De l’anthropologie à la politique

Certains lecteurs seront sans doute étonnés de trouver ici, un article consacré à certaines avancées récentes de la science anthropologique et d’autres sciences connexes (éthologie, biologie, psychologie, neurobiologie), mais il nous a semblé indispensable d’aborder le sujet important qu’est la nature humaine. L’existence de cette dernière a été niée depuis le XVIIIe siècle par le courant intellectuel et politique que nous pouvons qualifier de « progressiste ». Le progressisme, qui fut d’abord libéral avant de se diversifier en plusieurs branches (libérale, socialiste, communiste, anarchiste….) est avant tout un « émancipationnisme » comme l’a écrit Pierre-André Taguieff. La lutte pour l’émancipation a d’abord été dirigée contre le christianisme mais elle s’est étendue progressivement à la lutte contre la société de castes de l’ancien régime puis contre toute forme d’autorité (celles des parents, des maîtres d’école, des officiers, de l’État…….) et de hiérarchie. Il ne s’agit pas de faire l’apologie de l’autoritarisme ou d’une société constituée de castes très hiérarchisées, mais d’affirmer que l’autorité est nécessaire et que les hiérarchies sont inévitables et même nécessaires dans certain cas (les hiérarchies parents-enfants, maîtres-élèves, officiers-soldats, État-citoyens….par exemple). Bien évidemment, l’autorité des uns et des autres doit être mesurée et sous contrôle du corps civique ; les hiérarchies, dans une république, ne sont pas absolues et doivent être elles aussi sous contrôle, mais elles sont nécessaires contrairement à ce que pensent les progressistes qui militent pour leur disparition.

Dès le XVIIIe siècle, les partisans des « idées nouvelles » niaient l’existence d’une quelconque nature humaine qui aurait limité la satisfaction des désirs individuels et la « Liberté de l’individu souverain » ; les progressistes décidèrent donc qu’il n’y avait pas de nature humaine. Une bonne partie d’entre eux sont restés sur cette ligne jusqu’à nos jours, tout particulièrement en France où la doxa de la « tabula rasa » continue d’irriguer les médias et les universités. Or, pendant que nos idéologues persistaient dans leur aveuglement, les anthropologues, les éthologues, les neurobiologistes, les psychologues……ont cherché et ont trouvé. La nature humaine existe bel et bien, contrairement à ce que pensaient les ténors révolutionnaires, Condorcet en tête lequel croyait à la théorie de la transmission des caractères acquis qui sera partagée par tous les progressistes y compris les communistes soviétiques ; ces derniers fondèrent leur « agriculture prolétarienne» sur cette théorie, adaptée par le théoricien agro-stalinien Lyssenko à l’agronomie, qui provoqua la ruine de l’agriculture soviétique.

Depuis l’essor de l’éthologie, au cours des années 1960 et 1970, le débat a été très vif entre, d’une part, les tenants d’une nature humaine et, d’autre part, leurs confrères progressistes qui défendaient les thèses environnementaliste (béhavioristes). Les idéologues occupent tous les terrains y compris celui des sciences qui a ressemblé par moments à un ring de boxe, voire même pire encore.

Les progressistes ont une conception très particulière des humains dont ils pensent qu’ils ne sont, lors de leur naissance, que des tablettes de cire vierge sur lesquelles on peut inscrire un logiciel ou un autre. Les humains ne seraient que des contenants dans lesquels des ingénieurs sociaux peuvent déverser un contenu conforme à l’idée qu’ils se font des hommes. Leur démarche ne vise pas à la compréhension de ce qu’est l’être humain mais à la fabrication d’humains idéaux répondant aux canons de leur idéologie. Konrad Lorenz, qui fut un des fondateurs de l’éthologie, avait dénoncé cette illusion sur laquelle repose le progressisme, illusion qui a fait des ravages dans notre société, en particulier au sein des institutions éducatives.

Tous les philosophes qui se sont intéressés à la politique ont réfléchi à ce qu’est l’homme, Aristote bien sûr mais aussi Cicéron, comme nous le verrons plus loin, et beaucoup d’autres. Toute théorie politique, pour être pertinente, doit reposer sur une bonne connaissance de ce qu’est l’homme. Les idéologies reposant sur des connaissances erronées en matière d’anthropologie ont échoué et/ou ont mené à des désastres ; il suffit, pour s’en convaincre, de penser aux Soviétiques qui prétendirent créer un homme nouveau, dont le niveau intellectuel aurait été celui d’Einstein, en améliorant les conditions de vie ou aux nazis dont les théories raciales, qui étaient infondées, furent à l’origine de massacres inouïs. Une bonne politique ne doit pas être idéologique mais réaliste, c’est-à-dire qu’elle doit s’appuyer sur des observations de qualité. Aristote, Cicéron, Machiavel et Julien Freund, étaient convaincus de cela.

Ethnocentrisme et altruisme

’L’altruisme authentique est fondé sur un instinct biologique pour le bien commun de la tribu, mis en place par la sélection de groupe et qui a permis aux groupes d’altruistes dans la préhistoire de l’emporter sur les groupes d’individus désorganisés par l’égoïsme. Notre espèce n’est pas celle de l’homo economicus’’.  Edward O. Wilson (« La conquête sociale de la Terre » ; page 321)

Le biologiste américain Edward O. Wilson est un entomologiste de réputation mondiale qui s’est illustré par ses recherches et réflexions concernant les insectes sociaux et l’évolution des espèces. Doté d’une grande créativité et d’un courage intellectuel remarquable, il n’a pas hésité à dénoncer l’inexactitude des théories environnementalistes (béhavioristes) qui niaient l’innéité d’un très grand nombre de comportements animaux et humains (dont les comportements sociaux). Ses prises de position lui ont valu, au cours des dernières décennies du 20e siècle, de subir le dénigrement et l’acharnement haineux de la plupart des journalistes mais aussi de certains scientifiques tels les ‘’radical scientists’’ dont les motivations étaient idéologiques. Edward Wilson a publié en 2012 un ouvrage d’une grande importance  qui traite de l’apparition de l’eu-socialité, une particularité comportementale dont les humains ont hérité tout comme un très petit nombre d’espèces d’insectes (fourmis, abeilles, guêpes, termites….).

L’eu-socialité

L’eu-socialité est une caractéristique qu’un très petit nombre d’espèces, dont l’espèce humaine et les insectes sociaux, ont en commun. Les comportements qui permettent d’identifier les espèces eu-sociales sont les suivants : construction d’un ‘’nid’’ (lieu de vie commune et d’élevage des jeunes) dont la défense contre les concurrents, les prédateurs et les parasites fait l’objet d’une activité permanente ; coopération altruiste qui contraint les individus à sacrifier une partie de leurs intérêts à l’intérêt du groupe ; division du travail au sein de la colonie et cohabitation de plusieurs générations. L’eu-socialité est une innovation génétique majeure puisque les espèces eu-sociales (humains et insectes sociaux) dominent aujourd’hui la biosphère.

Edward Wilson a fait partie des biologistes qui pensaient, au cours des années mille neuf cent soixante et suivantes, que la théorie de la sélection de parentèle était susceptible de rendre compte de l’existence de l’eu-socialité chez certaines espèces dont la nôtre. La proximité génétique des membres de certaines sociétés animales pouvait être une explication de leur dévouement parfois extrême au service du groupe ou de la colonie ; en effet, ceux des membres qui, du fait de leur dévouement, ne peuvent pas se reproduire, participent à la reproduction de leurs parents génétiques et donc à la diffusion des gènes qu’ils partagent avec ces derniers. C’était une théorie séduisante à laquelle avaient adhéré une grande partie des spécialistes de l’évolution ; elle a été à l’origine d’un très grand nombre d’études qui ont mis en évidence ses insuffisances et ont mené à son abandon.

Les biologistes, dont Wilson, ont alors élaboré une autre théorie qui est celle de la sélection de groupe, laquelle est beaucoup plus cohérente avec les observations qui ont été faites au cours des quatre dernières décennies. Selon cette théorie, la pression de sélection de groupe (un groupe comprend beaucoup de parents génétiques plus ou moins proches mais pas seulement ; une partie de ses membres, les femelles chez les hominidés par exemple, proviennent des groupes voisins. Ces échanges de femelles permettent de limiter la consanguinité) tend à renforcer les comportements qui accroissent les liens entre les membres des groupes. L’existence de la sélection de groupe n’est pas exclusive de la sélection de parentèle laquelle existe chez les humains et permet d’expliquer l’existence de deux comportements universels dans notre espèce : le comportement parental et le népotisme.

Plusieurs niveaux de pression de sélection

Selon Edward Wilson, les humains ont subi, d’une part, une pression de sélection de groupe laquelle a généré toutes les émotions et les comportements innés tendant à renforcer la cohésion interne des groupes (l’altruisme, la coopération, le partage, le sens du devoir à l’égard du groupe et de ses membres…), d’autre part, une pression de sélection individuelle qui a favorisé l’apparition de comportements compétitifs au sein des groupes, mais aussi l’égoïsme, le comportement manipulateur, l’hypocrisie….. et, enfin, une pression de sélection de parentèle qui a généré les comportements parentaux et le népotisme. Il affirme que la plus importante des trois est la première, ce qui implique que les comportements allant dans le sens de l’intérêt des groupes prévalent sur les  comportements profitables à celui des individus mais il y a des conflits entre ces tendances comportementales contradictoires : ’Il y a inévitablement une guerre permanente entre, d’un côté, l’honneur, la vertu et le devoir, produits de la sélection de groupe, et, de l’autre, l’égoïsme, la lâcheté et l’hypocrisie, produits de la sélection individuelle’’ (« La conquête sociale de la Terre » ; page 80). Nous sommes tous traversés par ces conflits mais les tendances à l’altruisme et à l’égoïsme ne sont pas les mêmes chez tous. Comme nous le verrons, certains humains sont nettement plus égoïstes que d’autres et il existe même des égoïstes « purs », les psychopathes, et des altruistes « purs » qu’Abigail Marsh appellent les « altruistes extraordinaires ».

Les humains ne sont pas programmés pour être des individus solitaires, ils vivent en groupes depuis leur apparition et leurs prédécesseurs vivaient déjà en groupes  il y a un million d’années (et au-delà) tout comme le font encore nos plus proches cousins, les grands singes. L’anthropologie individualiste qui irrigue la théorie libérale est donc une pure vue de l’esprit ; il n’y a jamais eu d’individus solitaires qui ont décidé de contracter un pacte social avec d’autres individus tout aussi solitaires ; les humains sont par nature des êtres sociaux comme l’avait bien pressenti Aristote. L’idéologie individualiste qui est au centre de la culture occidentale ne génère nulle part l’apparition d’individus solitaires, y compris dans les sociétés qui en sont les plus imprégnées comme celles d’Amérique du nord au sein desquelles la vie communautaire est intense. Le seul effet, mais il est lourd de conséquences, de l’idéologie individualiste est la destruction de la cohésion des sociétés nationales, ce qui provoque la formation de groupes néo-tribaux.

Les groupes au sein desquels nous avons évolué jusqu’à la révolution néolithique n’excédaient pas quelques dizaines de personnes, une centaine tout au plus (c’est toujours le cas des dernières communautés de chasseurs-cueilleurs). Les grands États et les grandes nations ne sont pas des constructions naturelles, nous n’avons subi aucune pression de sélection allant dans le sens de la construction de très grands groupes (l’explosion démographique de notre espèce est trop récente) ; après la révolution néolithique, quand l’agriculture et l’élevage permirent une forte expansion démographique, la taille des groupes augmenta considérablement et les humains durent trouver des solutions à la croissance importante de la population ; ces solutions furent culturelles ( chefferies, royautés, empires et plus récemment, nations) , ce qui fut possible du fait de la nature particulière des humains dont la programmation comportementale est beaucoup moins rigide que celle des autres animaux, y compris nos proches cousins, les grands singes. Cette relative plasticité du comportement humain a été soulignée par les membres du courant dit de l’ « anthropologie philosophique » dont le membre le plus connu, Arnold Gehlen, a écrit : ‘’Par nature l’homme est un être de culture’’ ; il a nuancé cette affirmation à la fin de sa vie après avoir pris connaissance des résultats des recherches du Prix Nobel de médecine, Konrad Lorenz. Ce dernier, ainsi que le plus talentueux de ses élèves, Irenaüs Eibl-Eibesfeldt, ont en effet montré que les humains ne sont pas aussi « déprogrammés » qu’on le pensait alors et que leur éthogramme comprend un grand nombre de comportements innés dont la plupart, il est vrai, n’ont pas d’orientation très précise, ce qui permet les adaptations culturelles, lesquelles prolongent et complètent nos tendances comportementales innées.

Communauté et solidarité

Les humains sont des êtres sociaux qui ont subi plusieurs pressions de sélection dont la principale est, si l’on en croit Edward Wilson, la pression de sélection de groupe.  Cette pression de sélection est prédominante parce que c’est celle qui nous a permis de survivre dans un environnement hostile (prédateurs, rareté, concurrents). La pression de sélection individuelle, si elle avait été la seule à s’exercer sur nos ancêtres, aurait généré des êtres solitaires moins aptes à relever tous les défis auxquels ils étaient confrontés. Quant à la pression de sélection de parentèle, elle s’exerçait sur des groupes trop petits pour pouvoir les doter de comportements favorables à leur survie. Ces deux types de sélection, individuelle et de parentèle, ont eu malgré tout des effets durables ; la première est à l’origine de la part d’égoïsme qui est en chacun d’entre nous et la seconde permet d’expliquer l’existence du népotisme qui est, lui aussi universel. Chacun d’entre nous est pris dans un nœud de contradictions entre fidélité au groupe, fidélité à sa parentèle et intérêt individuel. Le plus fréquemment, nous arbitrons en faveur du groupe parce que ‘’les individus égoïstes triomphent toujours des individus altruistes mais les groupes d’altruistes triomphent toujours des groupes d’égoïstes’’(« La conquête sociale de la Terre »). Autrement dit, les groupes d’altruistes sont plus aptes à la survie que les groupes d’égoïstes ; de ce fait les gènes qui participent à la formation du comportement altruiste se sont propagés dans toute l’espèce humaine.

Une communauté est un groupe constitué d’individus ayant des liens privilégiés et pratiquant l’entraide et le partage (campement commun, terrains de chasse et de cueillette, partage des produits des opérations collectives, garde du campement et des jeunes…), c’est-à-dire la solidarité. Nous sommes des êtres sociaux solidaires avec  les membres de notre groupe. Communauté et solidarité sont liées. Le rêve socialiste d’une solidarité mondiale  entre individus nomades et sans attaches communautaires est une pure utopie sans fondement anthropologique. Par ailleurs, ceux qui imaginent des communautés dont  les membres se livreraient à une concurrence interindividuelle féroce font fausse route parce que, comme le note Edward Wilson, l’égoïsme est un comportement destructeur des communautés (c’est ce que nous observons dans les sociétés occidentales dans lesquelles la compétition et la recherche de l’intérêt individuel sont devenus des impératifs). En termes politiques, la gauche se fourvoie parce qu’elle veut la solidarité sans la communauté qui a le tort, à ses yeux, de séparer l’humanité en deux : eux et nous ; quant à la droite, elle s’égare parce qu’elle veut la communauté (la patrie) sans la solidarité qui lui est nécessairement associée ! Un patriotisme authentique ne peut qu’être solidaire ; il y a une contradiction insurmontable entre le libéralisme individualiste et nomade, d’une part, et le patriotisme qui est lié à la solidarité des membres d’une communauté particulière, d’autre part.

Bien sûr, les tricheurs (ceux qui profitent de l’altruisme dominant tout en ayant un comportement purement égoïste) sont la plaie des groupes altruistes mais des règles adéquates peuvent permettre de réduire leurs nuisances.

Des groupes aux nations

Contrairement à ce que pensent fréquemment les nationalistes, les nations ne sont pas naturelles ; elles sont des constructions historiques et culturelles mais ce sont les comportements  que la pression de sélection de groupe a favorisés qui ont été mis à profit pour la création de ces très grands groupes que sont les nations, lesquelles sont pensées par leurs membres comme des groupes étendus. Ces très grands groupes n’auraient pas pu être fondés à partir de comportements égoïstes (ou à partir de « l’amour de soi » comme le prétendait Rousseau). L’existence des nations repose sur l’existence de comportements innés de solidarité (altruisme et partage) avec les membres du groupe d’appartenance.

Evelyne Heyer, qui est professeure d’anthropologie génétique au Muséum d’histoire naturelle, a écrit dans un livre intitulé « L’odyssée des gènes » : ‘’En revanche, il est un trait qui semble constitutif de la nature humaine : l’ethnocentrisme, le fait de préférer son groupe. Dans la plupart des sociétés, il existe un terme valorisant pour définir son propre groupe (l’endogroupe) et dépréciatif pour désigner les « autres », ceux extérieurs à son groupe. La psychologie sociale a même défini le concept de « groupe minimal », c’est-à-dire la définition minimale d’un groupe pour que ses membres éprouvent un sentiment d’appartenance au dit groupe’’ (« L’Odyssée des gènes » ; page 303). Et elle a ajouté : ’’Pourquoi l’espèce humaine est-elle « ethno-centrée » ? En termes évolutifs, une explication raisonnable est qu’il vaut mieux partager ses ressources avec quelqu’un de son groupe, qui pourra dans le futur vous rendre la pareille. Ce mécanisme de réciprocité fait de nous un être social particulièrement doué pour la coopération. Plusieurs travaux tendent à montrer que les personnes les plus coopératives seraient valorisées et rendues plus attractives pour la reproduction. Visiblement, l’évolution nous a amenés vers une voie qui nous permet de vivre en grands groupes, de coopérer même avec des individus qui ne nous sont pas apparentés’’ (« L’Odyssée des gènes » ; page 304). C’est donc à partir d’un socle comportemental inné (eu-socialité, ethnocentrisme, et sens de l’équité) que se sont construites les nations. Evelyne Heyer a écrit que ‘’depuis longtemps, les anthropologues ont bien documenté que chaque groupe humain a tendance à vouloir se démarquer de ses voisins. Pour ce faire, il va mettre en avant certains critères culturels qui deviendront identitaires’’ (« L’Odyssée des gènes » ; page 219). Cette tendance universelle qui a été soulignée notamment par Claude Lévi-Strauss et qui existait dans les petits groupes tribaux est toujours à l’œuvre au sein des populations modernes. Ainsi, Evelyne Heyer a noté que ‘’depuis la séparation de la Serbie et de la Croatie, chacun des deux pays tend à valoriser les éléments de vocabulaire qui les différencient le plus, alors qu’ils parlaient précédemment la même langue, le serbo-croate. Dans les périodes plus anciennes, au Paléolithique en Europe, les archéologues ont identifié des aires culturelles avec des ornements en coquillages distincts d’un territoire à l’autre’’ (« L’Odyssée des gènes » ; page 219).

 La construction d’une nation n’est possible qu’à la faveur de circonstances favorables ; c’est un processus lent qui impose souvent des phases pénibles aux populations concernées. L’examen de ce qui se passe en Afrique (création d’Etats à partir de fractions d’ethnies) ou en Europe (construction européenne à partir de vieilles nations), met en évidence la très grande improbabilité de la naissance des nations. La nation est une construction culturelle fragile qui peut disparaître si la culture qui constitue le lien national n’est pas correctement entretenue. Elle peut disparaître en donnant naissance à des nations de taille plus petite mais encore faut-il que les conditions d’une telle naissance soient réunies, ce qui est rarement le cas. Plus sûrement, de la disparition de ces constructions historiques anciennes naîtraient des groupes comptant beaucoup moins de membres.

La destruction des nations mène au chaos

L’anthropologue Arnold Gehlen a souligné le fait que ces adaptations culturelles sont des constructions fragiles qui peuvent disparaître très facilement, alors que leur formation demande beaucoup de temps parce qu’elle exige de nombreux essais et modifications successifs. Les institutions sont, selon Gehlen, des trésors polis par l’expérience de très nombreuses générations qu’il convient de protéger et de conserver aussi longtemps que possible. Leur disparition est toujours une plongée dans l’inconnu et le plus souvent dans le chaos. La civilisation occidentale libérale-libertaire dont le mot d’ordre est la suppression de toutes les entraves à la satisfaction des désirs individuels (‘’Jouissons sans entraves’’ était un de des mots d’ordre du mouvement libertaire soixante-huitard) a pour objectif de supprimer toutes ces entraves que sont, selon eux, les institutions (État, famille, système judiciaire, armée….) et les hiérarchies de valeurs héritées de notre histoire (patriotisme, civisme…). La conséquence de cette révolution libertaire (désormais libérale-libertaire) est un délitement de toutes nos institutions et un « repli tribal » beaucoup plus inquiétant que les « replis identitaires » dont on nous rebat les oreilles. Les sociétés occidentales sont de plus en plus constituées de groupes férocement concurrents, qu’il s’agisse de groupes religieux, mafieux, délinquants, capitalistes….Les États sont désormais concurrencés par les groupes capitalistes qui dirigent les sociétés multinationales lesquelles visent à l’effacement des puissances étatiques (et démocratiques) qui sont autant de môles de résistance à leur domination. L’affaissement des États entraîne celui de toutes les institutions nées en leur sein : régimes républicains, systèmes de prise de décisions démocratiques, de solidarité interne, de défense collective, d’enseignement et de formation, judiciaires….. au profit d’institutions favorables aux groupes capitalistes. Du fait du délitement des États forgés au cours de l’histoire et des cultures qui leur étaient liées, l’humanité tend à se fragmenter en une myriade de groupes qui se livrent de plus en plus clairement une guerre impitoyable qui ne dit pas son nom et qui est auréolée d’un discours séduisant promouvant l’idée de liberté individuelle illimitée. Il est évident que l’affaissement des États et des libertés collectives facilite les activités de tous les groupes les mieux armés pour dépecer les États déliquescents au détriment de l’immense majorité des humains qui pour certains (c’était notre cas) bénéficiaient de la protection efficace d’appareils étatiques contrôlés par les peuples dans le cadre de républiques dont la vocation était la recherche d’un Bien Commun. Tout cela est en train de disparaître à grande vitesse au profit d’une société mondiale érigée sur les bases libérales-libertaires évoquées ci-dessus ; c’est-à-dire qu’avec la disparition des communautés étatiques et de leurs institutions qui avaient permis une mise en forme de nos comportements allant dans le sens d’un élargissement de la coopération et de la solidarité à des communautés beaucoup plus importantes que celles qu’avaient connues nos lointains ancêtres, nous assistons à l’émiettement de l’humanité en groupes de taille réduite mus par la recherche de leur seul intérêt et de la satisfaction de tous leurs désirs. Il y aura peu de gagnants à la loterie libérale ; la concentration rapide des richesses au cours des trente dernières années n’est que le prélude d’un processus qui ne peut que conduire à la formation d’un ensemble de groupes de super-riches tout à la fois férocement concurrents et capables de s’associer pour maintenir leur domination (pour mémoire, l’agrégat de ces super-riches a été évalué par le sociologue russe Alexandre Zinoviev à trois millions d’individus). Le reste de l’humanité, émietté en petits groupes familiaux ou locaux, sans moyens significatifs et privés de pouvoir collectifs, sera réduit à la survie dans un monde dont le paradigme sera la compétition interindividuelle et qui sera ‘’régulé’’ par ces puissances émergentes que sont les très grandes compagnies financières et industrielles. C’est la tendance que nous observons dans le monde occidental et qui est encore éloignée de son terme mais dont les avancées sont perceptibles : mise en place d’oligarchies politiques inféodées aux grandes compagnies, manipulation des démocraties, démantèlement des systèmes de solidarité sociale, mise à l’encan des patrimoines étatiques et nationaux, soumission des États aux    règles juridiques communes  (laquelle est prévue dans le projet de traité transatlantique, par exemple), généralisation de la précarité……au nom, bien sûr, de la liberté (celle du libre renard dans le libre poulailler).

Quelques conséquences de la sélection de groupe

Parmi les conséquences de notre comportement social inné, Wilson cite le comportement territorial : ‘’Les humains et les chimpanzés sont extrêmement territoriaux’’ (« La conquête sociale de la Terre ; page 102); ’’Le comportement territorial a évolué pour devenir un moyen de préserver les ressources alimentaires. Les guerres d’expansion et les annexions ont eu pour résultat d’agrandir les territoires et de favoriser les gènes qui incitent à la cohésion de groupe, à l’organisation de réseaux et à la formation d’alliances. Pendant des centaines de milliers d’années, l’impératif territorial a stabilisé les petites communautés dispersées des Homo sapiens, exactement de la même façon que dans les petites populations de chasseurs-collecteurs qui survivent aujourd’hui’’. Cet impératif territorial est encore d’actualité : ‘’Il y a 10000 ans, la révolution néolithique a permis de produire des quantités de nourriture beaucoup plus importantes à partir de la culture et de l’élevage, ce qui a favorisé une rapide croissance des populations humaines. Les effectifs humains ont tout simplement augmenté aussi vite que le permettaient ces nouvelles ressources si précieuses. La nourriture étant devenue là encore le facteur limitant, les humains se sont pliés à l’impératif territorial. Leurs descendants procèdent toujours de même’’ (« La conquête sociale de la Terre »).

Une autre conséquence du comportement eu-social est la préférence pour son groupe. Les fourmis sont imprégnées de l’odeur particulière de leur fourmilière ce qui leur permet de se reconnaître et d’identifier les intrus qu’elles combattent de manière très brutale. Chez les humains, il en va un peu de même : ‘’Toutes choses étant égales par ailleurs, les gens préfèrent être avec des personnes qui leur ressemblent, parlent le même dialecte et ont les mêmes croyances. Poussée à l’excès, cette prédisposition, à l’évidence innée, mène avec une facilité effrayante au racisme et au fanatisme religieux’’ (« La conquête sociale de la Terre » ; page 11). Bien heureusement ces comportements extrêmes ne sont pas les plus fréquents ; par contre, la mise à l’écart des étrangers, leur renvoi à l’extérieur du territoire et la guerre menée contre les envahisseurs et les malveillants sont monnaie courante. Le comportement de défiance à l’égard des étrangers est l’envers de la solidarité avec les membres de son groupe (contrairement à la solidarité nationale, la solidarité universelle que nos dirigeants mondialistes tentent de nous imposer ne fait pas recette). Ce sont deux aspects indissociables et complémentaires de notre éthogramme (ensemble des comportements innés), ce que les rêveurs ne peuvent accepter.

Nature et culture

Le débat concernant les origines naturelles ou culturelles de notre comportement, de nos émotions et de nos cultures elles-mêmes a agité toute une partie du monde scientifique au cours du siècle dernier. Après beaucoup de tâtonnements, une anthropologie synthétique qui a intégré les connaissances issues de nombreuses disciplines (ethnologie, archéologie, génétique, psychologue, éthologie….) prend son essor depuis le début de ce siècle. Au XXe siècle, nous avons assisté à une empoignade, parfois violente, entre les partisans d’un déterminisme biologique rigoureux et ceux du béhaviorisme. Les premiers surestimaient la part de l’inné et les seconds le réduisaient à presque rien.

Durkheim, qui pensait que les faits sociaux ne peuvent s’expliquer que par d’autres faits sociaux, a durablement influencé les chercheurs en sciences sociales. Selon l’anthropologue canadien Bernard Chapais, ‘’Il est indéniable que les phénomènes sociaux possèdent des propriétés qui leur sont propres et qui doivent être analysées en tant que telles mais, comme nous le verrons amplement dans ce livre, ces propriétés sont elles-mêmes le fruit de contraintes et de prédispositions biologiques et psychologiques ancrées dans la nature humaine, et la méconnaissance de ces dernières peut mener à de nombreuses erreurs dans les explications des phénomènes sociaux’’ («Aux origines de la société humaine» ; page 23). L’idée selon laquelle notre « esprit » flotterait en quelque sorte en apesanteur au-dessus de nos corps, sans lien avec eux, relève de la métaphysique ; notre psychologie, qui est intrinsèquement liée à notre biologie, joue un rôle essentiel dans les relations sociales.

Les anthropologues ont remarqué que, par delà les différences culturelles, il y a des constantes universelles dans le comportement des humains ; selon Bernard Chapais, ‘’Il n’est pas surprenant, dans cette perspective, de constater que le comportement humain, bien qu’extrêmement variable à travers les cultures et les époques, soit, fondamentalement redondant, et qu’aussi loin que nous retournions dans le passé, l’histoire, invariablement, se répète. La nature humaine, riche en contenu, assure la redondance, alors que l’innovation culturelle, elle, assure le renouveau des moyens et des expressions. De ce point de vue, dissocier le comportement de ses bases biologiques et concevoir la culture comme une entité autonome sont des non-sens. La fin du XXe siècle aura vu la dichotomie nature-culture parvenir à l’obsolescence. Si l’on se fie à la tendance actuelle, bien amorcée, le XXIe siècle devrait être, en ce qui a trait à la compréhension du comportement humain, celui de l’intégration interdisciplinaire’’ (« Aux origines de la société humaine » ; page 306). Les croyances dans un déterminisme biologique rigoureux ou, au contraire, dans l’absence d’une nature humaine, sont aussi fausses l’une que l’autre. Le socle biologique ne détermine pas de manière rigide nos cultures, comme l’ont cru ou le croient encore certains, mais c’est à partir de ce socle que sont construites les différentes cultures. La philosophe Laetitia Strauch-Bonart pense qu’il faut ’dépasser la dichotomie entre nature et culture, pour comprendre que ce qu’on appelle la culture n’est que la flexibilité de nos prédispositions biologiques et cognitives et que cette flexibilité même est naturelle’’ (« Les hommes sont-ils obsolètes ? ») ; si elle a raison de penser que la culture n’est pas autonome par rapport à la nature, il semble que la culture soit plutôt ce qui peut être greffé avec succès sur le socle de nos prédispositions psychologiques et morales. Certaines greffes sont parfaitement possibles, d’autres le sont moins et, enfin, d’autres encore ne le sont pas du tout. Fort heureusement pour nous, des cultures comme celles qu’ont tenté d’imposer les nazis, d’une part, et les Khmers rouges, d’autre part, sont tellement incompatibles avec nos inclinations naturelles qu’elles sont inévitablement rejetées un jour ou l’autre. Les « barbaries à visage inhumain » ne font rêver que d’infimes minorités de psychopathes.

Aux origines des sociétés humaines

Bernard Chapais est primatologue et professeur d’anthropologie à l’université de Montréal. Il a publié en 2008 un livre, intitulé  « Aux origines des sociétés humaines », qui a été traduit en français en 2015 et qui a valu à son auteur la médaille W.W. Howells de l’American Anthropological Association.

L’anthropologue québécois renvoie dos à dos les partisans d’un déterminisme biologique très contraignant qui peuvent penser à la limite que la culture est fondée entièrement dans la biologie et ceux qui pensent que la culture n’est liée en rien à la biologie et qu’il n’y aurait donc pas de « nature humaine » : ‘’La preuve phylogénétique présentée dans ce livre contredit de plein fouet les deux conceptions de la nature humaine entretenues séculairement par les sciences sociales : le déterminisme biologique et une nature humaine sans contenu. En montrant que des phénomènes sociaux aussi complexes que ceux qui composent la structure unitaire de la société humaine sont enracinés dans la biologie humaine – de l’exogamie au caractère fédéré de la société en passant par les structures de parenté et les arrangements maritaux -, la preuve phylogénétique établit que la nature humaine fait beaucoup plus que fournir des potentialités ; elle façonne le contenu des rapports sociaux…….Quant au principe du déterminisme biologique, la preuve phylogénétique nous a amenés à réaliser que des phénomènes sociaux aussi variables que les arrangements matrimoniaux ont néanmoins un fondement évolutionnaire commun. La variabilité culturelle s’accommode  donc très bien des prédispositions biologiques universelles……Il y a donc congruence entre les constantes biologiques et l’innovation culturelle (« Aux sources de la société humaine » ; pages 303 et 304). La biologie impose donc des contraintes et des objectifs universels tandis que la culture permet l’invention de façons différentes de satisfaire ces contraintes et d’atteindre ces objectifs.

Pour cet auteur, il est évident que l’opposition de la nature à la culture, qui est au centre du débat intellectuel depuis longtemps déjà, est absurde. L’être humain est à la fois un être de culture et un être de nature ;  sa nature est le substrat de sa culture laquelle peut traduire différemment les tendances naturelles des humains, d’un groupe à l’autre et d’une époque à l’autre.

Dans ce livre, Bernard Chapais aborde un sujet très important, celui de l’articulation entre les innovations culturelles et nos inclinations comportementales naturelles : ‘’Le principe général peut être énoncé ainsi : toute innovation culturelle conforme à une prédisposition biologique sera psychologiquement ressentie comme satisfaisante et attrayante, et la probabilité qu’elle soit adoptée par le groupe sera d’autant plus forte que le degré d’harmonie est élevé. Dans cette perspective, les facteurs biologiques imposent des balises, des contraintes et des biais multiples aux processus psychologiques responsables de l’innovation culturelle – les mécanismes de la créativité et de l’apprentissage social – sans pour autant déterminer le contenu exact (formel et sémantique) des innovations. Dit plus simplement, la biologie détermine une vaste gamme d’objectifs comportementaux généraux, tandis que la culture apporte une grande variété de moyens de satisfaire chacun de ces objectifs’’ (« Aux origines de la société humaine » ; page 282). L’organisation politique de nos sociétés, qui constitue un des aspects des cultures humaines, ne peut être satisfaisante que si elle est en harmonie avec nos tendances psychologiques naturelles. On peut en déduire que les organisations politiques ne sont pas toutes aussi bien perçues ni aussi satisfaisantes les unes que les autres. Une bonne organisation politique doit être compatible avec les fondements biologiques de notre psychologie et de notre comportement.

La fabrique de l’humanité

Pascal Boyer est philosophe et anthropologue. Il a fait de la recherche de terrain au Cameroun  et il a été chercheur au CNRS ; il est membre de l’Académie américaine des arts et des sciences. Il occupe aujourd’hui la prestigieuse chaire Henry Luce d’anthropologie cognitive à l’université Washington de Saint Louis (Missouri). Il a publié récemment un ouvrage intitulé « La fabrique de l’humanité » ; ce livre est une synthèse réalisée à partir  de travaux expérimentaux concernant la psychologie, d’observations faites par les anthropologues dans des sociétés très diverses et de recherches archéologiques.

L’homme, un être social et coopératif

Contrairement à ce qu’ont cru les philosophes du XVIIIe siècle, l’être humain est naturellement social et coopératif et ce, depuis toujours : ‘’Rousseau a fameusement décrit les premiers hommes comme menant une vie libre et insouciante jusqu’au moment où le développement de l’agriculture et de l’industrie a tout gâché en rendant des individus dépendants d’autres. Il n’aurait pas pu être plus loin de la vérité……Les données archéologiques montrent que l’interdépendance et la coopération sont la marque de l’existence humaine depuis les temps les plus reculés de la préhistoire. C’est une caractéristique de notre espèce’’. (« La fabrique de l’humanité » ; page 320). Les fables philosophiques du XVIIIe siècle concernant les doux chasseurs-cueilleurs solitaires n’ont aucun fondement ; les humains vivent en groupe depuis toujours, tout comme leurs prédécesseurs et leurs cousins les grands singes, et la sélection de groupe a façonné leur psychologie et leur comportement. Par delà les différences culturelles, tous les humains coopèrent spontanément : ‘’Partout dans le monde, les humains entreprennent des actions collectives dans des domaines très différents et cela semble indiquer que les modèles économiques classiques étaient peut-être fondés sur des hypothèses erronées’’ (page 322). Les dits modèles économiques libéraux postulent que l’individu agit en fonction de son seul intérêt ; cela n’est pas vérifié par les études des anthropologues (sauf pour une minorité). Contrairement à ce que pensent les économistes libéraux, le partage est un comportement essentiel sans lequel nos sociétés n’existeraient pas : ‘’Le partage est l’aspect le plus frappant de la coopération chez les chasseurs-cueilleurs, dans laquelle des individus distribuent des ressources à l’ensemble du groupe. On trouve ce type de partage, en particulier s’agissant de nourriture, dans tous les groupes humains et il semble être une partie essentielle de l’interaction sociale dans les groupes de chasseurs-cueilleurs comme ceux au sein desquels les humains ont évolué’’ (« La fabrique de l’humanité » ; pages 272 et 273). Le partage est donc un élément essentiel de notre comportement social mais il n’est pas strictement égalitaire. Dans les groupes de chasseurs-cueilleurs, les produits de la cueillette sont partagés surtout avec les parents proches tandis que le gros gibier est partagé entre tous, mais les chasseurs reçoivent plus que les autres et ceux qui ont tué l’animal reçoivent une part plus grande encore.

Hiérarchie limitée à certaines activités

Contrairement à une idée très fréquente dans les milieux «de droite», les sociétés humaines n’ont pas toujours été très hiérarchisées. Il est vrai qu’à partir du Néolithique, certains ont profité de l’augmentation des richesses produites pour s’imposer et créer des hiérarchies absolues et permanentes. On peut penser que cette évolution n’a pas été bien vécue puisque les humains ont fréquemment essayé de mettre un terme à ces hiérarchies très contraignantes, en Europe en particulier, où, depuis l’Antiquité grecque et romaine, ils ont trouvé des solutions pour y mettre un terme (la démocratie grecque et la république romaine qui furent des sources d’inspiration pour les démocraties et les républiques postérieures). Les anthropologues ont constaté que dans toutes les sociétés humaines il existe des inégalités de pouvoir et des personnes qui aspirent à avoir beaucoup de pouvoir, mais dans les petites communautés, comme les groupes de chasseurs-cueilleurs, le pouvoir est très peu concentré et les chefs tirent leur légitimité de leur expérience et de leur compétence. Les humains admettent spontanément d’obéir à ceux qui dans tel ou tel domaine ont le plus d’expérience et de compétences mais cette obéissance ne concerne que certaines activités. Les anthropologues ont remarqué que les membres de ces petits groupes veillent à limiter le pouvoir des chefs. Pascal Boyer écrit qu’on a observé une tendance à résister à la domination politique excessive dans toutes les sociétés humaines ; cette tendance est un élément important de ce qu’on peut appeler la « loi naturelle ». Notre anthropologue ajoute que parler de « motivation égalitaire », comme l’ont fait certains, est trompeur parce que les membres de ces sociétés ne souhaitent pas que tous jouent un rôle équivalent dans la prise de décisions mais ils veulent éviter celles qui pourraient aboutir à des abus (« La fabrique de l’humanité » ; page 329). L’évolution a doté les êtres humains de deux tendances dont l’une permet de limiter les effets potentiellement dangereux de l’autre : l’acceptation du commandement des plus compétents et expérimentés et le refus des abus toujours possibles du dit commandement. Au fond, les êtres humains sont, très naturellement, républicains !

Selon Pascal Boyer, ‘’Beaucoup d’entre nous, dans de nombreuses situations, ne résistent pas à l’envie d’obtenir des positions de dominance, lorsque cela est possible, parce que cela nous paraît intrinsèquement désirable (c’est l’explication dite « proximale »), mais aussi parce que la dominance relative a abouti, en moyenne,  dans les environnements ancestraux, à un plus grand succès reproductif (c’est l’explication dite « distale »). Mais les préférences humaines constituent aussi un frein à cette soif de pouvoir. Comme l’a fait remarquer l’anthropologue Christopher Boehm, dans les petites sociétés, le pouvoir est très peu concentré. S’il y a des chefs, ceux-ci tirent en général leur légitimité de leur expérience et de leur compétence. Les gens sont toujours prompts à dégonfler les prétentions des chefs qui cherchent trop à étendre leur influence ou à intimider leurs pairs. Les anthropologues ont remarqué l’existence de cette pulsion visant les despotes en puissance dans de nombreuses petites sociétés’’ (« La Fabrique de l’humanité » ; page 328). Deux choses importantes sont à retenir : les humains font naturellement confiance aux personnes les plus compétentes et les plus expérimentées mais ils refusent tout aussi naturellement la domination des despotes.

Refus des inégalités trop marquées et « justice sociale »

Les humains admettent spontanément que celui qui contribue plus que les autres à l’œuvre commune doit recevoir plus en retour mais, tout aussi spontanément,  ils ne comprennent pas que certains puissent recevoir cent ou mille fois plus que les autres membres de leur groupe, voire beaucoup plus de nos jours (le patrimoine moyen des Français est voisin de 300000 € et celui de Bernard Arnault atteint les 200 milliards soit un rapport de 1 à 66666 !) : ‘’Pour commencer, les humains ne conçoivent pas en général que la contribution d’un individu puisse être des centaines ou des milliers de fois plus importante que celle des autres……Et nous préférons intuitivement un partage plus égalitaire lorsque nous sommes capables d’évaluer le rapport entre effort et résultat. C’est le cas de la chasse dans les petites sociétés. Nos intuitions ont évolué dans le contexte de groupes de petite taille, où il aurait été imprudent de ne pas partager du tout. Le partage de ressources imprévisibles est intuitivement perçu comme une forme d’assurance et nous ne pouvons pas nous aliéner totalement ceux dont la  contribution à un moment donné n’a pas été très importante’’ («La fabrique de l’humanité » ; page 304). L’anthropologue ajoute que la solidarité, l’attachement des membres des groupes humains les uns pour les autres, tout comme la très forte coopération qui caractérise l’espèce humaine, sont liées à notre très long passé de chasseurs. La sélection naturelle nous a dotés de caractéristiques comportementales et psychologiques qui sont indispensables aux chasseurs ; il se trouve que la solidarité est une inclination puissante des humains : ‘’La sélection naturelle explique bien des aspects de ce que nous entendons par « justice sociale ». Premièrement, elle explique pourquoi un sentiment de justice existe, pourquoi il se manifeste de la même manière dans différents esprits humains, et pourquoi il suscite des émotions si puissantes …….Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire de l’humanité, on trouve des indices attestant de l’existence de la chasse en groupe et de la défense collective….’’ (« La fabrique de l’humanité » ; pages 252 et 253). La « justice sociale », une notion qui faisait hurler F. Hayek et qui fait toujours hurler ses admirateurs contemporains, est profondément enracinée dans notre psychologie. Aucune métapolitique « libérale-conservatrice », ou autre, ne parviendra à la faire disparaître. Toute politique réaliste doit prendre en compte ce paramètre essentiel ; a contrario, les politiques contre nature, celles qui tentent de justifier des inégalités de plus en plus monstrueuses, ne peuvent que générer du mécontentement et des frustrations. Les libéraux reprochent à leurs adversaires d’être des envieux et des jaloux mais, en fait, le refus des inégalités trop importantes est une inclination naturelle qui vise à la pérennité des groupes humains, ce que le général de Gaulle avait intuitivement bien compris.

Agressivité ciblée et territorialité

Hobbes pensait que l’homme à l’état de nature était intrinsèquement méchant et agressif tandis que Rousseau pensait exactement le contraire. En fait, Hobbes et Rousseau avaient tort tous les deux : ‘’ Leur erreur commune était de penser que les humains sont mus par des instincts de guerre et de paix inconditionnels et rigides. Les raisons pour lesquelles les humains choisissent de faire la guerre ou de coopérer ne sont pas le résultat de préférences stables, générales et indépendantes du contexte, comme le croyaient les hobbesiens et les rousseauistes, mais un ensemble de mécanismes conditionnels qui évaluent la valeur de chaque stratégie selon la situation’’ (page 92). Les chasseurs-cueilleurs savaient vivre en paix mais ils consacraient souvent une part importante de leurs faibles ressources à préparer la guerre : ‘’Les chasseurs-cueilleurs Inuits fabriquaient aussi des armes et des armures, alors que leurs ressources étaient très limitées……Et il ne s’agissait pas d’un aspect marginal de leur existence : l’étude démographique de certains groupes suggère que 5 à 20% des mâles périssaient lors de combats’’ (page 93). L’existence de guerres fréquentes a été constatée par les anthropologues dans toutes les sociétés dites primitives, de la Nouvelle-Guinée à l’Amazonie. C’est un fait massif et les pertes humaines  étaient proportionnellement bien plus élevées dans ces sociétés là que dans les nôtres, y compris au cours du XXe siècle. Pour les époques très anciennes, nous ne disposons pas de beaucoup d’éléments permettant une appréciation pertinente mais à compter de la fin du Paléolithique, les conflits entre groupes ont laissé suffisamment de traces pour que les archéologues puissent affirmer leur existence. La guerre n’est pas née avec l’apparition de la propriété agricole privée au Néolithique mais bien avant. Ces conflits devaient sans doute avoir fréquemment pour origine des différends portant sur les limites territoriales : ‘’Mais une meilleure analyse des données ainsi que des études plus systématiques ont mis fin à cette vision de communautés ancestrales pacifiques…….En ce qui concerne les rapports entre bandes ou tribus dans les conditions ancestrales, on peut penser que les conflits ont dû être omniprésents au cours de notre histoire évolutive, l’une des raisons en étant la territorialité humaine…….Il est vrai que les premiers humains étaient des chasseurs-cueilleurs nomades, mais en général le nomadisme consiste à se déplacer à l’intérieur d’un espace bien défini et limité. De fait, le nomadisme exige de vastes territoires, et les gens n’apprécient guère l’intrusion d’autres groupes’’ (« La fabrique de l’humanité » ; pages 91 et 92). Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls mammifères territoriaux ; nos plus proches cousins, les chimpanzés, consacrent beaucoup de temps à la surveillance et à la défense des frontières de leurs territoires. Des guerres, opposant des groupes de chimpanzés, provoquées par des violations de frontières ou visant à la conquête d’un territoire voisin, ont été observées au cours des dernières décennies.

Contrairement à ce que pensaient, ou pensent encore, les partisans du darwinisme social, les groupes humains n’ont connu que très rarement des luttes internes féroces ; bien au contraire, la plupart des humains furent de bons compagnons solidaires et coopératifs (bien qu’il y ait toujours eu une frange de psychopathes). Il y eut toujours des violences mais celles-ci étaient essentiellement inter-groupales. C’est la raison pour laquelle, le biologiste Edward Wilson disait que la principale pression de sélection qui s’est exercée sur les populations humaines ne s’exerça ni sur les individus, ni sur la parentèle mais sur les groupes. Dans l’espèce humaine, les groupes comptent plus que la parentèle et plus encore que les individus.

L’importance de l’appartenance ethnique

Pascal Boyer constate que le phénomène ethnique est universel et extrêmement attractif et que les humains sont attentifs et attachés d’abord aux membres de leurs groupes, ‘’Par exemple, les gens ne retiennent pas de la même manière les informations concernant leurs groupes et les autres. Ils sont bien plus attentifs aux désaccords entre membres de leur propre groupe qu’avec les membres d’autres groupes. Ils ont plus d’empathie pour les membres de leur groupe que pour les autres, surtout dans le contexte d’interaction entre groupes. Les gens sont moins convaincus par des assertions énoncées avec un accent étranger – en fait même les bébés semblent se méfier des camarades de jeu dont l’accent est inhabituel’’ (« La fabrique de l’humanité » ; page 64). Contrairement à tous les intellectuels progressistes qui ont pensé, et qui pensent encore, que les nations et les ethnies ne sont que de simples constructions, Pascal Boyer pense qu’elles répondent à un besoin qui a toujours existé. Aussi loin que l’on peut remonter dans le temps, le besoin d’appartenance est présent ; ‘’Bien avant l’apparition du nationalisme au sens moderne du terme, dans des endroits aussi différents que les cités-États grecques ou les royaumes yoruba, les gens invoquaient déjà des notions d’identité ethnique qui étaient globalement fondées sur la langue et les traditions’’ (« La fabrique de l’humanité » ; page 56). Peu importe que ces traditions aient été inventées par les élites, comme le furent les tartans écossais au XIXe siècle, ce qui compte, c’est que les humains ont besoin de signes d’appartenance à un groupe.

La mode intellectuelle, dans les pays occidentaux, depuis une soixantaine d’années est à l’ouverture au monde mais il semble que nous parvenions à la fin de cette période marquée par la suprématie des idéologies progressistes. Même Barack Obama a avoué qu’il s’était sans doute trompé, comme la plupart des membres des élites libérales et socialistes occidentales, quant au goût des peuples pour l’ouverture au monde et aux autres. Il a avoué que, à sa grande surprise, les peuples semblent préférer la fermeture.

Selon diverses études, l’hétérogénéité ethnique fait baisser le niveau de confiance ; le politologue de Harvard ‘’Robert Putnam, par exemple, soutient qu’une plus grande diversité s’accompagne souvent d’une baisse de la confiance sociale, le point auquel l’on considère la plupart des autres comme étant dignes de confiance. Aux États-Unis, l’effet est visible au niveau des États et des comtés, ce qui n’est pas très précis. Mais une étude danoise a mis en évidence le même effet en mesurant les choses de manière bien plus précise, grâce à des données sur le nombre réel d’individus d’ethnicité différente qui vivent à différentes distances de chaque participant de l’étude. Dans ce cas, le sentiment que les autres sont fiables en général décroît en fonction du nombre d’étrangers que l’on croise, ce qui laisse penser qu’il s’agit d’un effet de l’écologie sociale’’ (« La fabrique de l’humanité » ; page 101). Or, selon Émile Poulat, historien des religions et sociologue, la confiance est à l’origine du pacte social : « Sans confiance, la vie en société est impossible », rappelait-il dans un entretien publié par Le Monde en 2013. La faiblesse de la confiance entre membres des sociétés multiethniques a été pointée par R. Alesina et E. Glaeser (professeurs d’économie à Harvard) qui ont identifié le lien qu’il y a entre cette faiblesse de la confiance et celle de la redistribution des richesses si caractéristique des États-Unis. Les États-Uniens acceptent volontiers de venir en aide aux autres mais, de préférence, à ceux de leur communauté ; ils paient peu d’impôts (que l’État redistribuerait à toutes les communautés) mais ils donnent beaucoup à des associations caritatives propres à chacun de leurs groupes respectifs. Les travaux de ces chercheurs ont été à l’origine des réflexions des sociaux-démocrates danois qui ont décidé d’appliquer une politique très restrictive en matière d’immigration pour sauver le modèle social danois.

La cohabitation de groupes ethniques différents a, par ailleurs, des répercussions sur la santé des gens : ‘’De nombreuses études ont montré que la santé et le bien-être subjectif des gens sont affectés par les relations ethniques. Les membres des groupes minoritaires ont en général une moins bonne santé que la population d’origine, et cette différence persiste même si l’on tient compte de facteurs évidents comme le statut socio-économique et l’accès aux soins. Cela semble suggérer que les relations de domination ont leur effet sur la santé. Comment cela est-il possible ? De multiples études physiologiques nous ont appris que les rencontres avec des membres d’autres catégories ethnico-raciales, même dans le contexte artificiel d’une expérience en laboratoire, déclenchent des réactions de stress………Cette explication est  confortée par une autre observation, apparemment paradoxale, selon laquelle la santé des membres d’une minorité est meilleure lorsqu’ils habitent dans des quartiers non intégrés, des enclaves ethniques, que lorsqu’ils se trouvent mélangés à la population d’accueil’’ (« La fabrique de l’humanité » ; page 102).

Les humains ont un besoin vital de règles collectives

L’évolution a doté les humains d’une capacité d’apprendre les normes spécifiques de leurs communautés qui repose sur des attentes intuitives : ‘’Ces recherches expérimentales suggèrent que, dès le plus jeune âge, nous sommes capables d’apprendre les normes spécifiques de notre communauté à partir d’attentes intuitives préalables en ce qui concerne les normes et la manière dont elles s’appliquent au comportement – et ces attentes semblent coïncider avec l’idée que les normes s’imposent à nous et sont objectives’’ (« La fabrique de l’humanité » ; page 354). Par ailleurs, ‘’L’esprit humain possède un système d’apprentissage moral, un détecteur d’informations moralement pertinentes. Cela est clairement démontré par son absence chez certaines personnes’’ (« La fabrique de l’humanité » ; page 34). Les dites personnes sont les psychopathes, lesquels ont en général une intelligence normale et sont capables de comprendre qu’il ne faut pas faire souffrir les autres mais qui ne ressentent aucune émotion quand ils sont confrontés à la douleur d’autrui. Or, ce qui provoque le comportement altruiste c’est l’émotion qui submerge les altruistes quand ils sont face à la détresse d’un autre être humain. Des expériences ont montré que le comportement altruiste est spontané mais quand on laisse à un altruiste le temps de réfléchir à ce qu’il doit faire, son altruisme diminue considérablement, ce qui signifie que la « raison » non seulement n’est pas à l’origine de l’altruisme mais qu’au contraire elle tend à l’affaiblir. C’est toute la philosophie du XVIIIe siècle qui est prise en défaut. Marvin Minsky, qui fut un des pionniers de l’intelligence artificielle, disait que rien de ce qui est vraiment important dans la vie des humains ne relève de la raison ; les émotions conditionnent nos existences bien plus que cette dernière. Nos règles morales fondamentales ne sont pas produites par la raison, mais elles ne sont pas non plus le legs exclusif de telle ou telle religion. Les derniers chasseurs-cueilleurs du siècle dernier n’ayant connu aucune des grandes religions qui sont apparues récemment (depuis moins de trois mille ans) connaissaient ces règles. Il est heureux qu’il en aille ainsi puisque, si ce n’était pas le cas, nous pourrions accepter des règles morales aussi aberrantes que celles qui furent imaginées, d’une part, par les nazis et, d’autre part, par les Khmers rouges. Ces derniers parvinrent à imposer leurs règles par la force mais pendant quelques années seulement. De telles règles morales qui appuient des politiques tyranniques, violentes et meurtrières sont toujours rejetées, in fine.

Les humains sont des êtres sociaux et territoriaux ; l’attachement au groupe est une caractéristique humaine très importante qui résiste bien à l’idéologie individualiste et à partir duquel se construisent ces groupes modernes que sont les nations. Ces dernières ne sont pas de pures mystifications comme l’a bien senti Pascal Ory, elles répondent à un besoin psychologique inné et universel. Pascal Boyer écrit à ce sujet : ‘’Plus particulièrement, il nous faudra peut-être repenser l’hypothèse courante selon laquelle les gens cherchent à aider leur communauté et, inversement, à s’opposer à des groupes rivaux parce qu’ils partagent certaines valeurs, certaines idées et certains buts’’ (« La fabrique de l’humanité » ; page 73). On a accordé beaucoup trop d’importance aux idées depuis le XVIIIe siècle et comme l’a écrit Pascal Ory, il semble bien qu’elles ne mènent pas le monde ; des ressorts biologiques beaucoup plus puissants sont à l’œuvre depuis la nuit des temps. Ainsi, la plupart des humains ‘’trouvent détestables la défection et la désertion’’ et accordent une grande importance à la loyauté envers leur communauté. La loyauté envers le groupe est le fondement de ce que nous appelons l’esprit patriotique dans nos nations modernes ; ce dernier n’est pas une pure construction sociale comme le pensent les progressistes, c’est une construction culturelle qui est greffée sur une inclination générée par la sélection naturelle.

Ce qui vaut pour le fondement du patriotisme vaut aussi pour la solidarité naturelle et spontanée des membres d’un même groupe humain. La solidarité, l’entraide et le partage  pratiqués  par les membres d’un même groupe ont pour raison d’être le renforcement du groupe lequel est confronté en permanence aux contraintes imposées par l’environnement et aux menaces en provenance d’autres groupes ; il y a un lien étroit entre le partage, l’entraide et la solidarité, d’une part, l’attachement au groupe et la défense du territoire, d’autre part. L’être humain est en général solidaire des membres de sa communauté mais des malveillants savent utiliser cette solidarité de la majorité pour la dévoyer à leur profit. Il y a toujours eu de tels individus qui n’ont aucun attachement ni aucune empathie pour les autres et ce fait explique sans doute, dans certains cas, leurs  positionnements politiques, bien plus sûrement que toutes les idées qu’ils peuvent mettre en avant. Beaucoup de gens pensent que la solidarité n’est qu’une idée mais ce n’est pas le cas ; c’est un comportement naturel qui concerne la plupart des humains. C’est là que se situe la limite de la propagande idéologique. Quoi que fassent les partisans de l’individualisme (libéraux, libertariens, libertaires), la plupart des humains préféreront vivre dans des groupes dont les membres pratiquent ce qui leur semble naturel à savoir l’entraide, la solidarité et le partage. Ces inclinations naturelles qui sont celles d’une grande majorité des humains peuvent être canalisées et instrumentalisées par des mouvements idéologiques très différents les uns des autres dont certains peuvent être dangereux, mais ces inclinations ne disparaîtront pas. La société américaine, qui est la plus imprégnée par l’idéologie individualiste et ce, depuis longtemps, n’est toujours pas une société individualiste. Les études sociologiques montrent que les États-Uniens font preuve de beaucoup de solidarité mais cette solidarité, à défaut de se traduire par une redistribution étatique, comme c’est le cas chez nous, est réelle au niveau local comme l’ont écrit Alesina et Glaeser qui ont souligné qu’elle est très communautaire . Il ne peut pas y avoir de société individualiste parce que les êtres humains sont très majoritairement des êtres sociaux, coopératifs et solidaires ; les égoïstes et les psychopathes sont très minoritaires. Par contre, les oligarchies libérales imposent des politiques inspirées par l’individualisme lesquelles visent à détruire les communautés nationales, familiales….. et à justifier les inégalités. C’est en cela que l’individualisme est dangereux. Sur les ruines des nations historiques, naissent de nouvelles communautés, beaucoup plus petites, mais ces petites communautés ne peuvent espérer préserver leurs libertés face aux grands États nationaux. En cas d’effondrement de nos propres États, ces communautés seraient immédiatement dominées par d’autres États. Ces nouvelles tribus n’ont aucun avenir.

L’idéologie individualiste prétend rendre chaque individu autonome ; selon celle-ci, chacun doit pouvoir vivre selon ses propres règles et principes mais un tel projet est contre nature parce que les humains, dès leur plus jeune âge, cherchent spontanément à participer à la vie commune et à connaître les règles de leur communauté qui rendent possible cette vie commune. L’humanité est une espèce sociale et la vie sociale impose l’existence de règles communes qui sont intégrées spontanément par les jeunes enfants. Le comportement « moutonnier » des humains a frappé beaucoup d’observateurs depuis très longtemps, dont Gabriel de Tarde qui avait étudié les « Lois de l’imitation ».

Psychologie politique

L’auteur  aborde le sujet de la psychologie politique, une discipline nouvelle dont la raison d’être est la recherche les fondements de nos préférences politiques : ‘’Une leçon de l’étude de la sociologie spontanée est que notre psychologie politique, comme notre  fonctionnement cognitif dans son ensemble, est constituée pour l’essentiel de processus qui échappent à notre conscience. Autrement dit, si nous voulons comprendre pourquoi les gens sont séduits par des programmes ou des politiques particulières, ou pourquoi ils estiment que certains dirigeants méritent leur soutien, nous ne pouvons nous contenter de recenser leurs opinions et leurs raisonnements explicites et conscients. Depuis peu, beaucoup de chercheurs en sciences politiques se sont intéressés à l’étude systématique des processus cognitifs qui sous-tendent nos choix politiques’’ (« La fabrique de l’humanité » ; page 361).

Ainsi, il semble que certains humains accordent spontanément plus d’importance à la justice et aux injustices qu’à la loyauté envers le groupe, par exemple. Or, le sens de la justice tout comme la loyauté envers le groupe sont des inclinations naturelles ; la plus grande importance de l’une de ces deux inclinations pourrait se traduire par des sensibilités politiques différentes, socialiste, d’une part, et nationaliste, de l’autre. De même, on peut penser que les égoïstes sont plus facilement séduits par l’idéologie libérale qui peut leur permettre de justifier inconsciemment leur tendance comportementale naturelle tandis que les altruistes préfèrent les politiques de redistribution des richesses. Mais à ce jour, la psychologie politique ne nous permet pas encore de répondre à ces interrogations.

L’intelligence collective

Joseph Henrich dirige le département de biologie évolutive humaine à l’université Harvard ; ses travaux visent à découvrir les processus évolutifs propres à la psychologie et à la culture humaines.

Selon Joseph Henrich, l’être humain est programmé pour assimiler des normes sociales. Ces normes sociales ne sont pas elles-mêmes programmées, elles sont générées par chacune des cultures humaines mais les enfants intègrent spontanément, sans aucun effort, dès leur plus jeune âge les règles propres à leur communauté. Il n’y a pas de communauté humaine sans règles communes et l’adoption spontanée de règles permet de lier les membres de la communauté les uns aux autres. Dès leur petite enfance, les humains apprennent les règles de leur groupe et se dressent contre ceux qui les enfreignent. La loyauté envers la communauté passe naturellement par le respect des normes en vigueur en son sein. Le conformisme est donc un comportement inné qui permet de lier entre eux les membres de chaque communauté. ‘’Tout d’abord, pour acquérir plus efficacement les normes locales, les humains partent intuitivement du principe que le monde social est régi par des règles, même s’ils ne les connaissent pas encore. Ils estiment probable et souhaitable que le non-respect de ces règles ait des conséquences négatives. De ce fait, le comportement d’autrui leur apparaît comme influencé par des règles sociales. Ce phénomène a un autre impact sur notre espèce : dès notre plus jeune âge, nous développons sans efforts des motivations et des facultés cognitives qui nous permettent de repérer les violations de normes et d’éviter (ou d’exploiter) les violateurs de normes, mais aussi, de contrôler et de préserver notre propre réputation. Ensuite, au moment d’apprendre des normes, nous les intériorisons (au moins en partie) en tant qu’objectifs en soi. Cette intériorisation nous aide à évoluer dans le monde social, et à éviter toute tentation d’enfreindre les règles pour en retirer quelque bénéfice immédiat. Dans certains situations, l’intériorisation nous fait bénéficier d’une heuristique rapide et efficace : elle nous évite d’avoir à calculer mentalement les éventuels coûts et avantages à court ou à long terme de telle ou telle action, puisqu’on peut se contenter d’appliquer la règle et de respecter la norme’’ (‘’L’intelligence collective’’ ; pages 271-272). C’est notre tendance instinctive à respecter les normes qui nous pousse à « bien agir » et c’est ce qui permet aux sociétés humaines de fonctionner. Pour Joseph Henrich, il est évident que la bonne marche des sociétés humaines dépend de l’existence de systèmes de normes intégrés par l’ensemble de tous leurs membres. Et il ajoute que la honte est en lien direct avec l’existence d’un système de normes dans toute communauté humaine ; la honte est le signe de l’acceptation de l’ordre social. Contrairement à ce qu’ont affirmé beaucoup d’utopistes obsédés par l’émancipation individuelle, les humains ont un besoin naturel de respecter des ensembles de normes et de règles sans lesquelles, la vie en commun serait impossible. ‘’En somme, pour survivre dans un monde régi par des normes sociales que font respecter des tiers et qui affectent la réputation des uns et des autres, nous sommes devenus des êtres à tendance pro-sociale soucieux d’apprendre les normes, des êtres  qui adhèrent aux normes en intériorisant certaines motivations clés, des êtres qui repèrent les infractions à la norme et gèrent leur réputation comme celle des autres. En quoi nous nous distinguons de toutes les autres espèces’’ (« L’intelligence collective » ; page 256).

‘’Dans l’ensemble, quand le désastre menace et que l’incertitude règne, les gens se raccrochent davantage aux normes sociales de leur communauté – y compris à ses rituels et à ses croyances  surnaturelles -, parce que ce sont ces normes sociales qui ont longtemps permis aux communautés humaines de s’agréger, de coopérer et de survivre. Au fil des siècles et des millénaires, l’évolution culturelle souvent propulsée par la concurrence intergroupe, a créé des environnements sociaux où abondaient des normes sociales, lesquelles ont exercé une influence dans des domaines aussi divers que le mariage, les rites ou la parenté, en passant par l’échange, la défense de la communauté et le prestige. Au cours de dizaines et de centaines de milliers d’années, les divers environnements sociaux  produits par ce processus sont devenus d’importantes pressions de sélection qui ont guidé la sélection naturelle et façonné notre sociabilité. La sociabilité renforcée que crée ce processus interagit avec notre nature culturelle ; il affecte notre capacité à apprendre d’autrui et à produire des technologies toujours plus sophistiquées et des corpus toujours plus larges de savoir-faire adaptatifs. C’est ce processus qui a donné naissance à nos cerveaux collectifs’’ (« L’intelligence collective » ; page 300).

‘’Ce sont nos cerveaux collectifs à l’œuvre sur des générations, et non la puissance d’invention innée ou les facultés créatrices de nos cerveaux individuels, qui expliquent les technologies sophistiquées de notre espèce et son incroyable succès écologique. Même des individus en danger de mort, avec des semaines ou même des mois pour se préparer, n’ont pas été assez intelligents, loin s’en faut, pour concevoir les plus simples des outils indispensables à leur survie – qu’on se rappelle Burke et Wills, l’équipage de Franklin et l’expédition Narvàez. Nos cerveaux collectifs sont le fruit de multiples synergies produites par le partage d’information entre individus’’ (« L’intelligence collective » ; page 302). Joseph Henrich fait une démonstration saisissante qui permet de comprendre qu’une population constituée d’individus en moyenne moins intelligents mais sociables réussit mieux qu’une population dont les membres sont en moyenne plus intelligents que ceux de la première population mais individualistes. La réussite de l’humanité n’est pas liée à quelques individus prodigieux mais à l’extrême capacité de coopération qu’ont les humains. Ceux qui prétendent être des « self-made men » sont des imposteurs ; ils doivent tout, d’une part, aux aléas de la génétique et, d’autre part, aux connaissances et aux savoir-faire accumulés au cours des générations. Le méritocratisme dévoyé qui sévit dans les grandes universités américaines n’a qu’un seul but, comme l’a dénoncé le philosophe de harvard, Michael Sandel : justifier les monstrueuses inégalités sociales qui ne cessent de croître (cf « La tyrannie du mérite »).

Selon Joseph Henrich, la concurrence entre groupes a joué un rôle essentiel dans le parcours évolutif de nos ancêtres parce qu’elle a un rôle pro-social, elle renforce les liens internes de façon à ce que la communauté puisse faire face aux menaces externes. Contrairement à ce que croyait Rousseau, les humains n’ont jamais été des êtres aussi solitaires que pacifiques ; ils ont toujours été, au contraire, hyper-sociaux et agressifs à l’endroit des étrangers au groupe, quand ceux-ci se montraient malveillants. ‘’S’il est indéniable que les sociétés pratiquant l’élevage ou l’agriculture se battent bien plus souvent que la plupart des sociétés de chasseurs-cueilleurs, nombre d’indices donnent à penser que beaucoup de populations de chasseurs-cueilleurs ont connu des conflits intergroupes violents et durables qui ont entraîné une forte mortalité et des pertes de territoires considérables. Les études passant en revue les traces de guerres parmi les chasseurs-cueilleurs montrent que 70 à 90% de ces sociétés connaissent la guerre ou les raids de manière « continue » (avec des conflits tous les ans) ou « fréquente » (avec des conflits au moins tous les cinq ans). On estime que le pourcentage de morts directement causées par de violents conflits intergroupes s’établit autour de 15% en moyenne, d’après les observations ethnographiques, ou 13% si l’on s’appuie sur les fouilles archéologiques de cimetières (rappelons que, chez les singes, ce taux se situe entre 4 et 13%). Ce sont là des taux très élevés par rapport à ceux que l’on observe au XXe siècle en Europe ou aux États-Unis (moins de 1%), mais assez faibles par rapport à la plupart des sociétés agricoles préindustrielles’’ (« L’intelligence collective » ; pages 247–248). C’est donc Lorenz qui avait raison, l’agressivité, et notamment l’agressivité collective et réactive, est une caractéristique de notre espèce. Il ne s’agit pas de faire l’apologie de l’agression, bien sûr, mais il est important de savoir que nous n’en finirons jamais avec les conflits, ce qu’avait bien compris Machiavel. Il faut que nous nous organisions pour limiter leur fréquence et leurs conséquences. Comme, il a été dit précédemment, l’organisation étatique westphalienne que nous avons adoptée en Europe, puis progressivement presque partout, a réduit considérablement la fréquence des conflits.

L’être humain est complexe et il n’est pas exempt de contradictions, loin s’en faut ; il est certes très social mais il est mû, aussi, par son intérêt individuel. De plus, comme l’a constaté Abigail Marsh, il y a environ 30% d’égoïstes dans la population américaine et probablement autant dans les autres populations bien qu’il puisse, peut-être, y avoir des différences entre populations ; ces 30% d’égoïstes peuvent ruiner les institutions pro-sociales si on les laisse faire ou, pire encore, si on met en valeur l’individualisme et tout ce qui en découle comme on le fait dans les sociétés occidentales : ‘’Autrement dit, même s’il y faut du temps, les individus et les coalitions finissent par comprendre comment contourner ou manipuler le système à leur profit ; ces techniques se diffusent et ruinent tout effet pro-social’’ (« L’intelligence collective » ; page 246). Les sociétés sont donc menacées par l’intérêt individuel quand celui-ci prend nettement le pas sur l’intérêt collectif et c’est ce qui se passe dans les pays occidentaux qui sont taraudés depuis trois siècles par le poison individualiste d’origine libérale.

Un apport très important de ce livre réside dans la distinction que l’auteur fait entre processus génétiques et processus biologiques. En effet, les processus biologiques ne sont pas tous d’origine génétique. Ainsi, le cerveau des personnes qui lisent beaucoup se modifie au détriment de leur capacité de reconnaissance des visages. La lecture provoque une extension de la zone du cerveau qui nous permet de déchiffrer et de mémoriser les textes et une diminution de la zone dans laquelle sont analysés les visages. C’est une modification biologique provoquée par un changement culturel et qui n’est pas d’origine génétique. Les chercheurs ont trouvé beaucoup d’exemples de ce type. Les mutations culturelles influent sur notre biologie mais aussi sur notre génétique. Joseph Henrich affirme même que les changements culturels sont la plus importante des pressions de sélection depuis des dizaines de milliers d’années. Notre évolution génétique résulte désormais principalement de nos changements culturels. Ce processus s’inscrit évidemment dans le très long terme.

Les différences culturelles induisent des modifications biologiques (beaucoup plus rapides que les modifications génétiques) ; ainsi des cultures différentes induisent des différences neurologiques ‘’….nous avons vu que les perceptions des Asiatiques diffèrent de celles des Euro-Américains, et que chacun de ces deux groupes peine (sur le plan neurologique) à accomplir des tâches qui ne demandent aucun effort à l’autre’’ (« L’intelligence collective » ; page 466). Dans la conclusion de son brillant ouvrage, Joseph Henrich a écrit : ‘’Des sociétés différentes ont des normes sociales, des institutions, des langues et des technologies très différentes, et auront donc des manières de raisonner, des méthodes mentales, des motivations et des réactions émotionnelles très différentes. En imposant à une population de nouvelles institutions formelles, on risque de créer une discordance. Résultat : ces institutions imposées vont fonctionner autrement, voire pas du tout’’ (« L’intelligence collective » ; page 468).

Ocytocine, l’hormone du patriotisme

Marcel Hibert est professeur à la faculté de pharmacie de l’université de Strasbourg ; il a publié un livre consacré à une hormone qui a fait l’objet de nombreuses recherches au cours des dernières décennies. Cette hormone est bien connue pour le rôle important qu’elle joue dans l’accouchement, la lactation et l’attachement maternel mais nous savons désormais qu’elle intervient aussi dans l’attachement entre adultes et dans l’altruisme : ‘’Il existerait donc également une prédisposition génétique à être altruiste et généreux, en lien avec l’ocytocine et son récepteur !’’ (« Ocytocine mon amour » ; page 107).

Mais l’ocytocine joue aussi un rôle dans les comportements de défense de la progéniture et de l’ensemble du groupe : ‘’Cependant, l’ocytocine augmente les comportements de défense lorsqu’un danger imminent de la part de l’ennemi apparaît, quelle que soit la prédisposition altruiste des membres du groupe. Il semble ainsi que l’ocytocine contribue au renforcement du lien social en favorisant l’altruisme envers les membres du groupe et en les soudant pour se défendre contre une agression. Selon les auteurs de l’étude, l’agression non réactive envers les autres ne relèverait pas de notre hormone favorite. L’ocytocine est disculpée ! ‘’ (« Ocytocine mon amour » ; page 109). Et il ajoute : ‘’Vous l’avez compris, l’ocytocine n’induit donc pas systématiquement de l’empathie, de l’altruisme, de la générosité, de l’amour. Elle peut aussi induire une réactivité exacerbée en réponse à une agression’’. (« Ocytocine mon amour’’ ; page 110). Cette hormone dont le rôle est extrêmement important, pas seulement chez les humains, intervient dans toutes les émotions et toutes les actions visant à protéger les membres du groupe, y compris dans les comportements violents visant à les défendre. Contrairement à ce que certains ont imaginé, la pulvérisation nasale d’ocytocine ne rendrait pas les humains plus pacifiques parce que l’augmentation du taux de cette hormone accroît la sensibilité aux menaces et donc l’agressivité réactive.

L’ocytocine agit sur les interactions sociales et plus particulièrement sur la reconnaissance et la mémoire sociale qui sont indispensables à la vie en commun ; savoir si tel autre est ami ou ennemi permet d’adapter son comportement et, parfois, de survivre. Elle module l’empathie laquelle semble générer la confiance et la générosité, dans certaines limites. Des généticiens ont mis en évidence le fait que certaines variantes du gène du récepteur de l’ocytocine prédisposent à la confiance envers autrui et trois de ces variantes prédisposent à l’altruisme et à la générosité. L’ocytocine joue un rôle quasiment identique chez l’homme et chez la plupart des mammifères depuis la nuit des temps. La professeure étatsunienne de psychologie, Abigail Marsh, qui est une spécialiste de l’altruisme et de la psychopathie, a écrit que cette dernière est liée à un dysfonctionnement du système de production de l’ocytocine qui empêche les psychopathes de percevoir la peur chez les autres et d’avoir le désir de leur venir en aide. Ce dysfonctionnement est peut-être lié à une anomalie d’un gène, OTXR. A contrario, les altruistes sont hypersensibles aux signes de détresse des autres ; ils sont à la fois sensibles à la peur et courageux devant la détresse d’autrui.

L’ocytocine est étroitement liée à la reproduction mais aussi à l’attachement, attachement entre enfants et parents, attachement affectif et amoureux et attachement au groupe. Marcel Hibert a écrit qu’elle est l’hormone dont le rôle n’est rien moins que d’assurer la survie de l’espèce. ‘’L’ocytocine est nécessaire pour accoucher, protéger le bébé de la douleur et de l’hypoxie lors de l’accouchement, puis nourrir l’enfant dans le plaisir, construire son microbiote, catalyser le comportement parental et l’affiliation, mettre en place des mécanismes de défense et de réconfort du nouveau-né, mais aussi réduire l’anxiété et les épisodes dépressifs de la mère pour qu’elle assume son rôle, favoriser l’affiliation et l’éducation de l’enfant , lui permettre l’intégration dans son groupe social, et encore pour défendre le groupe contre toute agression extérieure…..’’ (« Ocytocine mon amour » ; page 161). Le neuroscientifique Thomas Insel a montré qu’en bloquant les récepteurs de l’ocytocine dès la naissance, les jeunes rats ne développent plus aucune interaction sociale avec leurs géniteurs et avec leur groupe ; il n’est donc pas étonnant que ‘’certaines mutations génétiques et épi-génétiques du récepteur de l’ocytocine conduisent inexorablement à un trouble du spectre autistique’’ (« Ocytocine mon amour » ; page 219).

L’ocytocine intervient donc dans la cohésion du groupe, dans l’attachement au groupe et dans l’agressivité réactive visant à la défense du groupe. C’est ce qui vaut à cette hormone d’avoir été nommée, par certains, « l’hormone du patriotisme ». Le patriotisme, c’est-à-dire l’attachement à son groupe et le comportement de défense de ce dernier, ne serait donc pas une idée parmi d’autres, il serait ancré dans un des plus importants de nos systèmes biologiques, qui est, semble-t-il, sous contrôle génétique.

Frans De Waal : des primates et des hommes

Frans De Waal est un éthologue et primatologue hollandais qui est considéré comme un des plus prestigieux au niveau mondial. Il est un spécialiste du comportement des primates et tout particulièrement de celui des chimpanzés. Il est membre de la société américaine de philosophie et de l’Académie américaine des sciences.

De Waal a montré au fil de ses recherches et de ses publications que le comportement des primates, s’il peut s’adapter dans une certaine mesure aux circonstances, n’en possède pas moins un socle inné. Il conteste, avec bien d’autres de ses confrères, l’idée selon laquelle le comportement social ne doit pas être examiné sous l’angle de la biologie. Pour beaucoup de sociologues, le comportement social et la morale seraient indépendants de la biologie avec laquelle ils n’auraient que des liens mystérieux. Tout cela n’est pas convaincant ; le comportement animal et humain est de nature biologique et, dans une certaine mesure, d’origine génétique. Quant à la morale, elle a, elle aussi, des fondements biologiques ; ainsi ‘’Le sens de la justice en est une parfaite illustration. Il est souvent considéré comme le produit de la raison et de la logique et comme une valeur exclusivement humaine, mais jamais il n’existerait sans une émotion fondamentale que nous partageons avec les autres primates, les chiens et les oiseaux. Le sens de la justice est la transformation intellectuelle de cette émotion’’ (« La dernière étreinte » ; page 262) et Frans de Waal précise ensuite que le sens de la justice est étroitement lié au comportement coopératif des humains ; ce dernier est lié, par ailleurs, à l’existence de ce que nous nommons « empathie » : ‘’En général, tous les traits caractéristiques d’une espèce ont des avantages. L’empathie n’aurait jamais évolué si elle ne contribuait pas à créer des sociétés fondées sur la coopération, dont les individus peuvent compter les uns sur les autres’’ (« La dernière étreinte » ; page 154).

Frans De Waal souligne le fait que l’idée selon laquelle tout ce que font les hommes est ordonné à l’égoïsme individuel est très répandue dans certains milieux notamment chez les économistes. Cette idée, d’origine libérale (un des premiers théoriciens du libéralisme, Bernard Mandeville, a fait l’apologie de l’égoïsme) est fausse, selon les anthropologues qui sont convaincus de la nature très sociale et très coopérative de l’espèce humaine ; elle est désormais contestée dans le champ même de la théorie économique. De Waal écrit à ce sujet : ‘’[L’homo economicus ] …..est une image de notre espèce proposée par les manuels d’économie, qui voudraient que nous prenions des décisions parfaitement rationnelles pour satisfaire notre cupidité. Entre-temps, des études ont sapé cette idée en montrant que nos émotions nous amènent à d’autres choix. Nous sommes moins rationnels et moins égoïstes que ce que nous pensions, et tous nos désirs ne sont pas des désirs matériels……….La tendance par défaut de la plupart des primates est la coopération, et non l’égoïsme. On peut donc affirmer sans risque que l’Homo economicus n’a pas évolué, ni suivant notre lignée directe, ni ailleurs dans l’ordre des primates. Il est plus mort que mort’’ («La dernière étreinte » ; page 268). Beaucoup d’intellectuels peu portés sur les sciences de la nature continuent de penser que la justice est un phénomène purement culturel et donc spécifiquement humain mais c’est inexact. Les éthologues ont fait suffisamment d’observations pour pouvoir affirmer que les primates ont acquis un sens inné et inconscient de la justice, plus ou moins développé selon les espèces, qui se traduit par des comportements bien identifiés. De nombreux philosophes et historiens ont du mal à admettre que la justice n’ait pas été inventée en 1789 !

Le sens de la justice est issu de l’intense coopération à laquelle étaient contraints les chasseurs de gros gibier que furent nos ancêtres pendant des centaines de milliers d’années. La coopération, pour être durable doit être profitable à tous les coopérateurs. ‘’Nous devons notre nature coopérative, notre goût du partage de la nourriture, notre sens de l’équité, voire notre morale, à nos ancêtres qui assuraient leur subsistance en chassant’’ (« La dernière étreinte » ; page 307). Ce n’est donc pas un hasard si les injustices nous bouleversent naturellement beaucoup plus que n’importe quel discours sans que nous ayons besoin d’être « formatés » dans un cadre culturel ; les enfants détectent les injustices dès leur plus jeune âge et y réagissent très vivement. Les révolutions ne sont pas à l’origine de l’appétence des humains pour la justice mais les injustices sont à l’origine des révolutions. Selon F. De Waal, ‘’….la moralité humaine trouve ses racines dans les émotions sociales, et notamment dans l’empathie. Les émotions sont notre boussole’’ ; notre morale n’est donc pas le fruit d’un raisonnement ; ‘’Si la moralité humaine pouvait se réduire à de sombres calculs et à de froids raisonnements, nous serions tous des psychopathes dont la bienveillance serait en effet toujours feinte’’ (« Primates et philosophes » ; page 91). La morale des psychopathes n’est pas la même que celle de la plupart d’entre nous ; ces derniers sont différents du point de vue biologique et la psychopathie est hautement héréditaire. Quant aux enfants, dont on pensait, dans un passé récent, qu’ils étaient des monstres d’égocentrisme et qu’ils resteraient à jamais étrangers à toute morale s’ils étaient livrés à eux-mêmes, on sait aujourd’hui qu’il n’en est rien et qu’au contraire, dès l’âge d’un an, ils ont de l’empathie pour ceux qui souffrent. Les principes moraux de base ne doivent rien à telle ou telle culture, ils sont universels, mais il y a des cas aberrants (1% de psychopathes, par exemple).

Sociabilité et coopération intenses, sens de la justice, altruisme, attachement au groupe, tels sont les fondements naturels de la psychologie humaine. La bienveillance envers les membres du groupe est la tendance lourde du comportement humain, bien qu’il existe une minorité de malveillants, d’égoïstes et de psychopathes dont les activités antisociales doivent être surveillées et contrecarrées. Ceci dit, il ne faut pas perdre de vue que cette bienveillance est dirigée avant tout vers les autres membres du groupe ; Frans De Waal écrit que c’est l’attachement à nos communautés qui a généré notre morale de base. ‘’La morale est en effet pour l’essentiel un phénomène intracommunautaire : partout on traite les étrangers de façon bien plus dure que les membres de la communauté – les règles morales s’appliquent alors parfois à peine’’ (« Primates et philosophes » ; page 92).

Altruistes et psychopathes

Abigail Marsh est professeure au département de psychologie de l’université de Georgetown dont elle dirige le laboratoire de neurosciences. Elle a consacré toutes ses recherches, depuis son doctorat, à l’altruisme et à la psychopathie. Son livre intitulé « Altruistes et psychopathes » a été traduit en français en 2019.

L’altruisme est lié à une substance chimique générée par le cerveau, l’ocytocine. L’arrêt de la production de cette molécule serait peut-être à l’origine de la psychopathie. Par ailleurs, la structure du cerveau appelée « amygdale » présente une anomalie, chez les psychopathes. La psychopathie est fortement héréditaire, à hauteur de 70% environ, selon Abigail Marsh (les caractéristiques psychologiques sont héréditaires, en moyenne, à hauteur de 50% , selon Robert Plomin). Contrairement à une croyance qui fut diffusée par les psychologues environnementalistes (béhavioristes) et les adeptes de Freud, la psychopathie n’est que très faiblement liée aux événements vécus au cours de l’enfance.

La psychopathie prive ceux qui en sont affectés de toute capacité d’empathie et elle se caractérise par une insensibilité aux autres, un contrôle de soi limité et des comportements antisociaux comme l’égoïsme, la manipulation et la duperie.

Abigail Marsh a représenté la distribution des caractéristiques psychologiques relatives à la bienveillance à l’égard des autres ; en abscisse, elle a positionné l’altruisme « extraordinaire » à l’extrême gauche et la psychopathie à l’extrême droite ; le nombre de personnes testées figure en ordonnée. Sans surprise, la courbe de distribution est une courbe de Gauss, ce qui signifie que le plus grand nombre, et de très loin, des Américains qu’elle a testés se situent au milieu. Une grande majorité d’entre eux sont des altruistes ; les altruistes « extraordinaires » (Mère Thérésa en était une) sont une minorité et les psychopathes « purs » en sont une autre. Entre ces trois groupes, se trouvent des cas intermédiaires, dont les 30% de personnes présentant une partie des symptômes de la psychopathie. La courbe de distribution est continue ; elle ne présente pas de seuils.

Selon Abigail Marsh, 1% des États-Uniens sont « hautement psychopathiques » mais 30% présentent certains traits psychopathiques : ‘’Une étude a trouvé que peut-être 30% des gens pouvaient être considérés comme au moins légèrement psychopathiques dans une version du test PCL utilisé pour dépister les adultes…..Point intéressant : c’est à peu près le même pourcentage qu’a retrouvé mon collègue David Rand dans une étude qu’il a menée en ligne sur les gens qui se comportent de manière parfaitement égoïste vis-à-vis des autres’’ («Altruistes et psychopathes » ; page 142). Il y a donc dans la société considérée comme étant la plus individualiste de toutes, une nette majorité d’altruistes, de l’ordre de 70%, ce qui montre que l’idéologie individualiste qui prévaut, à des degrés variables, dans ce pays comme dans la plupart des pays occidentaux, n’a pas modifié totalement leur nature altruiste. Les idéologies ont beaucoup moins d’importance que notre inclination altruiste mais certaines cultures permettent une plus grande expression de celle-ci : ‘’L’ensemble de ces changements étayent l’idée que, même si l’altruisme humain découle de processus biologiques fondamentaux largement héritables, il peut aussi être amplifié par des forces culturelles……’’ (« Altruistes et psychopathes » ; page 335).

 Il est intéressant de noter que l’altruisme des États-Uniens est plus ciblé que celui des Européens, qui, eux, ont opté pour une redistribution des richesses par l’État ; les États-uniens réservent le plus souvent leurs nombreux dons aux membres de leurs communautés respectives plutôt qu’à ceux des autres communautés (cf le livre d’Alberto Alesina et Edward Glaeser : « Combattre les inégalités et la pauvreté. Les États-Unis face à l’Europe »). Ce comportement n’a rien de surprenant, il  est même caractéristique de notre nature sociale ; nous avons plus d’empathie pour les membres de notre groupe que pour ceux d’autres groupes et nous nous intéressons davantage aux premiers qu’aux seconds, selon Pascal Boyer et Abigail Marsh : ‘’La majeure partie de nos efforts altruistes sont tournés vers des gens avec lesquels nous sommes en relation étroite depuis un moment ou qui appartiennent à un même groupe social, que ce soit la famille, le voisinage, le travail ou un groupe d’amis’’ (« Altruistes et psychopathes » ; page 157).

Une étude de la plus prestigieuse université privée d’Australie, la « Bond University », a montré qu’il y a 21% de psychopathes parmi les dirigeants d’entreprises, soit 20 fois plus que dans la population états-unienne et, selon Pascal Boyer, de nombreuses autres études ont permis de faire un constat identique qui concerne aussi la population des politiciens.

Nous n’avons pas connaissance d’études qui auraient été consacrées à d’éventuelles corrélations entre les préférences politiques, d’une part, et les tempéraments altruiste et psychopathique d’autre part, mais, compte tenu de ce que nous savons, il ne serait pas étonnant que de telles corrélations existassent et que nos idées servent en fait, dans de nombreux cas, à justifier rationnellement nos inclinations naturelles.

Cicéron et les lois naturelles

L’intuition concernant l’existence de « lois naturelles », et non pas de « droits naturels », que Cicéron aurait peut-être empruntée aux Stoïciens, semble donc fondée au vu des découvertes des anthropologues du XXIe siècle. Contrairement à ce que pensait Aristote, pour lequel il y avait un ordre de l’Univers, extérieur à l’être humain, qui régissait l’harmonie du monde, y compris le monde humain, Cicéron pensait, comme les Stoïciens, qu’il y avait une nature humaine purement intérieure. Selon ces derniers, les lois naturelles seraient des inclinations qui sont inscrites en nous ; ces lois ne sont pas des objectifs vers lesquels nous devrions tendre mais des impératifs qui nous dictent notre conduite. Maurice Paillasse disait que ces lois naturelles, préceptes innés propres à notre nature, constituent « les données immédiates de la conscience juridique ». Cicéron a écrit qu’il fallait chercher l’origine des lois dans la nature et pas seulement dans les lois écrites. Selon lui, ‘’De savants hommes ont jugé à propos de prendre pour point de départ la loi ; ont-ils eu raison ? Oui si, comme ils le posent en principe, la loi est la raison suprême, gravée en notre nature, qui prescrit ce que l’on doit faire et interdit ce qu’il faut éviter de faire. Cette même raison solidement établie dans l’âme humaine avec ses conséquences est la loi’’ (« Des lois » ; I, VI). Cicéron a précisé que « le droit a son fondement, non dans une convention, mais dans la nature » (« Des Lois » ; I ; X) et il ajouta que si les lois n’étaient que des conventions, il serait possible de convenir d’une loi ou bien d’une autre loi qui lui serait totalement contraire. On pourrait ainsi créer des lois permettant le brigandage, l’adultère et la falsification des testaments, écrit-il (« Des lois » ; I, XVI) ou pire encore. Certains États, dont les agissements monstrueux ont sidéré l’ensemble de l’humanité, ont créé, au cours du XXe siècle, des lois permettant de maltraiter, parfois de façon extrême, une partie de leurs populations, mais ces États, dirigés par des idéologues fanatiques, ont essayé de dissimuler aux populations qu’ils dirigeaient les massacres qu’ils avaient ordonnés parce qu’ils savaient bien qu’aucun humain normalement constitué ne pouvait les approuver. Les règles de fonctionnement des sociétés ne sont pas laissées au libre choix des êtres humains et, comme le disait un des grands penseurs du siècle dernier, qui fut un des fondateurs de la science éthologique, Konrad Lorenz, il est heureux qu’en matière de morale tout ne soit pas possible et que notre nature nous interdit d’accepter durablement certaines règles. Les réflexions de Lorenz rejoignent totalement celles de Cicéron sur ce point essentiel. Bien sûr, il y eût et il y a encore des États qui ont des institutions et des pratiques aberrantes mais, sans aucun doute, les peuples concernés changeront ces institutions et ces pratiques dès qu’ils le pourront.

Les lois naturelles ne sont pas toujours très précises mais elles constituent un socle à partir duquel les communautés humaines construisent leurs normes, lesquelles diffèrent dans la forme mais pas sur le fond. Les lois naturelles résultent d’une sélection qui a eu lieu au cours d’un très long processus d’adaptation de l’espèce humaine à son environnement naturel. Ces inclinations naturelles ne devraient-elles pas être prises en compte par tous ceux qui ont la charge de créer et de modifier les institutions ? Peut-il y avoir une bonne politique, conforme à l’exigence républicaine de recherche d’un Bien commun, sans que ces inclinations naturelles soient au centre des débats ? Non, bien sûr.

Cicéron a écrit : ‘’C’est que, pour distinguer une bonne loi d’une mauvaise, nous n’avons d’autre règle que la nature. Et non seulement la nature nous fait distinguer le droit de l’injustice, mais, d’une manière générale, les choses moralement belles de celles qui sont laides ; car une sorte d’intelligence partout répandue nous les fait connaître, et incline nos âmes à identifier les premières aux vertus, les secondes aux vices’’ (« Des lois » ; I , XVI). Et il ajouta, pour bien se faire comprendre : ‘’Le bien en soi est tel, non en vertu de conventions, mais par nature’’ (« Des lois » ; I, XVII).

Une bonne organisation politique ne peut aller à l’encontre de la loi naturelle

Nous avons vu que les humains acceptent spontanément d’être dirigés par des personnes compétentes dotées d’une grande expérience mais ils n’aiment pas être soumis à  des despotes. Les humains ne sont pas rigoureusement égalitaristes ; ils acceptent des inégalités dans la répartition des richesses mais jusqu’à un certain point au-delà du duquel ils considèrent que les inégalités sont des injustices. Les libéraux pourront continuer à accuser ceux qui dénoncent les injustices d’être des envieux ou des jaloux, l’esprit de justice perdurera. Autant donc mener une politique visant à limiter les inégalités en dessous du seuil de ce qui est considéré comme une injustice, si l’on veut maintenir la cohésion de la communauté nationale. Un bon régime politique, qui doit se préoccuper avant tout du Bien commun, c’est-à-dire de la pérennité et du bien-être de la communauté, ne peut gouverner par la force ou en imposant un système politique reposant sur la domination exercée par une caste tyrannique (mue par une idéologie ou une religion ou des intérêts privés…..) sur le reste de la société. L’acceptation d’une hiérarchie propre à certaines activités et d’une inégalité mesurée par les membres des communautés de chasseurs-cueilleurs n’a qu’une seule raison d’être : la survie du groupe. Dans tous les groupes humains, dans toutes les sociétés humaines, il y a bien sûr des individus qui veulent accaparer le pouvoir et les richesses au détriment du plus grand nombre ; l’intellectuel libéral Bernard Mandeville (1670-1733), que les Anglais de son époque appelaient « Man devil », a fait l’apologie de l’égoïsme dans sa fameuse « Fable des abeilles » mais l’égoïsme ne concerne qu’une minorité et l’altruisme est une inclination très majoritaire selon la psychologue Abigail Marsh.

Comme l’a écrit l’anthropologue Bernard Chapais, il semble évident que les règles collectives et les institutions qui vont à rebours de nos inclinations psychologiques naturelles ne peuvent que créer de l’insatisfaction et, partant, du mécontentement. Les régimes politiques tyranniques et/ou profondément injustes ou inégalitaires, c’est-à-dire tous les régimes contre-nature ne peuvent qu’échouer. La plupart des régimes communistes ont disparu et il est très probable que le régime chinois évoluera mais certainement pas dans le sens espéré par les Occidentaux. Les régimes totalitaires et autoritaires de droite ont, eux aussi, tous disparu en Europe et les groupes de marginaux  qui cultivent la nostalgie de ces régimes n’ont aucune chance de parvenir à leurs fins sauf, peut-être, à la faveur d’événements extraordinaires comme ce fut le cas au début du siècle dernier et comme c’est le cas en Ukraine où des nostalgiques du nazisme ont réussi à investir certains organes de l’État ; c’est la raison pour laquelle ils espèrent qu’un nouveau grand chaos leur offrira l’opportunité de s’emparer du pouvoir politique. Mais si cela arrivait, ce serait pour une période de courte durée parce que les humains n’aiment ni la coercition, ni la tyrannie, ni la hiérarchisation absolue de leurs sociétés, ni les inégalités trop importantes, ni l’égalitarisme radical, ni les privilèges démesurés, ni les injustices. De plus, ils ont besoin, en général, de lien social, d’entraide et d’appartenance à un groupe ce qui explique la résurgence des nations en ce début de XXIe siècle en dépit des efforts considérables déployés par les mondialistes libéraux et socialistes qui utilisent un arsenal impressionnant  pour les détruire.

Ce que nous apprennent les anthropologues nous amène à penser que le régime politique qui répond le mieux à nos inclinations naturelles est le régime républicain, sous réserve qu’il soit épuré de l’individualisme libéral,  un régime qui serait ancré dans une tradition culturelle nationale et ordonné à la recherche collective du Bien commun, un régime ayant pour objectif de réduire les dominations arbitraires, les injustices et les inégalités trop importantes, qui se méfierait des constructions idéologiques et qui préfèrerait s’en tenir aux enseignements tirés de l’observation du monde réel.

BG
Author: BG

Laisser un commentaire