité nationale est une construction, elle n’en est pas moins tout sauf une illusion : ‘’Il ne s’agit donc ni d’essentialiser ni de nier l’identité nationale, mais de l’analyser comme une représentation collective, qui à ce titre n’a pas besoin d’être référée à une nature ou à une essence intemporelle pour être existante, et agissante : historiquement construite, contextuelle, idéelle, elle n’en a pas moins des effets concrets et parfois puissants, par le nombre de ses porteurs, par la multiplicité de ses composantes, par les effets d’attachement qu’elle produit et, surtout, par ses ancrages institutionnels’’ (page 34).

Tout être humain a besoin, simultanément, d’une identité « ipse » et d’une identité « idem », d’une identité personnelle et d’une identité collective. Cela répond à la nature humaine laquelle est à la fois individuelle et collective ; nous sommes des êtres sociaux dont les groupes font face à d’autres groupes mais au sein de ces groupes, nous sommes des êtres uniques. L’identité « ipse » correspond au besoin de se distinguer des autres, d’affirmer son unicité au sein du groupe et l’identité « idem » correspond au besoin d’appartenance à un groupe qui est confronté à la malveillance potentielle des autres groupes. Tout être humain est simultanément et inséparablement un individu et le membre d’un organisme social ; il est en tension entre deux tendances antagonistes.

Il existe donc une contradiction entre les deux volets de l’identité mais cette contradiction n’est une contradiction que du point de vue de la logique et, heureusement, comme l’a souligné Nathalie Heinich, pour vivre, les humains ne s’en remettent pas à la logique ; ils vivent avec cette contradiction depuis la nuit des temps et chacun des deux pans de leur identité prend le pas sur l’autre en fonction du contexte. Selon les situations, il peut y avoir un basculement de l’un à l’autre. Par exemple, en période de paix, l’identité « idem » s’affaiblit mais quand une menace extérieure se précise, elle reprend toute son importance. Dans les cultures occidentales qui placent les valeurs liées à l’individu au sommet de leurs hiérarchies de valeurs, l’identité « ipse » a pris une grande importance et l’identité « idem » tend à être niée par les élites, mais, malgré  tout, elle ne disparaît pas.

Le général de Gaulle disait que le peuple français est un peuple de race blanche, de religion chrétienne et de culture gréco-romaine. Il aurait pu ajouter qu’il était de langue française, qu’il occupait un territoire clairement défini…..Une identité collective  est définie par un ensemble spécifique de traits identitaires. Notons que si la France a été pendant longtemps une nation très catholique, ce n’est plus le cas, et le nombre de chrétiens pratiquants s’est effondré depuis 1945, ce qui illustre le fait que l’identité n’est pas figée et qu’elle change au fil du temps ; quand le changement est trop rapide, il provoque des crises identitaires telles que celle dans laquelle nous nous enfonçons depuis une vingtaine d’années. Nos ancêtres ont traversé d’autres crises identitaires, lors de l’arrivée des Francs, par exemple, et avant cela lors de la conquête romaine qui a provoqué des changements culturels et civilisationnels importants ; on peut évoquer aussi l’invasion par les Yamnayas à l’âge du bronze et la colonisation par les agriculteurs anatoliens, au Néolithique, qui furent marquées par un haut niveau de violence, ces deux dernières ayant laissé, et de très loin, le plus de traces dans nos génomes (l’étude « Ancestra » réalisée par l’INRAP a montré que le pool génétique des ancêtres des Français n’a pas changé de     manière significative entre l’âge du bronze et la fin du siècle dernier).

Contrairement à ce que veulent nous faire accroire certains, l’identité n’est donc ni éternelle ni unidimensionnelle. Les cultures, les institutions, les modes de vie et de production…changent et de ce fait, les traits identitaires d’une communauté changent. Les génomes changent aussi, du fait des migrations et de l’évolution génétique qui n’est pas terminée et qui se poursuit du fait de pressions de sélection d’origine culturelle comme l’a brillamment expliqué le biologiste Joseph Henrich.

Nous sommes entrés, depuis deux ou trois décennies, dans une crise identitaire qui est liée à plusieurs facteurs (immigration, mondialisation, américanisation, bouleversement des modes de production et de consommation, diffusion d’idéologies absurdes comme le wokisme, la théorie du genre…) ayant pour effets un brouillage des repères identitaires. On peut comprendre que certains puissent accorder plus d’importance à certains traits qu’à d’autres et être, par conséquent, plus sensibles à certains changements qu’à d’autres mais ceci n’implique pas pour autant qu’on puisse réduire l’identité à un trait unique (une langue, une civilisation, une religion, une culture, une constitution ou un patrimoine génétique).

L’être humain est un être social

Contrairement à ce qu’ont imaginé ou cru les penseurs libéraux depuis le XVIIe siècle, l’être humain a toujours été un être social. La découverte, dans l’est de l’Europe, du crâne d’un vieillard vieux de 1800000 ans dont les dents étaient si usées et en mauvais état que les anthropologues sont certains que cet individu ne pouvait plus se nourrir par lui-même depuis fort longtemps, indique que la solidarité communautaire existait déjà alors. L’anthropologue Joseph Henrich et le biologiste Edward Wilson, entre autres, ont montré que les êtres humains sont fondamentalement des êtres sociaux. Les êtres humains ne sont pas, en général, des égoïstes forcenés ou des psychopathes (même s’il y a incontestablement une minorité de psychopathes : 1 à 2% selon la psychologue étatsunienne Abigail Marsh qui ajoute que 30% des Étatsuniens sont au moins faiblement psychopathiques et que la proportion des parfaits égoïstes est elle aussi de 30% aux USA; il n’en reste pas moins vrai que, selon cette psychologue, la plupart des humains sont plutôt altruistes).

Les êtres humains ont besoin d’appartenir à un groupe ; ce fait est admis par les anthropologues. La professeure d’anthropologie génétique (Muséum d’histoire naturelle) Evelyne Heyer a écrit à ce sujet que des expériences ont mis en évidence une « préférence irrépressible pour son groupe » et que ‘’Depuis longtemps, les anthropologues ont bien documenté que chaque groupe humain a tendance à vouloir se démarquer de ses voisins. Pour ce faire, il va mettre en avant certains critères culturels qui deviendront identitaires’’ (‘’L’odyssée des gènes’’, page 219) et elle ajoute plus loin : « il est un trait qui semble constitutif de la nature humaine : l’ethnocentrisme, le fait de préférer son groupe » (‘’L’odyssée des gènes’’, page 303).

Le besoin d’identité collective  découle très probablement de la « préférence irrépressible pour son groupe » évoquée précédemment dont le corollaire est la distanciation voire la méfiance et l’hostilité à l’égard des autres groupes. La préférence pour son groupe va de pair avec une forte solidarité à l’intérieur du groupe et face aux menaces pouvant venir des autres groupes. Les maux qui frappent les sociétés occidentales (individualisme, déracinement et immigration) créent un trouble identitaire qui est provoqué par un effacement progressif des repères balisant les limites du groupe c’est-à-dire, en l’occurrence, de la communauté nationale.

Un trouble identitaire croissant

Les cultures des Occidentaux sont, depuis plusieurs générations, de plus en plus individualistes et de plus en plus déracinées. Elles sont de plus en plus nettement coupées des patrimoines culturels et des traditions léguées par l’histoire des peuples concernés, ce qui provoque des troubles croissants de l’identité collective. Ces troubles frappent des populations dont l’identité collective est bouleversée par l’affaiblissement ou la disparition de certains traits  identitaires importants. Dans le cas des Occidentaux, le déracinement, qui est endogène, est une des causes d’un tel affaiblissement ; il est lié à la volonté progressiste de rupture avec le passé. Ainsi, l’ancien ministre socialiste Vincent Peillon a écrit dans son livre intitulé ‘’La Révolution française n’est pas terminée’’ (Le Seuil, 2008) : ‘’La Révolution française est l’irruption dans le temps de quelque chose qui n’appartient pas au temps, c’est un commencement absolu […..] 1789, l’année sans pareille, est celle de l’engendrement par un brusque saut de l’histoire d’un homme nouveau […..]. La Révolution implique l’oubli total de ce qui précède la Révolution. Et donc l’école a un rôle fondamental, puisque l’école doit dépouiller l’enfant de toutes ses attaches pré-républicaines’’. Et dans le Journal du Dimanche du 2 Septembre 2012, il précisait sa pensée en déclarant que le rôle fondamental de l’école consistait à ‘’arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel, pour après faire un choix’’. On retrouve là un des projets des révolutionnaires de 1789/1799 (Le Peletier de Saint Fargeau notamment) qui visait à « nationaliser » les enfants, à les élever et les éduquer dans des institutions collectives d’État de façon à couper les racines qui les lient au passé (lire à ce sujet ce qu’a écrit Mona Ozouf dans ‘’Le dictionnaire critique de la Révolution française’’). Ce genre de projet est toujours d’actualité, certains envisageant même de tirer au sort les bébés dans les maternités (Yann Moix !) de façon à mettre un terme à l’enracinement familial.

Au déracinement s’ajoute, depuis 1945 surtout, le déferlement des idées et des modes venues des Etats-Unis, lesquels sont l’épicentre de la culture occidentale individualiste et « progressiste ». Toutes les modes intellectuelles délétères sont venues, depuis les années 1960,  des milieux libéraux des campus étatsuniens. On peut dire de cette culture américaine contemporaine qu’elle est libérale/libertaire (libérale en matière d’économie et libertaire, c’est-à-dire hyper-individualiste, cosmopolite et hédoniste, pour le reste). 

Enfin, cerise sur le gâteau, l’immigration de masse que nos dirigeants nous infligent depuis 50 ans a eu pour but, à l’origine, de fournir aux entreprises de la main d’œuvre docile et bon marché (démarche propre au libéralisme économique) mais elle a désormais pour objectif, en plus, de briser l’homogénéité ethnoculturelle des populations autochtones. Le multiculturalisme, qui fait partie désormais du corpus progressiste, a pour but de pulvériser cette homogénéité. Précisons que le multiculturalisme est porté, en France, par la gauche, libéraux compris (et en Grande-Bretagne par le nouveau roi, entre autres) ; sur ce point important, Mélenchon et Macron sont en parfait accord.

Individualisme, déracinement et immigration sont à l’origine du trouble croissant de l’identité collective qui gagne tous les peuples européens. Les communautés d’appartenance léguées par l’histoire se liquéfient très rapidement, ce que perçoivent la plupart de nos compatriotes, comme le montrent de nombreuses enquêtes, et une partie désormais majoritaire de nos compatriotes regrettent la société beaucoup plus homogène du passé.

De l’identité à l’identitaire

Pour faire disparaître ce trouble de l’identité collective, il faut restaurer une  homogénéité qui s’évanouit de plus en plus rapidement, ce qui implique de lutter contre l’individualisme et ses avatars (cosmopolitisme, libéralisme…), pour le ré-enracinement dans notre héritage culturel et contre l’immigration.

La mise en avant du substantif « identitaire » est récente ; c’est un néologisme qui désigne celui qui défend son identité. Il a été créé par un groupe dont les membres s’auto-désignent comme «identitaires » et attribuent à ce qu’ils appellent « identité » une permanence multiséculaire que n’ont pas les cultures. En effet, les cultures changent au fil du temps même si certains de leurs éléments traversent les âges tandis que d’autres disparaissent et sont remplacés par des innovations ou des emprunts à d’autres cultures. Que reste-t-il dans les cultures occidentales, par exemple, de l’idéologie trifonctionnelle liée aux langues indo-européennes, selon Georges Dumézil ? Rien. Par contre, le droit romain est toujours présent dans les systèmes juridiques occidentaux même si son importance décroît selon le philosophe du droit Michel Villey.

Quand ces mêmes « identitaires » ont proclamé ‘’l’identité c’est la génétique’’, on a alors bien compris ce qu’ils mettent derrière le mot ‘’identité’’. Le génome change moins vite que les cultures et, en première approximation, il semble inaltérable, en l’absence de mélanges ethniques, mais il y a des mutations à chaque génération et des changements de fréquences de certains gènes tout au long de l’histoire. En effet, l’évolution humaine n’est pas définitivement arrêtée ; elle se poursuit et les changements culturels induisent souvent des pressions de sélection qui se traduisent par des modifications de la fréquence de certains gènes qui de rares peuvent devenir majoritaires (c’est le cas des allèles des gènes qui permettent de transformer le lactose, par exemple ; ces allèles se sont diffusés massivement au sein des populations d’éleveurs consommateurs de lait dont une partie des populations européennes mais aussi africaines). Selon le biologiste Joseph Henrich, les pressions de sélection d’origine culturelle sont extrêmement puissantes et elles constituent même ‘’la force centrale qui guide l’évolution génétique humaine depuis des centaines de milliers d’années, voire davantage’’ (« L’intelligence collective » ; page 447).

Réduire l’identité à la génétique et faire abstraction de toutes ses autres dimensions, notamment culturelles, est absurde. Sauf si l’on considère que la culture n’est qu’un reflet du génome, ce qui ramène à l’idéologie « völkisch » de sinistre mémoire. On n’ose pas imaginer que les « Identitaires » puissent reprendre à leur compte les inepties qui ont structuré l’idéologie du IIIe Reich laquelle affirmait que la culture n’est qu’une expression du « sang » !

L’existence de liens éventuels entre génétique et culture n’est pas établie à ce jour. Toute affirmation d’un lien fort entre elles relève de la foi, dans l’état actuel de nos connaissances. L’anthropologue et généticienne Evelyne Heyer a écrit : ‘’En fait, comme nous le verrons par la suite, il n’est pas rare de trouver un tel découplage entre génétique et culture : des différences génétiques fortes peuvent être associées à des similarités culturelles ou l’inverse’’ (‘’L’odyssée des gènes’’, page 100). Les langues, en particulier, qui sont des éléments essentiels de l’identité des peuples, peuvent être parlées par des peuples très différents d’un point de vue génétique.

Le type physique, qui est incontestablement un élément de l’identité collective dans certains cas, est lié à la génétique, mais il faut préciser que les différences observables dans ce domaine ne sont pas intégralement d’origine génétique (les différences de taille, qui sont très fortement héritables, le sont à hauteur de 80% mais d’autres différences physiques le sont beaucoup moins).

Les différences psychologiques tout comme les différences de tempérament, de personnalité et de comportement sont, elles aussi, en partie au moins, d’origine génétique. Les psychologues anglo-saxons (Plomin, Pinker, Mac Clearn, Bouchard, Loftus, Cloninger, Hubel….), tout particulièrement, ont constaté que les traits psychologiques et comportementaux ont tous une dimension héréditaire (50% en moyenne mais ce pourcentage varie d’un trait à l’autre). On peut donc raisonnablement penser qu’il peut y avoir des différences  psychologiques et comportementales entre les différentes populations. Le paléo-généticien de Harvard David Reich a d’ailleurs annoncé dans son dernier livre que des travaux dont les conclusions remettent en cause le discours « politiquement correct » de la « table rase », lequel affirme l’uniformité universelle des tendances psychologiques et comportementales, donneront lieu à des publications au cours des prochaines années. Dans son ouvrage intitulé ‘’Comment nous sommes devenus ce que nous sommes’’ (Editions Quanto – 2019), il a écrit : ‘’Nous devons nous préparer à faire face aux résultats que les études génétiques nous apporteront ces prochaines années. Car elles risquent bien de révéler que les traits comportementaux et cognitifs sont influencés par la variation génétique, et que ces traits diffèrent en général entre les populations humaines, tant du point de vue de la moyenne que de la variation. Même si nous ne connaissons pas encore ces différences, nous devons être prêts à envisager leur existence et à revoir notre conception des choses, plutôt que de les nier en bloc, au risque de nous retrouver pris au dépourvu lors de leur découverte. Il serait tentant, à la suite de la révolution du génome, de se réfugier dans les évidences et d’invoquer les apports génétiques qui se sont succédé au fil du temps pour décréter que les différences entre les populations sont forcément dérisoires. Nous aurions tort de suivre cette voie car, si nous choisissions deux personnes au hasard sur la planète, nous constaterions que bon nombre de leurs lignées respectives sont restées suffisamment longtemps isolées pour présenter des différences biologiques moyennes considérables’’ (page 320). Et il ajoute que la révolution génomique en cours met à mal l’orthodoxie instaurée il y a cinquante ans, car elle apporte ‘’des preuves tangibles qu’il existe des différences non négligeables entre les populations’’ (page 303). Attendons donc la publication de ces travaux, mais on peut cependant affirmer que, quoi qu’il en soit, les différences psychologiques entre populations ne sont certainement pas intégralement d’origine génétique et que ces différences psychologiques et comportementales n’expliquent pas la totalité des différences culturelles, comme l’illustre le cas des langues.

A défaut d’un lien très fort entre génétique et culture, on peut néanmoins envisager l’influence de certains traits psychologiques, tempéramentaux et comportementaux sur la culture ; dans le cas de traits très fortement héritables, il pourrait y avoir une incidence non négligeable de la génétique sur la culture. Selon Tellegen et Eaves (« Des gènes au comportement »), le « traditionalisme » (compris comme attachement aux attitudes et aux croyances) est une tendance psychologique  héréditaire à hauteur de 50% ; il se peut donc que ce trait ne soit pas présent de manière uniforme et que certains peuples soient plus « traditionnalistes » que d’autres, ce qui n’est pas neutre et qui peut orienter, en partie, les développements culturels et peut-être même les préférences politiques.

Mais, encore une fois, ce ne sont que des hypothèses et quoi qu’il en soit, réduire l’identité à la génétique n’est pas soutenable. L’identité collective peut probablement être liée pour une part au substrat génétique mais elle n’est pas que génétique, loin s’en faut.

Une identité européenne ?

 Les ‘’Identitaires’’ issus de la Nouvelle Droite sont des européistes dont l’action vise à la création d’un empire post-national des régions d’Europe. Ils ont d’abord mis en avant une prétendue civilisation européenne contemporaine dont on attend toujours une définition. S’il y eut dans le passé une culture strictement européenne, ou presque, ce fut la culture chrétienne, dans laquelle, d’ailleurs, ils ne se reconnaissent pas, mais cette culture n’est plus spécifiquement européenne depuis plusieurs siècles et, par ailleurs, si l’on en croit la philosophe catholique traditionnaliste Chantal Delsol, la civilisation chrétienne d’Europe ou Chrétienté est morte (« La fin de la Chrétienté »). La culture grecque et la culture romaine n’ont jamais été des cultures paneuropéennes. Elles ont, certes influencé les cultures des différents peuples européens, mais du temps de leur grandeur elles ne concernaient qu’une part minoritaire des Européens. Dire de ces cultures qu’elles furent des cultures européennes est abusif parce qu’il y avait en Europe pendant l’Antiquité d’autres cultures, et même d’autres civilisations (gauloise, germanique, scythe….) que les Grecs et les Romains considéraient comme barbares.

S’il y eut une civilisation industrielle spécifiquement européenne au 18e et surtout au 19e siècle, cette spécificité s’est désormais évanouie. La civilisation occidentale de production et de consommation de masse s’est étendue à la quasi-totalité des peuples. Parler de civilisation européenne en 2022 n’a donc plus aucun sens (Rappelons que, selon Claude Lévi-Strauss, les activités de production, l’agriculture, l’industrie…..constituent la civilisation qu’il distinguait de la culture : arts, religion, philosophie, éthique, institutions….). Il n’y a donc plus de civilisation spécifiquement européenne, par contre, il y a toujours des cultures nationales et parfois régionales, en Europe. Ces cultures se sont influencées les unes les autres de manière asymétrique et inégale. Certaines cultures ont eu beaucoup d’influence sur les autres (les cultures grecque, romaine, italienne, française, anglaise et allemande) et les autres très peu. Ces influences croisées sont à l’origine des parentés incontestables qui existent entre les cultures nationales d’Europe.

Certains « Identitaires » ont cru trouvé dans les origines « indo-européennes » le fondement d’une identité multimillénaire, à la fois culturelle et génétique. La dimension culturelle de cet héritage serait double, selon eux : linguistique et « idéologique » (au sens dumézilien du terme). Mais, d’une part, comme nous l’avons déjà dit, il ne reste rien de l’ « idéologie indo-européenne » dans les cultures occidentales et d’autre part les langues indo-européennes sont parlées par des peuples non européens (Américains du nord, du centre et du sud ; Australiens et Néo Zélandais ; Indiens ; Iraniens…..) ; l’indo-européanité linguistique n’est donc pas spécifiquement européenne.

 Par ailleurs, force est de constater que, la part d’origine « indo-européenne » (yamnaya) dans les génomes des Européens contemporains est comprise entre 0 et 50% ; elle est très variable du nord-est au sud-ouest de l’Europe. Par ailleurs, les paléo-généticiens nous ont appris récemment que les Yamnayas étaient eux-mêmes issus d’au moins deux hybridations et qu’ils ne constituaient donc nullement une « race pure ». Les génomes des Européens contemporains sont des mix d’éléments ayant des origines différentes : les génomes des chasseurs-cueilleurs du Paléolithique, ceux des agriculteurs anatoliens du Néolithique, ceux des éleveurs nomades yamnayas et enfin, pour 2% environ, ceux des hommes de Néandertal. Les parts respectives de ces éléments dans ces mix varient d’un bout à l’autre de l’Europe.

Notons au sujet des Yamnayas que contrairement à ce qu’a pu écrire le linguiste Jean Haudry (« Les Indo-Européens »), auxquels se réfèrent souvent les « Identitaires », quant à la blondeur, à la pâleur et aux yeux bleus des Indo-Européens, le paléo-généticien Wolfgang Haak (paléo-généticien de l’Institut Max Planck d’anthropologie) a découvert qu’ils avaient des cheveux et des yeux bruns et que leur peau était modérément claire. Par contre ils étaient plus grands que les autres peuples qui vivaient en Europe à l’Âge du bronze.

Les « Identitaires » affirment l’existence d’une identité européenne qui serait de nature génétique et qui ne serait donc pas une construction mais un fait héréditaire. Par delà leurs errements actuels, les Européens recèleraient dans chacune de leurs cellules un code culturel qui n’attendrait que des conditions favorables pour s’épanouir à nouveau. Tout cela n’est bien entendu qu’une vue de l’esprit. La culture et la civilisation occidentales qui sont les nôtres ne sont pas à leur goût, ni au mien d’ailleurs, mais elles ont été créées par les Européens et par leurs cousins d’Amérique du nord. On a le sentiment qu’à défaut d’avoir réussi à définir une identité culturelle ou civilisationnelle européenne (il y a, en Europe, des cultures nationales, et parfois régionales, mais il n’y a pas plus de culture européenne qu’il n’y a de peuple européen), ils se sont rabattus sur la génétique en pensant avoir trouvé le fondement incontestable d’une paneuropéanité. Selon eux, la génétique permettrait de distinguer clairement qui est européen de qui ne l’est pas mais ce n’est pas ce qu’ont constaté les généticiens. Par exemple, les Italiens du sud sont génétiquement aussi proches (en moyenne) des Palestiniens que des Suédois. Faut-il donc considérer que les Palestiniens sont des Européens ? La distance génétique entre les Russes et les Grecs est 2 fois plus importante que celle qui existe entre ces derniers et les Palestiniens (selon ChaoTian). Faut-il pour autant exclure les Grecs du club européen ?

Ce que disent les généticiens (voir le livre de David Reich, pages 128 et 129) c’est que les distances génétiques entre, d’une part, l’ensemble comprenant les Européens, les Nord-Africains, les habitants du Moyen-Orient, d’Iran, d’Afghanistan, de Turquie…. et, d’autre part, les populations d’Afrique subsaharienne ou les populations d’Asie, sont beaucoup plus grandes que les distances génétiques qui existent au sein de chacun de ces trois ensembles de populations (on disait, dans le passé, race blanche, race noire, race jaune).

On pourrait certainement définir un groupe génétique européen en choisissant certains marqueurs très fréquents chez les Européens mais on peut aussi bien définir un groupe comprenant toutes les populations à la peau blanche citées précédemment (qui ne sont pas toutes européennes, loin s’en faut) ou un groupe scandinave ou encore un groupe « Pays de la Loire » (ce qu’a fait le laboratoire étatsunien 23andme) ! Les limites d’un groupe génétique dépendent des marqueurs choisis. Dans un tel groupe « européen » on trouverait, en plus des Européens, les Euro Américains, les Australiens….mais aussi des Turcs, des Algériens….Bref, l’identité génétique européenne, dont les « Identitaires » pensent qu’elle est une réalité aussi objective qu’immémoriale, s’avère avoir des limites floues en plus d’être variable dans le temps. Il y a toujours eu des migrations et des flux génétiques qui modifient le mix génétique des populations. Les ancêtres des Européens actuels ont connu deux grands changements génétiques depuis le Paléolithique: il y a 8000 ans (arrivée des agriculteurs anatoliens) et il y a 5000 ans (arrivée des éleveurs nomades yamnayas) ; nous sommes confrontés à un troisième grand changement depuis 1970 !  Et le fait que des peuples installés loin de l’Europe partagent avec les Européens, surtout ceux d’Europe du nord-ouest, un même stock génétique suffit à ruiner l’idée d’une identité génétique qui serait spécifiquement européenne. Précisons que nous ne considérons pas que le changement en cours soit une bonne chose ; les bouleversements génétiques sont toujours consécutifs à des invasions douloureuses. Depuis l’âge du bronze, il n’y avait pas eu de modification substantielle de la population vivant dans ce qui est aujourd’hui la France, selon les résultats du projet Ancestra de l’INRAP, et nous ne nous réjouissons pas des changements en cours, bien au contraire parce qu’ils créeront de très gros problèmes dans un avenir très proche ; ils en créent déjà d’ailleurs.

La force de l’identité

Une identité collective est d’autant plus résiliente qu’elle est constituée de nombreux traits ; un peuple dont les membres partagent un très grand nombre de traits est très homogène et cette homogénéité se traduit par une grande solidarité interne et une grande confiance entre ses membres (selon Alesina et Glaeser, la confiance diminue avec l’hétérogénéité ethnique). Les peuples scandinaves étaient très homogènes avant l’arrivée massive de populations allogènes à la fin du XXe siècle;  ils avaient aussi des systèmes sociaux très développés, des mœurs politiques exemplaires et leurs sociétés étaient très sûres.

A contrario, les peuples dont les membres ne partagent que peu de traits identitaires ont des identités collectives fragiles. Le cas du Liban, qui est en train de se désintégrer sous nos yeux, illustre parfaitement ce fait. Le projet « progressiste » visant à associer des individus d’origines et de cultures diverses autour d’une constitution, laquelle serait le seul lien entre ces individus, conformément aux principes énoncés par le philosophe allemand J. Habermas conduit au chaos et à la désintégration des sociétés et des nations occidentales. Les agrégats humains hétérogènes sont déchirés par des conflits politiques que rien ne peut limiter. Nous savons que les émotions rassemblent et que les idées divisent ; un Etat dont le patriotisme ne serait qu’un « patriotisme  constitutionnel » (Habermas) et dont les membres ne partageraient pas d’émotions liées à une communauté historique, à une culture et à un patrimoine communs, se disloquerait rapidement. Ce qui permet à des personnes ayant des idées et des croyances différentes de cohabiter de manière pacifique et solidaire, c’est le sentiment d’appartenance à une même grande famille et donc le partage de nombreux traits identitaires. La paix civile, la solidarité et la démocratie ne peuvent exister que dans le cadre de communautés dont les membres partagent une identité collective forte.

L’identité collective est certes une construction dont certains éléments peuvent être purement imaginaires ou mythiques (mythes des origines en particulier) mais elle  s’appuie sur des réalités (langue, territoire, histoire, culture, institutions politiques, modes de vie…..). Contrairement à ce que disent ses détracteurs, l’existence d’éléments imaginaires ou mythiques ne la fragilise pas ; bien au contraire, ils peuvent lui donner de la force, comme l’a écrit la sociologue Nathalie Heinich (dans ‘’Ce que n’est pas l’identité’’).

Les tenants de la doxa dominante, individualiste et mondialiste, affirment de manière récurrente que l’identité n’est qu’une création, un artifice, une illusion par conséquent, qui sous-tend le nationalisme et qui mène bien sûr à la guerre. Pierre-André Taguieff a écrit à ce sujet dans un article intitulé ‘’Être français’’ (revue Dogma): ‘’On reconnait le geste idéologique que Marcel Gauchet a baptisé naguère, ironiquement, l’ « inexistentialisme ». D’une façon générale, les identités collectives sont dénoncées comme des illusions « essentialistes », qu’il s’agit de dissiper. Il n’y a donc pas à s’interroger sur les modes d’existence de telles fictions nuisibles : nations, cultures, ethnies, civilisations, etc. Ni sur les besoins psychosociaux qu’elles satisfont. De telles fictions seraient en réalité des constructions provisoires, des produits instables de « métissages » permanents ou d’ « hybridations » incessantes. Les historiens les étudient dans une seule perspective : leur « création » ou leur « invention ». Inventions ou créations historiques, les identités nationales ne sont pas seulement épinglées pour leur contingence. Elles seraient avant tout des illusions dangereuses, à dénoncer comme telles. C’est là un travers ordinaire des intellectuels occidentaux qui, depuis les années 1970, s’exercent pieusement à faire disparaître les objets qu’ils n’aiment pas ou qui ne font pas partie de leur paysage mental’’.

A contrario, la sociologue Nathalie Heinich pense que, bien qu’étant une construction (une construction qui emploie des éléments très réels et d’autres qui le sont beaucoup moins, voire mythiques) l’identité est tout sauf une notion inconsistante dont il vaudrait mieux se débarrasser. D’ailleurs, les identités disparaissent mais d’autres identités naissent et les remplacent ; on ne peut pas s’en débarrasser parce que l’identité collective est une disposition naturelle de l’être humain qui n’est pas qu’un être « ipse » comme le rêvent les progressistes, il a besoin aussi d’une identité « idem » parce que sa nature profonde est eu-sociale (Edward Wilson) et qu’il a besoin, pour s’identifier avec les membres de sa communauté, de partager avec eux, un ensemble de signes qui sont autant de liens qui la rendent résiliente. Ces signes permettent aussi de distinguer la communauté des autres communautés ; ce sont des balises identitaires qui jalonnent les frontières de la communauté.

Conclusion

Les Identitaires ont réussi à imposer le mot « identité » dans le débat public et il a été repris par la plupart des « nationistes » en lieu et place des mots nation et culture. Cette manipulation sémantique a été initiée par les Identitaires européistes qui n’aiment pas le mot nation puisqu’ils militent pour une Europe post-nationale, pour un empire des régions d’Europe. Quant à la culture, ils affirment depuis un demi-siècle l’existence d’une culture ou d’une civilisation européenne dont on ne sait toujours pas ce qu’elle est vraiment ; ils ont constaté que ce thème d’une culture européenne n’a jamais percé. D’où l’idée qu’ils ont eu d’utiliser le mot identité.

L’utilisation de ce mot banal et non connoté leur a permis d’étendre leur cercle à certains amoureux de la France qui n’ont pas perçu ce qui se cachait derrière ce mot anodin et il est désormais utilisé par tous les « nationistes » y compris ceux qui sont résolument hostiles à toute idée d’empire européen. C’est une opération réussie de manipulation sémantique.

Nous l’avons déjà dit, l’identité telle qu’ils l’entendent renvoie à la génétique. Ils pensent qu’à défaut d’unité historique, linguistique et culturelle, l’Europe est fondée sur un patrimoine génétique commun (je renvoie à l’article de Nicolas Faure ‘’L’identité d’un peuple c’est sa génétique’’ publié sur le site Polémia le 27 septembre 2019), ce qui n’est pas exact ; comme nous l’avons vu, d’une part, il n’y a pas de frontières « génétiques » de l’Europe et, d’autre part, au sein de l’Europe, le mix génétique varie beaucoup du nord-est au sud-ouest.

Cette idée pose problème parce qu’elle réduit l’identité collective  à la seule génétique, ce qui est aussi inexact qu’inacceptable. Certes, la génétique est, dans une certaine mesure, à l’origine de nos caractéristiques physiques, psychologiques et comportementales, mais notre identité collective c’est aussi une histoire (qui varie d’un pays à l’autre ; il n’y a pas d’histoire d’un peuple européen qui n’a jamais existé), des mœurs, une façon de vivre, des institutions, une langue, une culture…..qui varient d’un pays à l’autre même si, depuis 1945, les façons de vivre, les mœurs et les cultures européennes sont progressivement « grand-remplacées » par des mœurs,  une façon de vivre…….venues des États-Unis. Ce grand remplacement culturel d’origine américaine tend à unifier culturellement l’Europe en en faisant un prolongement des États-Unis, ce qui est catastrophique mais ne semble pas inquiéter la plupart des Identitaires.

Si la réduction de notre identité collective à la génétique n’est pas soutenable, sa réduction à telle ou telle caractéristique de la France du passé ne l’est pas davantage. La France de 2022 n’est pas plus indo-européenne que gauloise, féodale ou monarchique. Elle n’est même plus chrétienne, même si ses villes et ses villages portent encore de très nombreuses empreintes de son passé chrétien. Dans son identité actuelle, il y a beaucoup de choses qui déplaisent à certains et je fais partie de ceux-là, mais nous ne pouvons que l’accepter comme elle est, défigurée par de nombreux apports et innovations fort regrettables, en espérant qu’un jour elle retrouvera un visage qui nous conviendra mieux.

L’utilisation du mot « identité » en lieu et place des mots « nation » et « culture nationale » n’est pas satisfaisante parce que ce qu’il s’agit de préserver c’est notre nation, son indépendance, sa langue, son mode de vie, sa culture, ses mœurs…… L’identité nationale n’est que le reflet de ces derniers. Pérennisons-les et notre identité le sera également, mais n’oublions pas que, même si l’installation de communautés musulmanes doit être stoppée et même inversée, l’américanisation  de notre pays transforme notre culture en profondeur et, de ce fait, transforme aussi notre identité. Qui plus est, la culture américaine est le principal vecteur de l’individualisme, du mondialisme, de l’immigrationnisme et du multiculturalisme contemporains qui détruisent nos nations !

Il est évident que l’immigration détruit l’homogénéité ethnique et culturelle de nos pays ce qui crée de très gros problèmes mais face à cette invasion souhaitée par nos gouvernants et par ceux de l’Union Européenne, il n’est nul besoin d’invoquer notre identité parce que c’est notre nation et ses attributs qu’il s’agit de sauver. Sauvons notre nation et notre identité nationale suivra.

BG
Author: BG

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