La droite et la gauche sont plurielles depuis toujours
Lors des débats sur le veto royal qui eurent lieu en septembre 1789, l’Assemblée était divisée entre ceux qui pensaient que le roi devait avoir un droit de veto sur toutes les décisions de l’Assemblée constituante et ceux qui pensaient le contraire. Parmi les seconds figuraient Robespierre, Pétion et Barnave, entre autres, qui prirent l’habitude de siéger à gauche du président de séance. A l’inverse, du côté droit se regroupaient les partisans du veto absolu du roi. Le très libéral Siéyès était farouchement opposé au veto royal ; la première de toutes les gauches était libérale.
Le rêve rousseauiste d’une Assemblée unanime et mue par une commune « volonté générale » vola très rapidement en éclats comme l’a souligné Michel Winock. La droite et la gauche furent traversées dès l’origine par des contradictions insurmontables. Dès septembre 1789, les notions de droite et de gauche ne suffisaient pas à rendre compte de la complexité du spectre politique. Ainsi J.J. Mounier, qui était favorable au veto royal, était très éloigné des partisans de l’ordre aristocratique et Mirabeau, qui lui aussi plaida en faveur du veto royal, était partisan d’une synthèse originale entre monarchie et démocratie, ce qui l’éloignait considérablement des partisans de l’Ancien régime.
Michel Winock a montré que l’hétérogénéité de ce qu’on nomme par facilité la droite et la gauche a toujours existé depuis 1789 ; il a montré aussi que cette hétérogénéité a rendu très difficile l’union des partis aussi bien du côté gauche que du côté droit ; il n’ y a rien de nouveau sous le soleil ! Il semble cependant qu’il y ait eu plus d’unions à gauche qu’il n’y en eût à droite, même si elles furent très éphémères. Ceci est sans doute lié au fait que les doctrines de gauche partagent un même fonds idéologique dont l’origine se situe dans l’idéologie de la Révolution française tandis que la droite a été constituée par des courants dont les idéologies étaient éloignées, voire très éloignées les unes des autres. Comme l’a expliqué Jacques Julliard (« Les gauches en France »), depuis toujours, ce sont les gens de gauche qui décident qui est de gauche et qui est de droite, ce qui fait que la droite est l’ensemble de tous ceux que les gens de gauche considèrent comme leurs adversaires. Il en résulte une hétérogénéité foncière de la droite dont les différents courants peinent à s’unir. En fait, les droites ne se sont jamais unies sur un programme mais contre un adversaire commun.
Les revendications d’appartenance à la « vraie droite » sont fréquentes mais elles n’ont aucun sens puisque, nous l’avons dit, dès 1789, la droite était diverse et l’a toujours été jusqu’à nos jours.
Depuis 1789, il y eut de très nombreuses droites, très différentes les unes des autres : monarchienne (les Monarchiens étaient partisans d’une monarchie constitutionnelle à l’anglaise), royaliste, légitimiste, contre-révolutionnaire, orléaniste, bonapartiste, nationaliste, conservatrice catholique, royaliste-nationaliste (maurrassienne), gaulliste, libérale, démocrate-chrétienne, poujadiste…..il y eut même des fascistes et des partisans de Hitler, peu nombreux, il est vrai en France. Toutes ces droites sont très différentes les unes des autres et, dans beaucoup de cas, elles ne partagent rien au plan philosophique mais elles ont en commun d’être en désaccord avec les gauches sur des points plus ou moins importants ; leurs associations temporaires ont été provoquées par la montée en puissance d’adversaires communs, notamment les socialistes et les communistes. Ces associations de circonstance n’ont jamais généré pour autant une quelconque essence de la droite. Pour illustrer ces différences insurmontables, on peut comparer la « droite » libérale et conservatrice représentée par François-Xavier Bellamy (LR) à la « droite » républicaine et souverainiste représentée par Florian Philippot (Les Patriotes). Le premier est libéral, catholique conservateur, pro-UE, pro euro, pro-OTAN tandis que le second, qui n’est ni libéral ni catholique conservateur, est, d’une part, partisan de la sortie de l’UE et de l’OTAN, d’autre part, pour le retour à la monnaie nationale. Certains prétendent qu’ils sont tous les deux de droite mais nous peinons à trouver un point commun significatif entre leurs points de vue respectifs hormis peut-être la volonté de mettre un terme à l’immigration mais F.X. Bellamy soutient l’UE et cette dernière a une politique très favorable à l’immigration tout comme le patronat avec lequel il est en communion de pensée pour ce qui relève de l’économie.
De nombreuses droites avaient été précédemment des gauches ; ainsi, les libéraux ont été repoussés à droite lors de l’apparition du mouvement socialiste puis du mouvement communiste mais ils ne partageaient, avec les autres droites, que leur opposition au socialisme et au communisme. Le bonapartisme, qui émergea du jacobinisme, passa à droite pour les mêmes raisons. Le danger communiste ayant disparu, les libéraux de droite se sont tournés, après 1990, vers les libéraux de gauche avec lesquels ils partagent l’essentiel au plan idéologique et, depuis 2017, ils se sont rassemblés autour d’Emmanuel Macron.
Droite/gauche, liberté/égalité
Selon certains qui se disent de droite, la gauche serait le parti de l’égalité tandis que la droite serait le parti de la liberté. La difficulté avec les mots « égalité » et « liberté » c’est qu’ils ont plusieurs significations. L’égalité peut être juridique et politique, de nature ou économique. La liberté peut être celle de l’individu souverain des libéraux ou la liberté comme absence d’arbitraire des républicains.
La gauche, des libéraux du XVIIIe siècle à Marx (qui, lui, ne se pensait pas comme un homme de gauche), a été d’abord et avant tout le parti de l’émancipation individuelle, avant d’être celui de l’égalité. La première des gauches était libérale et l’objectif premier du libéralisme c’est l’émancipation de l’individu qui, selon les libéraux, doit être souverain. Ces derniers ont repris à leur compte l’idée républicaine préexistante d’égalité politique et juridique qui, aujourd’hui, et depuis longtemps déjà, va de soi pour l’immense majorité des Français. Seules d’infimes minorités pensent, de nos jours, en termes de hiérarchie absolue et d’inégalité politique et juridique. Il reste bien quelques monarchistes, quelques fascistes et une poignée de partisans d’une société aristocratique, mais ce sont des marginaux. L’égalité politique et juridique coule de source pour presque tous les Français mais il faut noter que dans les milieux libéraux, l’idée d’une inégalité politique censitaire refait surface.
L’égalité économique rigoureuse a été envisagée par certains auteurs au cours du XVIIIe siècle mais elle n’est devenue un objectif important des forces de gauche que très tardivement ; suite à l’échec des tentatives communistes, l’idée d’égalité économique s’est affaiblie et c’est l’idée originelle d’émancipation individuelle qui est redevenue l’axe principal des idéologies de gauche, même si une gauche rigoureusement égalitaire au plan économique existe encore.
La gauche, au cours de la deuxième partie du XXe siècle, a promu l’idée d’une égalité naturelle des humains laquelle était déjà présente implicitement dans l’idéologie de la Révolution française puisque les théoriciens révolutionnaires pensaient que l’homme, à la naissance, est une « tabula rasa » ; il ne serait donc, selon eux, qu’un produit de son éducation. Cette idée est très largement infirmée par les psychologues, les généticiens et les neurobiologistes contemporains mais, en France tout particulièrement, elle perdure, y compris dans les milieux libéraux car on peut être libéral et croire à l’égalité naturelle des humains ; contrairement à ce que pensent certains « libéraux-conservateurs », il y a bel et bien des égalitaristes parmi les libéraux. Par exemple, Ayn Rand, qui inspire beaucoup de libéraux et de libertariens, croyait dur comme fer à la fable de la « tabula rasa » tout en justifiant par ailleurs les inégalités économiques les plus extrêmes. L’égalité de nature a été plus communément portée par les militants de gauche que par ceux de droite (il faut toujours distinguer les militants et les idéologues des électeurs) mais de nos jours , cette idée est beaucoup moins crédible ; les recherches nombreuses qui ont été faites dans ce domaine au cours des dernières décennies ont mis en évidence l’héritabilité modérée des compétences cognitives (de 40 à 50%) et l’héritabilité faible à forte, selon les cas, des traits psychologiques et comportementaux. De ce fait, le débat sur l’inné et sur l’acquis, qui fut agité au cours des années 1970 à 2000, s’est apaisé. Les partisans de la très forte héritabilité de l’intelligence comme ceux de la « tabula rasa » avaient tort ; la vérité se situe à mi-chemin entre ces positions extrêmes et cela est de plus en plus largement admis.
Quant aux droites, les premières d’entre elles, monarchienne, légitimiste et contre-révolutionnaire, n’étaient pas préoccupées par les libertés individuelles, pas plus que ne le furent, plus tard, les droites néo-monarchiste et autoritaires. Les premières droites pensaient en termes de tradition monarchique et catholique, de nouvel ordre national-étatique ou de société hiérarchisée et aristocratique, nullement en termes de libertés personnelles et encore moins de liberté politique républicaine. Il n’est donc pas possible de dire que la droite fut le parti de la liberté et, à aucun moment, la droite n’a été le parti de la liberté politique au sens d’absence d’arbitraire. Il faut bien admettre que ce sont les libéraux (c’est-à-dire la gauche) qui ont introduit, à l’époque moderne, l’idée du refus de l’arbitraire (cette idée avait été l’idée centrale du républicanisme romain qui, à la différence majeure du libéralisme, n’était pas individualiste) en même temps, hélas, que l’individualisme (l’idée selon laquelle l’humanité serait constituée d’individus souverains libres de toutes appartenances).
La droite a fini par se rallier progressivement au régime républicain à partir de la fin du XIXe siècle, mais du bout des lèvres et avec beaucoup de réserves jusqu’en 1914. André Tardieu, qui s’opposait aux doctrines monarchiste et fasciste et qui se définissait comme républicain, examina, au cours des années 1930, le « républicanisme » issu de la Révolution française parce qu’il avait senti qu’il y avait quelque chose de malsain qui s’en dégageait ; il avait reniflé les effluves délétères de l’individualisme qui émanaient de ce « républicanisme » très particulier. Rappelons que les révolutionnaires ont baptisé du nom de « république » un régime dont les fondements étaient surtout libéraux. La Rome républicaine était à la mode pendant la Révolution mais cette mode était très superficielle ; pour nos révolutionnaires, la république n’était qu’un régime sans roi (voir à ce sujet le livre de François Robert qui fut publié en 1791). Certes, la fondation de la république romaine coïncide avec la fin de la royauté mais, à la différence de l’idéologie de la Révolution française, le républicanisme romain n’était nullement individualiste ; il était fondé sur l’appartenance à une communauté civique et culturelle et sur le patriotisme. A contrario, pour les fondateurs de la IIIe République, cette dernière était une incarnation de la philosophie libérale (cf Jacques Julliard ; « Les gauches françaises »).
Après 1945, la droite se rallia massivement au libéralisme et à l’idée de liberté inconditionnelle de l’individu souverain, longtemps après la gauche du XVIIIe siècle. Les droites n’ont donc été pionnières ni en matière de liberté individuelle ni en matière de liberté politique au sens républicain du terme, à savoir au sens de liberté comme absence d’arbitraire.
En résumé, la « gauche » a été plus favorable aux idées d’égalité de nature, d’égalité juridique et politique et d’égalité économique que ne l’a été la « droite » mais la « droite » libérale a adhéré elle aussi à la première et a fini par admettre la seconde (à l’exception d’une minorité marginale) tandis que la « gauche » est beaucoup moins égalitaire en matière économique qu’elle le fut dans le passé . Par ailleurs, s’il n’y eut jamais de partisans d’une égalité radicale à droite, il y eut des partisans d’une inégalité mesurée parmi les théoriciens (De Mun, De la Tour du Pin) ou les hommes politiques dits de droite (De Gaulle et De la Rocque).
Pour ce qui concerne la liberté, il est évident que la droite n’a pas été pionnière dans ce domaine et qu’elle n’a vraiment pris en compte la demande de libertés personnelles et admis le principe de liberté politique comme absence de domination qu’en devenant libérale, c’est-à-dire très tardivement et en ingérant du même coup l’individualisme propre au libéralisme, c’est-à-dire la souveraineté individuelle et le refus de reconnaître quelque bien commun que ce soit. Plutôt que de se convertir au libéralisme, elle aurait pu suivre la démarche d’André Tardieu qui était républicaine, c’est-à-dire civique et patriotique, mais elle rata le coche, faute de réflexion.
La nation est-elle une valeur commune à toutes les droites ?
Pour certains, l’attachement à la patrie, à la nation, serait la marque de fabrique de la droite mais cela est très contestable. Les premières droites (royaliste, légitimiste, contre-révolutionnaire) ne furent pas « nationales », elles étaient monarchiques ; pour elles, les deux piliers de la société, telle qu’elles l’imaginaient, étaient le catholicisme et l’institution royale. Pour ces premières droites, la nation n’était pas une « valeur », ce n’était qu’une donnée relevant de la géographie humaine (une population vivant sur un territoire, parlant une langue et soumise à un pouvoir politique ; c’est ainsi qu’était définie la nation avant la Révolution). C’est Maurras qui concocta, à l’extrême fin du dix-neuvième siècle, une synthèse du monarchisme et du nationalisme laquelle, bien que promue par des écrivains et des intellectuels de qualité, ne parvint pas à s’imposer au plan politique en dépit de l’attraction culturelle qu’exerçaient les écrits maurrassiens sur un large public.
Depuis la fin de la séquence gaullienne, la droite acquise de plus en plus massivement au projet européiste, s’est détournée de la nation. Quoi que disent les élus de droite (LR et associés) quand ils s’expriment dans les médias nationaux, ils sont en accord parfait avec les européistes quand ils sont à Bruxelles, y compris le très « conservateur » François-Xavier Bellamy. La droite n’est donc pas unanimement attachée à la pérennité de notre nation.
Par ailleurs, la Nouvelle Droite, qui n’est pas une organisation politique mais un mouvement métapolitique dit de droite, est, lui aussi, radicalement européiste. Son européisme est différent de celui des partisans de l’Union Européenne puisqu’il plaide pour la création d’une Europe des régions dans laquelle les nations historiques auraient disparu. Son projet est celui de l’ « Europe aux cent drapeaux » qui fut promue par les derniers défenseurs du Reich hitlérien (notamment l’écrivain Saint Loup, ancien volontaire de la Waffen SS, qui publia une carte de la dite Europe dans un de ses livres).
La nation était au sommet de la hiérarchie de valeurs du général de Gaulle ; il l’a dit de manière très explicite (« Il y a d’abord la France, puis l’État et enfin le droit dans la mesure où il ne nuit pas aux deux premiers »). Les journalistes et militants de gauche l’ont toujours désigné comme étant de droite mais il ne partageait pas cet avis ; en fait, il n’avait que faire de la droite et de la gauche. Il a même dit qu’il n’aimait pas la droite parce que les gens de droite aiment trop l’argent. S’il a été soutenu par des gens de droite, la droite libérale ne l’aimait pas et la droite pétainiste le haïssait au point de vouloir l’assassiner. A contrario, il avait des amis que les médias désignaient comme « gaullistes de gauche » (Capitant, Vallon…). Le Général était inclassable et il ne voulait surtout pas être étiqueté. L’attachement à la nation n’est donc ni commun à toutes les droites ni propre aux seules personnes classées à droite. De très nombreux électeurs qui votent pour des partis de gauche sont des patriotes, même si c’est parmi les électeurs de ces partis, mais aussi parmi les libéraux macronistes, que la proportion de mondialistes est la plus élevée.
Les droites ont-elles toujours été libérales ?
Le libéralisme économique est-il un élément commun à toutes les droites du présent et du passé ? Non, bien sûr. Il y eut dans le passé une droite sociale-catholique dont les intellectuels principaux furent Albert de Mun et René de la Tour du Pin qui avaient été légitimistes jusqu’au décès du Comte de Chambord, en 1883. Considérant que la restauration monarchique était alors impossible, ils œuvrèrent à la création d’un mouvement social-catholique lorsque Léon XIII publia l’encyclique « Rerum Novarum », en 1891, dans laquelle il dénonçait les effets désastreux du libéralisme économique (paupérisation, conditions de travail des ouvriers, salaires de misère, utilisation d’enfants y compris pour des tâches pénibles et dangereuses…..). Par ailleurs, Léon XIII avait exigé, en 1890, le ralliement des catholiques au régime républicain ce qui contraignit de nombreux royalistes à abandonner le camp légitimiste et à rejoindre Albert de Mun et René de la Tour du Pin. Pendant le dernier quart du XIXe siècle ils participèrent, contrairement à la plupart des élus de droite, à l’élaboration de toutes les lois sociales votées pendant cette période, tout en restant opposés aux socialistes. La droite de cette époque n’était donc pas unanime sur la notion de justice sociale, pas plus d’ailleurs que sur le régime politique.
Parmi les héritiers de De Mun et De la Tour du Pin, il faut citer le Parti Social Français qui était dirigé par le colonel François de La Rocque. Républicain et catholique, le PSF n’a jamais été fasciste comme l’ont dit et le disent encore parfois les militants de gauche. De la Rocque a refusé tous les projets d’union des droites antimarxistes proposés par le PPF de Doriot, comme quoi l’union des droites a toujours été très difficile, et, par ailleurs, il n’avait que mépris pour les royalistes qui lui vouaient une haine viscérale. Le PSF ne soutint pas le régime de Vichy, à cause notamment de son antisémitisme, et son chef fut arrêté par la Gestapo en 1943 avec 152 autres cadres de son parti, puis déporté en Allemagne. Il mourut en 1946 des suites des mauvais traitements infligés par les nazis. Avec 1 200 000 adhérents en 1939, le PSF fut le plus grand de tous les partis politiques français de tous les temps. Ce parti, à l’instar du PCF menait une action à caractère social dirigée vers les classes défavorisées qui était le domaine de prédilection des centaines de milliers d’adhérentes du PSF. Notons que le plus important, et de très loin, de tous les partis de droite ayant existé en France était républicain et hostile aux droites royaliste et fasciste ; par ailleurs, l’idée de solidarité nationale, qui était portée par le PSF, était une idée essentielle de ce parti qui bien que souscrivant à l’économie de marché n’était pas libéral (les libéraux récusent toute idée de justice sociale ; ils pensent que le marché permet un ajustement spontané dans tous les domaines, ce qui n’a jamais été constaté).
Le général de Gaulle, qui fut le dernier grand homme politique français que l’on peut qualifier de nationaliste (mais son nationalisme était mesuré), ne se considérait pas comme appartenant à la droite ; d’ailleurs, son projet de Participation de tous les salariés au capital et à la gestion des entreprises fut soutenu par les seuls gaullistes dits de gauche (Vallon et Capitant notamment) et combattu par la droite, les libéraux et le CNPF qui furent en partie responsables de l’échec du référendum de 1969 et de la démission du chef de la France Libre. Le Général n’aimait pas le capitalisme libéral et il le disait, ce qui faisait hurler la droite. Nous consacrerons un prochain article à la Participation gaullienne, une idée essentielle du gaullisme que les prétendus héritiers du Général ont enterrée dès 1969.
L’axe droite-gauche ne permet pas de rendre compte de la variété des idées politiques
Il est impossible de représenter sur un axe la diversité des idées politiques. Situer sur un axe, c’est-à-dire dans un espace unidimensionnel, des théories politiques qui ont de multiples dimensions (au moins cinq ou six dimensions importantes) est tout simplement absurde ; les raisonnements en termes de droite et de gauche sont indigents mais les militants de gauche y sont très attachés, tout comme, depuis quelques années, une certaine droite. Ce qu’on appelle la « droite » est un ensemble hétéroclite de courants dont certains partagent peu d’idées voire aucune. La classification sur l’axe gauche/droite est simpliste et il en résulte des débats ineptes sur l’appartenance du nazisme et du fascisme à la gauche par exemple, sous prétexte que les nazis ont utilisé le mot « socialisme » et que Mussolini avait été socialiste avant 1914, et en oubliant qu’il ne l’était plus en 1922. Les fascistes et les nazis rejetaient totalement ce qui constitue toujours les fondements des philosophies politiques de gauche (y compris le libéralisme), à savoir la philosophie des Lumières et l’idéologie de la Révolution française. Ils étaient aussi totalement opposés au marxisme qui fut la philosophie de gauche dominante au XXe siècle. En même temps, ils avaient, plus ou moins, des idées « sociales » mais est-ce que cela suffit à en faire des gens de gauche ? Sûrement pas ! En fait, dans l’espace à 5 ou six dimensions, qui serait nécessaire pour prendre en compte les cinq ou six idées principales des différentes théories politiques (inégalité-égalité, nationisme-mondialisme, individualisme-collectivisme,…….), ils seraient situés à une très grande distance des socialistes, des libéraux et des communistes. On peut dire la même chose du général de Gaulle. Était-il de droite ou de gauche ? Son nationalisme mesuré est considéré, par les militants de gauche, comme étant une idée de droite mais son idée de Participation, qui n’était pas, pour le Général, une idée marginale mais une idée essentielle, était perçue comme une idée de gauche par les gens de droite. Sa critique très dure du capitalisme libéral n’était pas, elle non plus, de droite. On pourrait multiplier ce genre d’exemples à l’infini. Ainsi, les journalistes et ses adversaires politiques disent en général de Marine Le Pen qu’elle est d’extrême-droite mais les « libéraux-conservateurs » l’accusent d’être de gauche parce qu’elle se préoccupe du bien-être des plus pauvres tout en croyant que ses électeurs sont « de droite », ce qui est inexact puisque 27% d’entre eux seulement se disent de droite.
Il faut distinguer les acteurs de la politique (cadres et membres des partis politiques) de leurs électorats. Les premiers, ont plus ou moins un souci de cohérence doctrinale tandis que le citoyen standard n’a aucun souci de cet ordre. C’est ainsi que 100% des cadres et des militants de LFI sont favorables à l’immigration tandis que 50% des électeurs de ce parti y sont opposés. Il en va ainsi pour de nombreuses idées parce que les électeurs votent en fonction de ce qui leur semble le plus important au moment du vote ; le niveau de vie, par exemple, ou la réduction des inégalités plutôt que l’arrêt de l’immigration, même s’ils sont opposés à cette dernière. De très nombreuses personnes sont à la fois de « gauche » sur certains sujets et de « droite » sur d’autres ; leurs choix électoraux peuvent évoluer quand l’importance de certains problèmes croît ou décroît. En ne prenant en compte que les idées qu’ont les Français au sujet de l’immigration et de l’insécurité, la droite se plaît à croire qu’il y a une droitisation de nos compatriotes, ce qui n’est qu’une illusion. Si 75% des Français environ veulent mettre un terme à l’immigration et à l’insécurité, une nette majorité est opposée aux inégalités économiques grandissantes et au modèle économique libéral (75% d’entre eux soutenaient les Gilets Jaunes). Il y a donc « droitisation » sur certains sujets mais pas sur d’autres et le refus de l’immigration n’implique nullement l’adhésion au libéralisme ou au conservatisme catholique. L’analyse d’É. Zemmour et de ses amis est donc totalement fausse et elle les empêche de comprendre ce qui, dans l’état actuel de leur programme, les cantonne dans un créneau électoral très étroit.
Un tiers des Français seulement se disent de droite ou de gauche
L’étude « Fractures françaises de 2019 » indique que nos compatriotes ne s’y retrouvent pas et ont du mal à distinguer ce qui serait clairement de droite de ce qui serait clairement de gauche. Cette étude indique que 16% seulement des Français se disent de droite et 17% de gauche, soit au total 33% pour ces deux premières catégories, tandis que 34% se disent « du peuple », 12% du centre, 5% nationalistes, 4% patriotes, 3% libéraux, 3% progressistes, 3% révolutionnaires, 1% conservateurs, 1% réactionnaires et, enfin, 1% souverainistes. Notons que les électeurs qui se définissent comme étant de droite votent essentiellement pour LR (69% des électeurs de ce parti) tandis que 27% seulement des électeurs du Rassemblement National se définissent comme tels (parmi les électeurs de ce dernier, 30% se disent du peuple, ce qui est le taux le plus élevé parmi les électeurs ayant une préférence partisane ; 23% se disent nationalistes et 10% patriotes). Il est intéressant de noter aussi que parmi les électeurs qui n’ont pas de préférence partisane, 57% se disent « du peuple » et 5% seulement se disent de droite (10% centristes, 5% de gauche, 3% nationalistes, 4% patriotes, 3% progressistes, 5% révolutionnaires, 2% conservateurs et 1% souverainistes). Cette dernière catégorie recouvre très largement celle des abstentionnistes qualifiés d’ « antidémocrates » dans une étude de la Fondation Jean Jaurès, une catégorie flottante qui pourrait faire basculer l’échiquier politique si elle se mobilisait mais qui ne se rallierait certainement pas à une union des droites. On comprend bien, au vu de ces chiffres, que le Rassemblement National n’a aucun intérêt à s’afficher comme étant de droite, conservateur ou libéral puisque son réservoir de voix se situe du côté de cette large frange qui n’a pas de préférences partisanes et qui ne se sent ni de droite, ni conservatrice, ni libérale.
La gauche est, elle aussi, très diverse
Si la droite fut très diverse dés ses origines, il en alla de même pour la gauche. D’ailleurs, les révolutionnaires ne guillotinèrent pas seulement des royalistes ou supposés tels mais aussi d’autres révolutionnaires, y compris parmi les plus importants.
Si la droite est un capharnaüm, la gauche l’est presque autant. La gauche a d’abord été libérale, puis il y eut plusieurs courants socialistes (utopique, proudhonien, marxiste…..) qui cohabitèrent difficilement avec les radicaux, lesquels étaient des libéraux, et les radicaux socialistes qui étaient plus égalitaristes. Ces courants furent très souvent opposés les uns aux autres, parfois de manière violente. On se souvient des communistes qui accusaient les socialistes de la SFIO d’être des « sociaux traîtres » voire même des « sociaux fascistes ». Les choses n’ont pas vraiment changé puisque J.L.Mélenchon a comparé récemment Fabien Roussel à Jacques Doriot ! En ce moment, l’apparition du mouvement « woke » en France crée des tensions très vives au sein de la gauche. Une partie de cette dernière réfute et refuse les thèses « wokistes ». Ainsi, la sociologue Sophie Heinich, qui revendique son appartenance à la gauche, lutte contre le « wokisme » universitaire, ce qui lui vaut d’être insultée et accusée de tous les maux. Elle a publié récemment un livre dans lequel elle fait une analyse très intéressante de cette nouvelle idéologie (« Le wokisme serait-il un totalitarisme ? »). On pourrait multiplier les exemples de ce genre parce qu’il y a à gauche des courants politiques qui ont des projets très différents les uns des autres.
Ceci dit, la diversité, à gauche, est moindre au plan idéologique qu’elle ne l’est à droite. Cela tient au fait que, contrairement aux droites, toutes les gauches ont un fond idéologique commun qui est un legs de la philosophie des Lumières et de la Révolution française.
Ni de droite, ni de gauche !
Les notions de droite et de gauche ne présentent que très peu d’intérêt ; elles sont utilisées par facilité mais elles ne reflètent pas la diversité et la complexité des théories politiques. Ces notions n’apportent rien à la compréhension des théories politiques et peu de Français se reconnaissent dans ces deux catégories aux contours et aux contenus flous. Il vaudrait sans doute mieux se passer d’elles ; d’ailleurs, Marine Le Pen, qui a fait ce choix, s’en porte très bien tandis que ses concurrents qui abusent du mot « droite », rencontrent quelques difficultés, semble-t-il ! Nous ne manquons pas de mots qui permettent, quand on les associe par deux, de définir les différentes théories politiques de façon beaucoup plus précise que ces deux mots nébuleux, droite et gauche. Euro-libéral, catholique conservateur, libéral-conservateur (qui est un oxymore, mais certains y sont attachés), national-républicain….., ces mots composés sont beaucoup plus explicites que le mot « droite » qui, de surcroît, est utilisé par tous ceux qui préfèrent dissimuler derrière un mot passe-partout des opinions difficilement avouables en public (monarchistes, fascistes……).
Enfin, pour de nombreux Français, la droite est assimilée aux riches et aux puissants, ce qui, il faut bien l’admettre, est assez justifié. La droite, depuis 1789, a le plus souvent soutenu les intérêts des privilégiés, aristocrates tout d’abord puis, plus tard, capitalistes, ce qui constitue un gros handicap. Là aussi, il faut reconnaître que Marine Le Pen, qui ne se réfère jamais à la notion de droite, a bien senti les choses puisque sa popularité dans les milieux populaires, qui sont les plus nombreux, ce qui semble échapper aux « libéraux-conservateurs », est très grande. Son choix est de toute évidence, et pas seulement du point de vue électoral, le meilleur qui soit.