Samuel Huntington et « Le choc des civilisations »
Selon le professeur étatsunien Samuel Huntington (1927 – 2008), qui enseignait à Harvard, à la fin de la guerre froide, laquelle avait pour origine un différend politico-idéologique, nous serions entrés dans une nouvelle ère géopolitique dans laquelle les conflits idéologiques auraient été remplacés par des conflits liés aux différences de civilisation : ‘’Les alliances définies par l’idéologie et les relations avec les superpuissances sont remplacées par des alliances définies par la culture et la civilisation’’ (« Le choc des civilisation » ; page 135). Vingt sept après sa publication, alors que la thèse qu’il contient est reprise par certains acteurs de la vie politique, une relecture de ce livre, s’impose.
Ce que l’on constate à sa lecture, c’est que, finalement, il n’y a que très peu de conflits interétatiques majeurs qui aient des origines véritablement culturelles et les conflits entre États occidentaux et États islamiques, eux-mêmes, ne sont pas toujours d’ordre culturel ; Huntington a écrit : ‘’Les conflits entre l’Occident et l’islam sont donc moins centrés sur des questions territoriales qu’intercivilisationnelles, comme la prolifération des armements, les droits de l’homme et la démocratie, le contrôle du pétrole, les migrations de population, le terrorisme islamiste et les interventions de l’Occident’’ (page 233) mais dans cet inventaire, la plupart des éléments comme la prolifération de l’armement, le contrôle du pétrole, les migrations de population et les interventions de l’Occident n’ont rien à voir avec les cultures des protagonistes ; ils relèvent de la politique, de la géopolitique et de la démographie mais seul le terrorisme islamiste a une origine religieuse et les interventions de l’Occident, qui sont essentiellement étatsuniennes, ont en général pour origine des raisons économiques (contrôler le pétrole) qui sont travesties en raisons morales ou politiques (les droits de l’homme ou la démocratie). L’islam est conquérant, missionnaire et universaliste mais les USA le sont eux aussi pour des raisons qui sont plus d’ordre idéologique que religieux. La « destinée manifeste » que se prêtent les États-Uniens les pousse à imposer au monde leurs idées, leur mode de vie et leurs institutions, ce qui est insupportable pour la plupart des non-Occidentaux et même pour une partie des Occidentaux.
Huntington reconnaît que les États-nations sont et demeureront les acteurs principaux en matière de politique internationale, mais, disait-il, leurs intérêts, leurs alliances et leurs conflits sont de plus en plus influencés par des facteurs culturels et civilisationnels (page 32). Ceci dit, il ajoute dans la même page que le « paradigme civilisationnel », selon lequel les lignes de fracture géopolitiques suivent les frontières des « sept ou huit » civilisations existantes, était valable en 1996 mais qu’il deviendra obsolète aussi rapidement que le paradigme est-ouest lequel a disparu au bout de 45 années seulement (1945-1990). Les thuriféraires du « paradigme civilisationnel » n’ont pas pris en compte ce détail et ils considèrent que ce paradigme est valable depuis toujours et pour toujours, ce qui est faux et contraire à ce que pensait Huntington lui-même.
L’analyse de Huntington reposait sur le fait qu’en 1996, près de la moitié des conflits en cours opposaient des peuples appartenant à des civilisations différentes mais parmi les peuples qui étaient alors engagés dans des conflits majeurs, il y avait surtout des États musulmans et les États-Unis lesquels ont mené plus de cinquante guerres depuis 1945 (toutes guerres perdues ou n’ayant débouché sur rien de substantiel, y compris la guerre de Corée qui ne fut pas perdue mais qu’ils ne gagnèrent pas non plus). En fait, les guerres interétatiques ont très rarement des origines purement « civilisationnelles » mais il est vrai que l’islam a la prétention de convertir l’humanité à sa foi tout comme les États-Unis ont la prétention d’imposer à toute l’humanité leur philosophie individualiste, leurs mœurs et leur modèle consumériste et que leurs actions militaires ont aussi des objectifs beaucoup plus terre à terre ; faire main basse sur des richesses naturelles, par exemple. Les États-Unis sont le plus belliqueux de tous les pays ; son budget militaire est de l’ordre de 820 milliards de dollars (9 fois plus que celui de la Russie), soit 40% des dépenses militaires mondiales (pour 4% de la population mondiale) alors que les États-Unis ne sont menacés sur aucune de leurs frontières et qu’ils sont protégés par deux océans. Les atlantistes disent bien sûr que cet effort de guerre permanent est destiné à la protection du « monde libre », lequel n’est menacé par personne hormis les groupes djihadistes dont l’existence ne permet pas de justifier les dépenses militaires des États-Unis.
Nous savons maintenant que l’armée rouge était incapable d’envahir l’Europe occidentale et les États-Uniens le savaient bien mais cette fable permettait de rendre dociles les Européens. La nouvelle fable, selon laquelle les États européens seraient menacés par la Russie a la même raison d’être mais elle ne repose sur rien. La Russie est immense, elle regorge de richesses naturelles et elle n’a besoin de rien d’autre. Elle n’a pas de problème territorial, si ce n’est celui du coût de la défense de son immense territoire. Nous savons, suite à la déclaration du député ukrainien David Arakhamia, que la Russie ne voulait pas s’emparer du territoire ukrainien en février 2022. Elle voulait empêcher l’Ukraine d’adhérer à l’OTAN, ce que les Occidentaux avaient promis à Gorbatchev en 1991 ; elle n’envisageait même pas de conquérir le Donbass mais elle voulait seulement imposer l’application des accords de Minsk concernant les populations du Donbass et plus largement les russophones d’Ukraine, ce que les Occidentaux n’ont jamais eu l’intention de faire ; Merkel, Hollande et Porochenko ont confirmé ce dernier point en 2022. Il n’y a pas d’impérialisme russe contrairement à ce racontent les propagandistes occidentaux.
Les liens entre civilisations et politique internationale sont ténus. Ils peuvent parfois prendre de l’importance mais les intérêts des États finissent toujours par revenir au premier plan. Les cités grecques qui avaient conscience d’appartenir à une même civilisation se faisaient plus la guerre entre elles qu’elles ne la faisaient avec les Perses et au sein de la Chrétienté, s’il y eut des associations pour reconquérir la Terre Sainte, il n’en demeure pas moins qu’il y avait plus de guerres entre les Européens au cours du Moyen Âge qu’il n’y en avait entre ces derniers et les Musulmans. Au siècle dernier, les Occidentaux se sont déchirés comme jamais en dépit de ce qu’ils partageaient au plan culturel et le monde islamique n’est pas épargné par les conflits internes (guerres récentes Irak-Iran et Arabie Saoudite-Yémen…..L’Algérie et le Maroc finiront peut-être par s’entredéchirer au sujet du Sahara occidental) en dépit du fait qu’il y ait un fort sentiment d’appartenance au monde musulman par delà les frontières étatiques. Mais ce sentiment doit être relativisé ; la guerre israélo-palestinienne en cours provoque des manifestations anti-israéliennes dans tout le monde musulman mais, pour le moment, aucun État musulman ne s’engage vraiment aux côtés des Palestiniens. Il y a eu une conférence réunissant de très nombreux chefs d’États musulmans en novembre 2023 mais, pour l’instant, elle n’a débouché sur rien de concret.
Les États, y compris les États musulmans, n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. Les affinités liées à l’appartenance à une même civilisation peuvent avoir une certaine importance mais les intérêts des États prévalent en général même si dans le monde musulman la religion commune a une importance plus grande que dans les autres aires civilisationnelles.
En fait, les conflits inter-civilisationnels ont lieu le plus souvent au sein d’États hétérogènes comme le Soudan (musulmans au nord et animistes et catholiques au sud) ou le Nigéria qui est, lui aussi, écartelé entre musulmans, animistes et chrétiens. L’immigration de populations musulmanes en Europe génère des heurts, qui pourraient s’étendre, entre autochtones et immigrés. Les sociétés multiculturelles sont multi-conflictuelles et, de ce fait, l’État mondial dont rêvent les milliardaires, les libéraux et les socialistes, serait une très mauvaise solution parce que la multi-conflictualité des États multiethniques et multiculturels rend nécessaire l’instauration d’un pouvoir tyrannique capable de maintenir l’ordre, de manière coercitive évidemment. La solution permettant la coexistence la plus pacifique de communautés humaines ayant des philosophies, des religions, des institutions politiques, des mœurs….différentes est celle d’un ensemble d’États-nations indépendants et, si possible, homogènes, qui respectent l’existence de tous les États et qui ne s’immiscent pas dans les affaires intérieures des autres États. Notons que c’est le principe premier des BRICS.
Les conflits territoriaux sont les plus nombreux
La plupart des conflits ont pour origine un différend territorial ; Samuel Huntingon a écrit: ‘’Les conflits civilisationnels sont parfois des luttes pour le contrôle des populations. Mais, le plus souvent, c’est le contrôle du sol qui est en jeu’’ (« Le choc des civilisations » ; page 279). Les conflits entre peuples appartenant à des civilisations différentes ont donc le plus souvent pour origine la volonté de contrôler un territoire et ses richesses ; c’est-à-dire qu’ils n’ont rien à voir avec les différences culturelles ! C’est d’ailleurs ce qu’a constaté l’anthropologue Maurice Godelier en Nouvelle-Guinée et, par ailleurs, les conflits territoriaux sont très fréquents au sein d’espèces très différentes de la nôtre. Chez nos cousins les chimpanzés, les conflits territoriaux sont les plus sanglants et les chimpanzés consacrent une grande partie de leur temps à surveiller et protéger les limites de leurs territoires. L’homme, comme son cousin, est essentiellement un être social et territorial.
Il faut donc relativiser l’importance des différences de cultures dans le déclenchement des conflits parce que les prétextes culturels ou religieux dissimulent souvent des objectifs beaucoup moins nobles. C’est un comportement que les anthropologues ont constaté très fréquemment dans les sociétés dites primitives mais les Occidentaux modernes se sont comportés de la même façon et quand les États-Uniens veulent prendre le contrôle de richesses naturelles (le pétrole par exemple), ils trouvent toujours un prétexte d’ordre moral (le non respect des droits de l’homme ou du principe démocratique, en général) pour justifier une agression qui a pour réel objectif un avantage économique. On peut comprendre que des peuples vivant dans des conditions précaires puissent se livrer à des guerres visant à leur assurer le contrôle de richesses naturelles indispensables à leur survie mais le territoire des États-Unis est immense et truffé de richesses naturelles ; les USA ne sont menacés sur aucune de leurs frontières, leur seul problème étant l’entrée illégale de Chicanos très pacifiques qui rêvent de profiter de la richesse de leurs voisins. Les Étatsuniens étonnent par leur cupidité inouïe ; ils n’en ont jamais assez et pour s’enrichir encore plus, ils sont toujours prêts à accaparer les maigres richesses de peuples beaucoup moins riches qu’eux voire même très pauvres. Le principe de base des relations internationales, selon les Étatsuniens, lequel n’est nullement remis en cause par Huntington, est la domination mondiale qui aurait pour raison d’être la paix mondiale mais qui, en fait, vise à permettre l’accès des Étatsuniens à toutes les richesses et à tous les marchés. La haine que voue l’establishment étatsunien à Poutine a pour origine le fait que ce dernier a mis un terme au pillage des entreprises d’État et des ressources naturelles de la Russie par les Occidentaux et surtout par les Étatsuniens.
Qu’est-ce qu’une civilisation ?
Selon Huntington, une civilisation est l’entité culturelle la plus large. « Les civilisations sont les plus gros « nous » et elles s’opposent à tous les autres « eux »’’ (« Le choc des civilisations » ; page 40). Le problème réside dans la fixation des limites d’une civilisation car si la culture française ou la culture italienne sont assez facilement définissables notamment du fait de l’existence d’une langue propre à chacune de ces cultures, il est nettement plus difficile de fixer les limites d’une civilisation européenne et plus encore celles d’une civilisation occidentale dont l’auteur ne sait pas si elle comprend, ou non, les cultures d’Amérique centrale et du sud ! La notion de civilisation occidentale est donc extrêmement floue. Curieusement, s’il ne sait pas où est la limite sud de la civilisation occidentale en Amérique, il sait parfaitement où elle se situe à l’est de l’Europe, à savoir le long de la frontière entre cultures catholique et protestante d’une part, slave orthodoxe, d’autre part, sans qu’on sache ce qui permet de fixer arbitrairement cette limite. Il semble pourtant qu’il y ait plus de différences entre catholicisme et protestantisme qu’entre le premier et l’orthodoxie ! D’ailleurs, la civilisation orthodoxe n’apparaît pas dans la liste des civilisations qui figure au début de l’ouvrage mais elle apparaît subrepticement plus loin. Les cultures d’Amérique centrale et du sud pourraient donc appartenir à la civilisation occidentale mais pas celle de la Russie ! Finalement, il opte pour mettre de côté les cultures américaines du centre et du sud sans qu’on sache pourquoi.
Selon Huntington, les grandes civilisations se sont formées à partir des « grandes » religions à savoir le christianisme, l’islam, l’hindouisme et le confucianisme. Mais le confucianisme est-il une religion ? La réponse est non ; c’est une doctrine philosophique et morale qui irrigue toujours la société chinoise et certaines autres sociétés asiatiques. Quant aux civilisations grecque et romaine, dont les religions n’étaient pas de « grandes » religions (elles étaient aussi radicalement différentes du judaïsme, du christianisme et de l’islam) n’ont-elles pas existé pour autant et n’ont-elles pas été prodigieusement créatrices et brillantes ?
Notre civilisation ne repose pas sur le seul christianisme ; elle a aussi de solides fondations grecque et romaine qui prennent plus d’importance du fait de la déchristianisation de l’Europe. Nous avons hérité de la philosophie, de la méthode scientifique et du théâtre grecs, du républicanisme et du droit romains, de l’architecture et du génie civil grecs et romains….Ces héritages nous permettrons, si nous le voulons, de renouveler notre culture et nos institutions, comme nos aïeux l’ont fait au moment de la Renaissance. On peut d’ailleurs se demander avec Guy Rachet si la civilisation issue de la Renaissance était vraiment chrétienne. Cet historien spécialiste d’histoire des civilisations, a écrit : ‘’les racines de l’Europe, telle qu’elle a émergé de cette véritable révolution que fut la Renaissance, sont-elles chrétiennes ? Je répondrai certainement pas’’ (Guy Rachet ; 2011). Pour autant Guy Rachet n’a aucune sympathie pour l’islam, très loin s’en faut ; il a même écrit un ouvrage pour répondre à Jacques Chirac qui avait déclaré que nos racines culturelles étaient autant musulmanes que chrétiennes ; pour lui, il ne fait aucun doute qu’elles ne sont pas musulmanes mais il souligne, à juste titre, que la civilisation européenne issue de la Renaissance était inspirée essentiellement par notre héritage gréco-romain et pas par le christianisme. La Renaissance a été un point d’inflexion dans l’évolution de notre civilisation et de nos jours, le christianisme disparaît rapidement en Europe ; en France, les agnostiques et les athées sont majoritaires et l’indifférence à l’égard des religions est immense sauf quand il s’agit de l’islam, qui inquiète une majorité d’entre nous. Cette inquiétude n’est pas celle de croyants mais, très majoritairement, celle d’incroyants.
Les religions ont-elles de plus en plus d’importance ?
Samuel Huntington affirmait il y a près de trente ans que les religions allaient avoir de plus en plus d’importance à l’avenir ; or, nous constatons que le monde occidental se déchristianise, y compris la Pologne, où la proportion des non pratiquants est passée de 8 à 40% en 30 ans, et aux États-Unis la déchristianisation est rapide depuis le début de ce siècle, ce qui crée une nouvelle fracture au sein de ce pays qui en compte déjà plusieurs autres.
La philosophe catholique conservatrice Chantal Delsol a écrit dans un ouvrage récent (« La fin de la Chrétienté » ; 2021) que la Chrétienté, ou civilisation chrétienne d’Europe, est morte et Monseigneur Marc Aillet a déclaré en octobre 2023, au micro de Boulevard Voltaire, qu’il ne reste pas grand-chose de la dite Chrétienté. Le christianisme a donc de moins en moins d’importance dans les pays occidentaux et perd de son influence sur la classe politique comme sur les citoyens ordinaires. Ceux qui continuent de raisonner en termes d’Occident chrétien et qui pensent que les Français sont ou bien judéo-chrétiens, ou bien musulmans, se trompent ; ils sont d’abord areligieux (entre 59 et 63%).
Il est vrai que, a contrario, l’islam a renforcé ses positions au sein des pays musulmans et qu’il génère des vagues successives de djihadistes qui s’en prennent aux pays occidentaux mais aussi à tous les pays, des États-Unis aux Philippines en passant par la France et la Russie. Le djihadisme est un problème majeur auquel nous devons faire face de manière énergique, en France, puisque nos banlieues génèrent des islamistes qui s’ajoutent à ceux que nos gouvernements irresponsables et la Commission européenne, tout aussi irresponsable, laissent entrer en France et en Europe ; les opérations extérieures menées contre les organisations islamistes militarisées, au Moyen Orient ou en Afrique, n’aboutissant à rien, si ce n’est à exacerber leur haine à notre égard, elles ne semblent pas être une bonne solution.
Chaque civilisation a, selon Samuel Huntington, un fondement religieux mais il pensait très justement que les pays occidentaux devenaient areligieux ; dans certains cas, comme la France, ils sont déjà très largement agnostiques ou athées, ce qui d’ailleurs est pire du point de vue des musulmans. Les athées et les agnostiques doivent craindre, beaucoup plus que les chrétiens et les juifs, les foudres islamiques. La civilisation occidentale, qui a été structurée par le christianisme pendant tout le Moyen Âge, s’éloigne de cette source d’inspiration depuis la Renaissance qui est le moment à partir duquel les racines grecque et romaine des cultures européennes, qui n’ont jamais cessé d’exister mais qui étaient atrophiées, se sont vivement réactivées et sont redevenues prépondérantes.
Les cultures universalistes face aux autres
Il y a deux sortes de cultures : celles qui sont universalistes et qui génèrent un esprit missionnaire et celles qui ne le sont pas (cultures hindoue, japonaise, chinoise par exemple). Parmi les premières il y a essentiellement la culture musulmane et celle des États-Unis. Dans le passé, les Européens ont voulu convertir les autres peuples, africains, asiatiques et américains, à leurs religions (catholiques et protestantes) et/ou au libéralisme individualiste et progressiste, au besoin par la violence (génocide des Indiens d’Amérique), mais tout cela est désormais de l’histoire ancienne sauf pour les États-Unis qui persistent dans leur détermination à vouloir convertir l’humanité au libéralisme philosophique et économique, au consumérisme et au mondialisme sous commandement étatsunien. Tous les États mus par une religion ou une idéologie universaliste sont belliqueux et les USA sont les plus belliqueux de tous parce qu’à leur universalisme s’ajoute une cupidité hors du commun qui les pousse à vouloir faire main basse sur toutes les richesses du monde.
Dans un discours récent, Joe Biden a évoqué un «axe du mal », auquel serait confronté l’ «axe du bien» occidental. Cette division du monde est l’expression d’une pensée à la fois simpliste et manichéenne qui est hautement dangereuse. Ce n’est pas nouveau, c’est même un des fondamentaux de la culture étatsunienne ; les Étatsuniens croient avoir pour mission l’extension de leur civilisation à l’ensemble de l’humanité (notion de « manifest destiny »). La France a été le phare de l’universalisme au moment de la Révolution française, ce qui l’a amenée à faire la guerre à toute l’Europe, pour notre plus grand malheur, mais de nos jours, à la différence des États-Unis, elle n’a plus ni les moyens, ni la volonté d’une telle politique. D’une façon générale, les peuples européens, à la différence de leur suzerain d’outre-Atlantique, n’ont plus aucune envie d’imposer au reste du monde leurs cultures, leurs croyances, leur mode de vie, leurs modèles d’organisation politique……même si une infime minorité d’idéologues pensent encore pouvoir éclairer l’humanité des Lumières du XVIIIe siècle, ce qui est dérisoire. Il y a donc là une grande différence entre les États-Uniens et les Européens qui ne participent que très difficilement, et a minima, aux opérations guerrières de l’oncle Sam lequel a réussi malgré tout à entraîner la plupart des gouvernements européens dans une croisade contre la Russie qui va nous coûter très cher au plan économique (désindustrialisation de l’Europe, et tout d’abord de l’Allemagne) et diplomatique (la plupart des peuples étant pleinement satisfaits d’assister au fiasco de la croisade antirusse, la popularité de la Russie augmente autant que le discrédit des nations européennes).
L’Église catholique continue de faire du prosélytisme mais aucun pays majoritairement catholique n’est engagé dans une activité missionnaire tandis que les Évangélistes œuvrent avec la bénédiction des services étatsuniens. La Chine et l’Inde, les deux États les plus peuplés, héritiers de cultures, d’une philosophie (Chine) et d’une religion (Inde) anciennes, ne cherchent pas à convertir l’humanité et s’ils ont un différend qui nuit à la qualité de leurs relations et qui pourrait dégénérer, ce différend n’est pas d’ordre civilisationnel mais territorial.
Samuel Huntington pensait que les civilisations, qui seraient en quelque sorte des tribus de très grande taille, entrent en conflit comme le font les tribus de taille petite ou moyenne mais il pensait que dans l’état actuel des choses ce sont les États-nations qui bénéficient de la plus grande loyauté et du plus grand attachement. On peut se sentir européen, français et auvergnat mais, en général, un Auvergnat se sent avant tout français. Il en va de même un peu partout. Un Auvergnat peut aussi se sentir occidental mais son attachement à la civilisation occidentale est encore plus faible que son attachement à l’égard de l’Europe. Il y a une exception, c’est la civilisation islamique dans laquelle les États ont parfois moins d’importance que les tribus, d’une part, et que l’Oumma, le monde islamique dans son ensemble, d’autre part.
Le conflit qui oppose les États-Unis à la Russie (par proxy interposé) n’est pas un conflit civilisationnel, un choc entre les mondes protestant et orthodoxe, c’est un conflit politique. Les États-Unis, qui ont cru entre 1991 et 2000 que leur hégémonie allait s’étendre à la Russie et que leurs entreprises allaient pouvoir faire main basse sur les richesses naturelles de ce pays, refusent de reconnaître leur échec et en veulent à mort à Poutine. Les néo-cons étatsuniens ont pour objectif de faire éclater la Russie en une dizaine d’États que les USA pourraient facilement manipuler et dominer ; des dirigeants polonais, qui se réjouissaient, un peu vite, de la disparition prochaine de la Russie, ont diffusé, en 2022, une carte sur laquelle figurent ces futurs États. Les États-Unis veulent imposer leur hégémonie à la Russie pour piller les richesses naturelles de cet immense pays et pour « serrer » de près la Chine qui est leur bête noire. Leurs arguments (démocratie libérale ; individualisme ; droits de l’homme) ne sont que des prétextes ; les États-Unis ont toujours eu des alliés qui n’étaient pas des « démocraties libérales » et qui ne respectaient pas les libertés personnelles élémentaires. La relation conflictuelle que les USA entretiennent avec la Chine et qui pourrait dégénérer en conflit ouvert, n’est pas un différend entre protestants et confucéens mais un différent politique. Les USA ne supportent pas que la Chine devienne plus puissante qu’eux aux plans économique, diplomatique et militaire, ce qui sera le cas dans quelques années ou dizaines d’années tout au plus. L’hystérie antichinoise des États-Uniens est telle que l’ex-trotskyste et néo-con Laurent Murawiec pensait que les États-Unis allaient devoir « vitrifier » la Chine !
Samuel Huntington a écrit que ‘’Les prétentions de l’Occident à l’universalité le conduisent de plus en plus à entrer en conflit avec d’autres civilisations, en particulier l’islam et la Chine’’ («Le choc des civilisations» ; page 17). Leurs prétentions sont idéologiques, elles ne sont pas d’origine religieuse ; les Étatsuniens sont persuadés que leur modèle philosophique, politique et économique (individualisme, capitalisme libéral, consumérisme, système politique représentatif qui est en fait une oligarchie ploutocratique……) est supérieure à tous les autres et qu’ils ont, à ce titre, le droit et même le devoir de l’imposer à l’ensemble de l’humanité, y compris de manière très brutale ; n’oublions pas que l’histoire des États-Unis a commencé par un génocide, celui des Amérindiens qui étaient considérés comme à peine humains par les envahisseurs. Tous ces éléments de leur culture, sans même parler de leur protestantisme sectaire qui s’érode rapidement depuis le début du siècle, heurtent profondément les autres peuples et sont à l’origine du vaste mouvement de rejet de l’hégémonie étatsunienne. La guerre d’Ukraine, qui s’accompagne de la montée en puissance des BRICS, marque le début du reflux de l’Occident américano-centré.
Et voilà les BRICS !
Les BRICS sont la grande nouveauté géopolitique de ce début de siècle. S. Huntington n’avait pas imaginé qu’une telle chose puisse se produire aussi rapidement ; l’existence des BRICS s’inscrit en faux contre sa thèse parce que les pays de plus en plus nombreux qui adhèrent, ou souhaitent adhérer à ce groupe (une trentaine à ce jour), appartiennent à toutes les civilisations (orthodoxe, confucéenne, hindoue, africaine, latino-américaine et même musulmane) à l’exception de la civilisation occidentale et du Japon, pour l’instant. Ces pays appartenant à des aires civilisationnelles différentes se coalisent pour des raisons politiques et économiques, il s’agit d’en finir avec l’hégémonie politique, économique, militaire et monétaire des États-Unis et d’instaurer un ordre mondial basé sur l’indépendance et le respect des États, de leurs institutions et de leurs cultures ; ce à quoi nous ne pouvons que souscrire. Ce mouvement massif et majeur transcende les différences culturelles. Samuel Huntington pensait qu’une coalition antioccidentale généralisée était peu probable dans un avenir proche (page 201), ce en quoi il s’est trompé. Cette coalition n’a pas pour objectif de faire la guerre à l’Occident mais de s’opposer à la politique hégémonique des Occidentaux sous commandement étatsunien. C’est un front du refus qui vise en priorité à faire disparaître l’hégémonie monétaire et diplomatique des USA. En second lieu, il s’agit pour ces pays d’organiser leurs activités économiques indépendamment des USA. Enfin, ils refusent l’hégémonie culturelle et idéologique que les États-Uniens veulent imposer à toutes les nations, y compris aux nations vassalisées d’Europe.
L’émergence imprévue des BRICS change radicalement la situation géopolitique mondiale en dépit des discours des Occidentaux qui essaient de se rassurer en évoquant tout ce qui sépare les membres des BRICS les uns des autres. Comme l’a écrit Samuel Huntington lui-même, l’existence d’un ennemi ou d’un adversaire commun permet de rapprocher davantage des États que les caractéristiques culturelles qu’ils partagent et, aujourd’hui, les USA sont l’adversaire, voire l’ennemi, commun à un nombre croissant de peuples. Le général de Gaulle pensait que les Étatsuniens finiraient par être universellement détestés ; nous y sommes presque. Nous aurions intérêt à infléchir notre politique internationale et à prendre de la distance par rapport aux USA.
La Russie et l’Ukraine
S. Huntington pensait que du fait de la proximité culturelle de l’Ukraine avec la Russie, une guerre russo-ukrainienne était peu vraisemblable ! (« Le choc des civilisations » ; page 33). En fait, cette guerre, voulue et organisée par les USA, est une guerre d’un État contre un autre État appartenant à la même civilisation mais l’Ukraine compte de nombreuses minorités dont celle de l’ouest uniate (6 millions d’habitants ; oblasts de Lviv, Ternopil, Ivano-Frankivsk et Volhynie) qui est gangrénée par une idéologie proche du nazisme depuis les années 1920 (Bandera) et par le néo-nazisme depuis 1991. C’est l’idéologie bandériste, très présente au sein de cette minorité occidentale, qui s’est imposée au niveau gouvernemental et c’est contre elle que les russophones de l’est se battent politiquement depuis trente ans et militairement depuis 2014. Le conflit russo-ukrainien a eu lieu, contrairement à ce que pensait Huntington, pour deux raisons : l’hétérogénéité culturelle de la population ukrainienne et la volonté hégémonique des idéologues néo-nazis et hyper nationalistes de Galicie-Volhynie qui ont essayé de soumettre par la violence les populations russophones de l’est de l’Ukraine. Les USA ont utilisé ce qui est d’abord un conflit idéologique et non pas civilisationnel pour tenter de déstabiliser la Russie. Notons que dans l’ouest de l’Ukraine les populations les plus détestées sont d’abord les Polonais, ensuite les Juifs et enfin les Russes. Les Galiciens et Volhyniens reprochent avant tout aux Polonais et aux Russes de les avoir soumis politiquement (les Uniates de l’ouest de l’Ukraine utilisent le rite orthodoxe mais reconnaissent l’autorité du Pape ; ils sont donc à moitié catholiques et à moitié orthodoxes, mais 8% seulement de la population ukrainienne est uniate contrairement à ce qu’a écrit Samuel Huntington (page 181 de son livre) selon lequel « une grande part de sa population a adhéré à l’église uniate »). Notons qu’il arrange les choses à sa manière, ainsi lorsqu’il parle de l’ « indépendance passée» de l’Ukraine qui en fait n’a existé, avant 1990, qu’entre 1917 et 1920. Les différentes régions qui constituent l’actuelle Ukraine, ont toujours été sous la domination des Russes, des Polonais, des Lituaniens ou des Turcs, selon les époques et selon les régions. L’Ukraine actuelle est une création soviétique. La guerre majeure qui se déroule en Ukraine n’a pas pour origine un différend civilisationnel, son origine est politique et idéologique. La langue ukrainienne que parlent une partie des Ukrainiens et que les russophones d’Ukraine ne veulent pas utiliser est en fait un dialecte du russe, ou l’inverse, et 75% des Ukrainiens se disent orthodoxes. Il n’y a pas de frontière civilisationnelle entre l’Ukraine et la Russie ce qui met à mal la thèse d’Huntington qui a écrit que ‘’si le point de vue civilisationnel prévaut, un conflit entre Ukrainiens et Russes est peu probable’’ (page 182), ce en quoi il s’est trompé. L’appartenance à une même civilisation n’interdit pas les conflits de nature territoriale, politique ou idéologique et nous avons été, dans le passé, beaucoup plus souvent en conflit avec nos voisins chrétiens qu’avec les musulmans. Notons aussi, que le conflit qui oppose Israël aux Palestiniens n’est pas purement civilisationnel, très loin s’en faut. C’est une coalition de dix mouvements qui a attaqué Israël le 7 octobre 2023 dont des mouvements nationalistes et des mouvements marxistes. Ce conflit est d’abord celui d’un peuple sans État et sans territoire qui essaie d’exister, même si son combat est instrumentalisé par le Hamas lequel ‘’[Le Hamas] reste un mouvement nationaliste focalisé sur la question palestinienne à ne pas confondre avec l’État islamique dont la nature était transnationale visant à l’instauration d’un califat mondial’’, selon le géopolitologue Pierre-Emmanuel Thomann.
Un combat pour la « civilisation occidentale » ?
La droite libérale-conservatrice, qui se disait patriote, a modifié son discours ; elle se définit désormais comme une droite « civilisationnelle » ! Il s’agit, pour elle, de défendre la civilisation occidentale, de l’Arménie à Washington en passant par Tel-Aviv et Paris. Ce que Reconquête présente comme une avancée idéologique considérable n’est rien d’autre qu’un nouveau plaidoyer, de nature culturelle cette fois, en faveur de l’empire étatsunien ; l’existence de ce dernier serait justifiée par l’évidence présumée d’une culture commune dont le socle serait religieux. Cette droite « civilisationnelle » ne fait que recycler le point de vue de la vieille droite qui était hystériquement atlantiste pendant la guerre froide. Les médias qui diffusaient ce point de vue étaient déjà Valeurs Actuelles et le Spectacle du monde. Rien de nouveau, donc ! Cette droite est tellement prisonnière de ses vieux schémas de pensée qu’elle croit que le régime politique russe est néo-stalinien ! À partir de présupposés comme celui-là, on ne peut faire que de très mauvaises analyses.
L’ouvrage de Samuel Huntington, « Le choc des civilisations » est un ouvrage de référence de nos « libéraux-conservateurs » ; la thèse qu’il défendait est assez bien résumée dans l’extrait suivant: ‘’Les composantes de l’ordre dans le monde plus complexe et hétérogène qui est désormais le nôtre se trouvent à l’intérieur des civilisations et entre elles. Le monde trouvera un ordre sur la base des civilisations, ou bien il n’en trouvera pas. Dans ce monde, les États phares des civilisations sont les sources de l’ordre au sein des civilisations et, par le biais de négociations avec les autres États phares, entre les civilisations…….Leur communauté culturelle légitime la suprématie et le rôle ordonnateur de l’État phare à la fois pour les États membres et pour les puissances et les institutions extérieures……..Une telle condition ne s’accorde pas avec la réalité géopolitique, laquelle montre que dans n’importe quelle région où il y a un État dominant la paix ne peut être instaurée et préservée que par la suprématie de cet État’’ (« Le choc des civilisations » ; page 170). Les choses sont claires ; Huntington plaidait pour un alignement inconditionnel des vassaux européens sur l’« État-phare » étatsunien.
La « droite civilisationnelle » a mis en sourdine le patriotisme français ; elle a tiré un trait sur notre indépendance nationale au nom d’une civilisation commune au centre de laquelle Huntington mettait la religion tout en pensant, par ailleurs, que l’Occident devenait areligieux (« Le choc des civilisations » ; page 234) ! Nos « libéraux-conservateurs » essaient d’introduire dans le débat politique la défense de l’Occident judéo-chrétien ; nous avons bien compris que quand ses porte-parole disent « civilisation occidentale », ils pensent en fait « civilisation judéo-chrétienne » ou « Occident chrétien ». Mais, comme nous l’avons déjà écrit précédemment, la Chrétienté est morte ou en piteux état selon la philosophe catholique conservatrice Chantal Delsol et Monseigneur Marc Aillet, ce qui donne une allure fortement désuète à ces notions qui présentent l’intérêt, pour É. Zemmour, d’associer étroitement Israël aux États-Unis et à l’Europe et de pouvoir glisser depuis cette association de nature religieuse vers une association de nature géopolitique. Tout cela n’est qu’une embrouille idéologique et le projet d’É. Zemmour vise à la création d’un môle politique atlantiste, partisan du capitalisme libéral et hostile au monde musulman, en France. C’est un projet néo-conservateur. Notons que G. Meloni, qui est proche de l’institut Aspen, une organisation néo-con étatsunienne, est sur la même ligne et qu’É. Zemmour et M. Maréchal sont des admirateurs de la présidente du Conseil italien.
Conclusion
La thèse de Samuel Huntington n’est pas convaincante même s’il a raison de souligner la dangerosité de l’islam qui résulte de son universalisme religieux et de son objectif de domination sur l’ensemble de l’humanité mais les États-Unis sont, tout aussi universalistes et dominateurs et ils sont à l’origine de nombreux conflits de forte intensité. Le problème ne réside pas dans les différences qui existent entre les civilisations mais dans l’universalisme. Les Chinois ne veulent pas exporter la pensée confucéenne, les Japonais considèrent que le shintoïsme est propre au seul Japon et le Dalaï Lama essaie de convaincre les Occidentaux de conserver leurs cultures et de ne pas se convertir au bouddhisme. Nous devons de même admettre que les peuples des autres aires civilisationnelles ont des cultures différentes de la nôtre et que c’est une bonne chose. Les Européens ont essayé, avant les Étatsuniens, d’imposer au sein de leurs empires coloniaux, leurs religions chrétiennes et leur idéologie libérale ; ce fut un échec total qui nous a amenés, nous Européens, à tourner définitivement le dos à l’impérialisme. Certains Européens continuent de croire que nous éclairons le monde de nos Lumières libérales mais ce n’est plus qu’une illusion. L’oligarchie politique européenne est soumise aux États-Unis ; elle est le garant de la domination étatsunienne sur les peuples européens mais ceux-ci ne souhaitent plus s’engager dans les actions belliqueuses du suzerain d’outre-Atlantique lequel veut conserver, à tout prix, l’hégémonie mondiale qu’il est en train de perdre et qu’il va perdre totalement. Le décalage entre les opinions des peuples européens et celle de l’oligarchie européiste ne cesse de s’accroître.
La proximité culturelle est un des nombreux paramètres des relations internationales mais elle n’en est pas l’unique ressort, très loin s’en faut, et, comme l’a écrit Samuel Huntington dans « Le choc des civilisations », ce paramètre a sans doute pris de l’importance à la fin de la guerre froide mais il a ajouté que son importance disparaîtrait plus ou moins rapidement : ‘’Le modèle politique hérité de la guerre froide a été utile et pertinent pendant quarante ans, mais il est devenu obsolète à la fin des années quatre-vingt. A un moment donné, le paradigme civilisationnel connaîtra le même sort’’ (« Le choc des civilisations » ; page 32). L’émergence des BRICS, un ensemble multi-civilisationnel d’États-nations désireux d’échapper à l’hégémonie étatsunienne, va imposer une nouvelle géopolitique mondiale menée par des États appartenant à des civilisations différentes.
Il faut distinguer le rejet de l’immigration de l’hostilité au monde musulman. Le peuple français a le droit de refuser l’immigration de populations musulmanes, arabes et africaines, mais les musulmans ont le droit de vivre comme ils l’entendent, chez eux. Toute croisade antimusulmane au nom de la civilisation occidentale ou de l’Occident chrétien serait vouée à l’échec et aurait de très fâcheuses conséquences. Par ailleurs, la notion de civilisation occidentale est des plus floues et l’Occident chrétien n’existe plus (Chantal Delsol) ; l’évolution de Reconquête, qui utilise ces notions pour justifier un alignement sur les USA, est consternante. Ce faisant, Reconquête s’aligne aussi sur l’oligarchie atlantiste qui règne à Bruxelles et dans la plupart des capitales européennes.
Lors du colloque « Worldwide Freedom Initiative », qui a été organisé à Paris le 10 novembre 2023 par les Républicains étatsuniens et qui était présidé par Randy Yaloz, un avocat franco-américain proche des milieux israéliens, l’invité vedette était Éric Zemmour. Quand on ajoute à cela, l’adoption et la mise en avant de l’idée de « civilisation occidentale » qu’il faudrait « défendre de l’Arménie à Tel Aviv » sous les ordres de l’État-Phare étatsunien (Huntington), il est évident que Reconquête n’appartient plus au camp des patriotes. La « droite civilisationnelle », qui se disait patriote, est objectivement un parti de l’étranger.
Notre objectif doit être de rendre nos frontières étanches aux flux démographiques et en particulier aux flux provenant des pays musulmans parce que l’islam n’est pas compatible avec ce que notre philosophie politique et nos institutions doivent à l’héritage républicain ancien ; nous pouvons atteindre cet objectif tout en reprenant notre liberté par rapport à l’empire états-unien et à son bras armé, l’OTAN. Ceci dit, nous avons intérêt à ce que la paix règne au Moyen Orient et ce n’est pas en soutenant un État dirigé par des extrémistes de droite religieux, qui sont en train de transformer Israël en théocratie et qui martyrisent la population civile de Gaza, que nous pouvons espérer une pacification de cette région.