La défaite de l’Occident

Emmanuel Todd vient de publier ce qui sera, selon lui, son dernier livre. Intitulé  ‘’La défaite de l’Occident’’, ce livre contient beaucoup d’informations et d’analyses stimulantes, même si, parmi ces dernières, certaines sont parfois audacieuses. Emmanuel Todd avait prédit, en 1976, l’effondrement à venir de l’URSS ; il expose, dans son dernier ouvrage, les raisons qui l’amènent à  penser que l’Occident est en cours de désintégration et de fuite en avant nihiliste. Comme dans ses livres précédents, l’anthropologue fait un constat scientifique qui s’appuie sur des données vérifiables ; son livre n’est pas de nature idéologique. E. Todd est anglophile (il a fait ses études à Eton) et américanophile ; de son propre aveu, le constat qu’il nous livre dans son ouvrage lui fait mal ; ce constat en est d’autant plus précieux.

Russie : ses réussites et ses problèmes

Après l’effondrement de l’URSS en1991, la Russie a connu neuf années de descente aux enfers au cours desquelles l’État était devenu très faible,  l’armée privée de moyens, les usines livrées au pillage exercé par des prédateurs occidentaux associés à des Russes corrompus, les salaires et les retraites non payés…..Ce grand délabrement politique, économique, social et moral s’est traduit par une montée en flèche de la pauvreté, de l’alcoolisme et de la mortalité, surtout celle des hommes.

Depuis l’arrivée de Poutine aux affaires, force est de constater que les choses ont changé. L’appareil de l’État a été recréé, l’armée totalement transformée et dotée de moyens budgétaires qui lui ont permis de mettre au point, entre autres choses, des armes hypersoniques qui lui donnent l’avantage sur l’OTAN mais aussi de reconstituer une armée de terre extrêmement efficace, l’économie a été rénovée de fond en combles, la mortalité infantile a baissé au point de se situer désormais au-dessous de celle des États-Unis, l’espérance de vie a beaucoup augmenté tout comme le niveau de vie ; enfin, le chômage n’existe plus  et c’est d’ailleurs un des problèmes de la Russie qui compte 300 000 chômeurs (pour 150 millions d’habitants), ce qui est très peu, tandis que 2 500 000 emplois disponibles sont vacants ! Le plus gros problème de la Russie est démographique malgré la politique nataliste qui a été mise en place depuis de nombreuses années et qui ne donne, pour l’instant, que des résultats  insuffisants. Emmanuel Todd souligne que ‘’La doctrine militaire russe actuelle, au contraire, découle du constat que l’homme est devenu rare. C’est l’une des raisons pour lesquelles la Russie n’est entrée en Ukraine qu’avec 120 000 soldats’’ (« La défaite de l’Occident » ; page 65), ce qui est peu ; le rapport des forces était très défavorable à l’armée russe puisqu’il était de 3 soldats ukrainiens pour un soldat russe.

Le régime politique de la Russie est loin d’être exemplaire mais il n’est pas non plus la tyrannie néo-stalinienne qui est décrite par les atlantistes. Emmanuel Todd le qualifie de « démocratie autoritaire » parce que le gouvernement russe fait preuve d’intolérance à l’égard de certaines minorités (non-ethniques) mais il y a, en Russie, plusieurs partis politiques dont le parti communiste qui a recueilli 19% des suffrages aux élections législatives de 2021, un parti nationaliste, le LDPR, dont le nombre d’électeurs est plus faible (8 % environ) et des petits partis communistes, nationaux-communistes ou centristes (Iabloko) en plus du parti Russie Unie (Poutine) qui a recueilli près de la moitié des voix lors des dernières législatives. Quant à Navalny, qui était un ultra-nationaliste et non pas un libéral comme nos médias se plaisent à le décrire, il n’était pas le principal adversaire politique de Poutine contrairement à ce que racontent les commentateurs occidentaux ; selon le Centre  Levada, un think tank indépendant et proche des Occidentaux, la popularité de Navalny était de l’ordre de 3 à 4%.

La corruption est encore importante en Russie  mais elle l’est moins qu’elle ne l’est en Ukraine et si les oligarques russes ont été mis au pas en 2003, tandis qu’en Ukraine les oligarques ont toujours des pouvoirs exorbitants tant au plan économique qu’au plan politique, il n’en reste pas moins que les inégalités socio-économiques y sont très grandes, plus grandes même qu’aux États-Unis selon notre auteur, ce qui est un échec même si le niveau de vie des Russes a beaucoup augmenté.

Le haut niveau éducatif des Russes et la forte proportion des jeunes qui étudient les  sciences et les techniques de l’ingénieur est une  des réussites de la Russie qui était déjà, il est vrai, une réussite soviétique. La Russie est devenue en 2023, la cinquième puissance économique mondiale en parité de pouvoir d’achat, derrière la Chine, les États-Unis, l’Inde et le Japon et devant l’Indonésie et l’Allemagne.

Le sociologue et politologue étatsunien d’origine russe Vladimir Shlapentokh (1926-2015) disait que ‘’les conditions de vie en Russie n’avaient jamais été aussi bonnes, liberté comprise, que sous Poutine’’ (« La défaite de l’Occident » ; page 163), ce qui explique la popularité de ce dernier, popularité qui est incompréhensible pour beaucoup d’Occidentaux mais qui est néanmoins réelle.

La Russie n’a pas de projet expansionniste

Au début de 2022, l’oligarchie occidentale se moquait de la Russie dont le PIB aurait été de l’ordre de celui de l’Espagne et dont l’armée en haillons était, selon elle, un ramassis de moujiks alcooliques et mal formés ! En ce début de 2024, alors que l’armée ukrainienne est en très grande difficulté, les mêmes nous disent qu’après l’Ukraine, les Russes vont envahir les autres pays situés plus à l’ouest. Ce changement de discours est le signe du manque de sérieux des Occidentaux qui se sont trompés sur toute la ligne au sujet de la Russie, de son économie, de son armée, de son complexe militaro-industriel et de ses avancées techniques (missiles hypersoniques notamment). Emmanuel Todd pense que les craintes, ou les craintes feintes, de l’OTAN ne sont pas fondées : ‘’La Russie, rappelons-le, ne fait peser aucune menace sur l’Europe occidentale. Puissance conservatrice (en 2022 comme en 1815), elle souhaite nouer un partenariat économique avec l’Europe, en particulier avec l’Allemagne. Comme je l’ai souligné, elle a été soulagée d’être débarrassée, en 1990, de ses démocraties populaires satellites, et particulièrement de la Pologne, son boulet existentiel. Elle sait ne pas avoir les moyens démographiques et militaires d’une expansion vers l’Ouest ; la lenteur de son action en Ukraine le démontre’’ (« La défaite de l’Occident » ; page 166).

Emmanuel Todd a raison de penser que si la Russie a été un empire, elle est devenue une nation ; en 1991, c’est la Russie qui a provoqué la désagrégation de l’empire. ‘’C’est la raison pour laquelle évoquer une Russie conquérante, capable d’envahir l’Europe après qu’elle aura abattu l’Ukraine, relève du fantasme’’ (« La défaite de l’Occident » ; page 65).

Selon E. Todd, la Russie ne peut être expansionniste parce que sa démographie déclinante le lui interdit. L’invasion de la Pologne, des pays baltes….par la Russie se traduirait immédiatement par une montée aux extrêmes. En envahissant l’Ukraine du sud-est, la Russie vise à protéger les Russes et russophones de l’est et du sud de l’Ukraine, qui étaient maltraités et agressés depuis 2014 par l’État ukrainien, et à intégrer ces populations  de façon à renforcer le poids démographique de la Russie. Selon E. Todd, au cours des trente dernières années, avant même la guerre en cours, une grande partie de la classe moyenne russophone ukrainienne est partie en Russie. Notons qu’au cours de l’interview qu’il a accordé à Tucker Carlson le 9 février 2024, Vladimir Poutine a invité tous les Ukrainiens qui le souhaitent à venir s’installer en Russie ; il ne fait pas la guerre aux Ukrainiens, il fait la guerre au gouvernement Zelinsky, parce que ce dernier maltraite les russophones et parce qu’il veut faire entrer l’Ukraine dans l’OTAN, et accessoirement aux groupes néo-nazis qui ont infiltré une partie de l’appareil étatique et qui ont imposé un discours et des actions qui relèvent d’un racisme antirusse ce qui, de toute évidence, ne gêne personne en Occident.

Ukraine : une  nation chimérique

Le  gouvernement ukrainien veut couper les ponts avec la culture russe ; les bibliothèques d’Ukraine ont été purgées de dizaines de milliers d’ouvrages d’auteurs russes, les noms et les statues de ces auteurs sont remplacées ou détruites. Le pouvoir kiévien vise à la disparition du russe parlé par une très grande partie de la population de ce pays ; par contre, il veut obliger les fonctionnaires à maîtriser l’anglais ! Selon E. Todd, l’Ukraine est un État convulsif dont une partie des citoyens, mais une partie seulement, pensent que c’est une nation et qui, pour s’en persuader, expriment leur nationalisme sur un mode hystérique alors que la nation ukrainienne est dans l’incapacité de naître. L’hystérie provoquée par cette incapacité se traduit par une frénésie guerrière qui est suicidaire. Une grande partie des habitants de l’Ukraine a quitté le pays pour s’installer en Europe,  mais aussi en Russie, et la plupart d’entre eux ne reviendront pas dans leur pays d’origine. Plus encore, la presse allemande a annoncé, en février 2024, que 10 millions d’Ukrainiens supplémentaires iront s’installer ailleurs dès la fin du conflit. Emmanuel Todd pense que la moitié russophile de L’Ukraine tente d’échapper à l’enrôlement militaire, ce qui a amené les autorités du pays à devoir faire la chasse aux récalcitrants.

 L’Ukraine va être sous-peuplée pendant longtemps et les Russes, qui manquent de main d’œuvre, vont essayer d’inciter le plus grand nombre possible de leurs malheureux cousins  à venir s’installer en Russie.  Contrairement à ce que pensaient, pensent encore, les Occidentaux, l’Ukraine n’est pas une nation. Dans l’espace de l’ancienne république soviétique d’Ukraine vivent des populations différentes qui ont des cultures proches mais des histoires différentes ; une partie substantielle des russophones d’Ukraine se sentent Russes et les sévices qui leur sont infligés par les régiments bandéristes (Azov et toutes les unités de ce type) ne changeront rien à l’affaire, bien au contraire. Il ne suffit pas de créer des frontières arbitraires pour que les populations vivant à l’intérieur de ces frontières constituent immédiatement une nation ; le processus de cristallisation d’une nation est toujours très long. Notons à ce sujet que ceux qui rêvent d’une nation européenne se leurrent ; il n’y a jamais eu de nation européenne et il faudrait des siècles pour qu’elle prenne forme.

Emmanuel Todd brise le « narratif » occidental concernant la prétendue démocratie ukrainienne : ‘’Avec entre douze et dix-neuf partis politiques interdits (je ne trouve nulle part un nombre stable), ce n’est pas une démocratie libérale’’ (« La défaite de l’Occident » ; page 113). De plus, la vénération qui est portée, par l’État ukrainien, aux grandes figures du « bandérisme » à commencer par Bandera lui-même, qui fut un collaborateur du régime nazi, est incompatible avec les principes affichés par les États occidentaux mais ces derniers préfèrent regarder ailleurs quand des foules portant des symboles nazis organisent des marches aux flambeaux dans les rues de Kiev.

Deux indicateurs du délabrement des États-Unis

Les deux tableaux ci-dessous ont été diffusés au cours d’une interview de l’auteur par Olivier Berruyer (site ELUCID).

En matière d’espérance de vie à la naissance, les États-Unis et, dans une moindre mesure, le Royaume Uni décrochent par rapport aux autres pays. Notons que le processus a commencé avec la révolution néolibérale de Thatcher et Reagan.

Pour ce qui est de la mortalité infantile, les États-Unis font moins bien que les autres pays développés et sont rattrapés par la Chine. La Russie fait désormais mieux qu’eux dans ce domaine.

Notons que les États-Unis, ont le plus haut niveau de dépenses de santé au monde, et de loin, mais ils font beaucoup moins bien que les autres pays développés dans ce  domaine, où, comme dans de nombreux autres (endettement, taux de pauvreté, taux d’homicides, utilisation de drogues…..), ils ne sont pas un modèle.

Rappelons qu’Emmanuel Todd avait compris, en 1976, en analysant ces deux indicateurs, que l’Union Soviétique allait s’effondrer, ce qui lui fait dire que le système politique et économique des États-Unis est, en 2024, dans un état avancé de pourriture  (https://www.youtube.com/watch?v=RTxmDulD3MY ; à partir de 11 minutes). On peut penser en effet que, comme l’Union soviétique en 1976, les USA vont très mal.

Au cours d’une interview, en janvier 2024, (https://www.youtube.com/watch?v=-zqpquLwRjY; à partir de 15 minutes) Emmanuel Todd a déclaré que les États-Unis ont cessé d’être une nation parce qu’il n’y a plus, outre-Atlantique, une culture centrale dominante et majoritaire, contrairement à ce qu’il en est en Russie, bien qu’il y ait dans ce dernier pays de nombreuses minorités ethnoculturelles. Ainsi, il n’y a plus de WASPs, dans le gouvernement Biden ! E. Todd pense que les USA ne sont plus une nation mais un agrégat d’individus et de groupes atomisés et nihilistes, de citoyens apathiques dirigés par des élites irresponsables (« La défaite de l’Occident » ; pages 169 et 337) ; selon lui, le Royaume-Uni, qui serait « en perdition », est sur la même trajectoire. Le devenir des sociétés libérales, c’est-à-dire des sociétés dans lesquelles les politiques sont sous-tendues par l’idéologie individualiste, ne peut être que celui-là parce que le libéralisme récuse, à la différence du républicanisme ancien, le patriotisme et le civisme sans lesquels nos nations ne peuvent que s’effondrer.

Les États-Unis ne produisent plus d’ingénieurs

Ceux qui pensent que l’effondrement du système scolaire est une spécificité française se trompent ; les deux courbes ci-dessus montrent que les USA ont le même problème. L’Occident jouisseur et nihiliste s’enfonce dans l’ignorance.

’Les ingénieurs, c’est la production des choses’’ (E.Todd), ce qu’ont oublié les Occidentaux ; dans les pays occidentaux, le nombre des ingénieurs diminue tandis que le nombre des étudiants des écoles de commerce explose. Bien que la Russie compte beaucoup moins de citoyens que les États-Unis, elle forme davantage d’ingénieurs, ce qui explique sans doute la réactivité au plan technique dont elle fait preuve depuis le début de la guerre russo-ukrainienne. L’Occident produit de moins en moins de choses physiques et pense, à tort, que les activités financières et spéculatives, sont essentielles. La guerre russo-ukrainienne montre que la seule réalité est physique ; les activités spéculatives ne sont d’aucune utilité pour gagner la guerre économique ou la vraie guerre. À ce sujet, le colonel Jacques Baud a souligné que les Occidentaux accordent une importance beaucoup trop grande au « soft power », à la propagande ; ils se gargarisent de mots au point de finir par croire à leurs mensonges. Le général français Richoux a même suggéré, sur le plateau de LCI, de combattre la Russie en émettant des « fake news » en très grand nombre ! Faute d’obus, de missiles et soldats, on va les battre grâce à des mensonges ! L’Occident est de plus en plus coupé de la réalité ; il devient l’empire du mensonge.

Selon le colonel Hervé Carrese, les statistiques du Pentagone indiquent que 77% des jeunes États-uniens sont inaptes au service militaire pour cause d’obésité, de diabète, de troubles psychiatriques, de consommation de drogues…..De plus, la motivation patriotique de ces derniers est très faible, comme c’est le cas en Allemagne par exemple où le gouvernement envisage d’avoir recours à des étrangers pour défendre le pays bien que l’on sache, depuis Machiavel, que les armées composées de mercenaires ne sont absolument pas fiables.

Les États-Unis ne sont plus ni une nation ni une démocratie

Selon Emmanuel Todd, les États-Unis ne sont plus une nation mais un agrégat d’individus et de groupes atomisés ; il pense aussi qu’ils ne sont plus une démocratie libérale. Il n’est pas le seul à penser cela ; les professeurs et chercheurs en science politique étatsuniens Martin Gilens et Benjamin Page soutiennent qu’au cours des dernières décennies, le système politique américain s’est lentement transformé en une oligarchie, où les élites riches exercent le plus de pouvoir. Brendan James a écrit, en 2014 sur TPM, à ce sujet : ‘’ En utilisant des données tirées de plus de 1 800 initiatives politiques différentes entre 1981 et 2002, les deux auteurs concluent que des individus riches et bien connectés sur la scène politique dirigent désormais le pays, indépendamment ou même contre la volonté de la majorité des électeurs……À titre d’illustration, Gilens et Page comparent les préférences politiques des Américains du 50e centile de revenu aux préférences des Américains du 90e centile ainsi qu’aux principaux groupes de pression ou d’affaires. Ils constatent que le gouvernement – ​​qu’il soit républicain ou démocrate – suit plus souvent les préférences de ce dernier groupe que celles du premier’’ et, pour Emmanuel Todd, ‘’Dans le cas de l’Occident, le dysfonctionnement de la représentation majoritaire interdit que l’on conserve le terme « démocratie ». Rien ne s’oppose, en revanche, à ce qu’on garde le terme « libéral » puisque la protection des minorités est devenue l’obsession de l’Occident. On pense le plus souvent aux opprimés, Noirs ou homosexuels, mais la minorité la mieux protégée en Occident est assurément celle des riches, qu’ils représentent 1% de la population, 0,1% ou 0,01%. En Russie, ni les homosexuels ni les oligarques ne sont protégés. Nos démocraties libérales deviennent donc des « oligarchies libérales »’’ (« La défaite de l’Occident » ; page 151).

L’individualisme libéral qui règne sans partage au sein des élites dirigeantes étatsuniennes a sapé la nation jusqu’à sa dislocation totale et a généré une « oligarchie libérale » qui succède à feue la démocratie libérale. Emmanuel Todd associe l’évolution des pays anglo-saxons à l’influence de la structure familiale du type nucléaire inégalitaire qui était celui de l’Angleterre rurale mais il est très probable que cette structure familiale est à l’origine de l’individualisme tout aussi inégalitaire qui caractérise la philosophie libérale laquelle est née précisément en Angleterre (John Locke).

L’économie étatsunienne est malade

Le PIB étatsunien par tête est impressionnant mais il est composé ‘’dans son écrasante majorité, de services aux personnes dont on ne discerne pas toujours l’efficacité ou même l’utilité : médecins (parfois tueurs, on l’a vu, dans l’affaire des opioïdes) et avocats surpayés, financiers prédateurs, gardiens de prisons, agents des services de renseignements’’ (« La défaite de l’Occident » ; page 273), cette liste n’étant pas exhaustive, très loin s’en faut. Notons que les dépenses de santé représentent 18,8% du PIB étatsunien, un record mondial contrairement à ce que racontent les libéraux, et ce, pour aboutir à une baisse importante de l’espérance de vie ! L’auteur,  qui prend en compte l’espérance de vie plus faible que celle des Européens et la mortalité infantile beaucoup plus élevée aux États-Unis qu’elle ne l’est en Europe, arrive  à la conclusion que le PIB étatsunien réel par tête est bien inférieur à celui qui est affiché et serait proche de ceux de l’Allemagne et de la France. Par ailleurs, il y a dans ce pays 1,77 million de prisonniers, plus qu’en Chine qui en compte 1,69 million pour une population plus de quatre fois plus nombreuse ! Ce chiffre en dit long sur  le niveau de désintégration de la société étatsunienne.

L’économie des États-Unis est très largement déficitaire, ‘’L’Amérique vit sous perfusion d’importations qui ne sont pas couvertes par des exportations mais par l’émission de dollars. Elle finance son déficit commercial en émettant des bons du Trésor mais ne peut s’y autoriser que parce que le dollar est la monnaie de réserve du monde ; il sert aux transactions internationales et aussi, beaucoup (comme nous l’avons au chapitre 5), aux gens les plus riches à thésauriser leur argent dans les paradis fiscaux’’ (« La défaite de l’Occident » ; page 275). Leur déficit commercial n’en finit pas de croître ; il a cru de 60% entre 2000 et 2022 et cette tendance persiste en dépit des mesures protectionnistes amorcées par Obama et renforcées par Trump.

La guerre russo-ukrainienne a révélé l’importance de la désindustrialisation des États-Unis qui sont incapables de faire face à la Russie en matière d’armements : ‘’Les difficultés de l’économie américaine remplissent le reste du spectre : la fabrication des objets, c’est-à-dire l’industrie au sens traditionnel du mot. C’est une déficience de l’industrie  que la guerre a mise en évidence, par une très banale incapacité à produire suffisamment d’obus de 155, la norme de l’OTAN. On comprend peu à peu cependant que rien ne peut plus être produit en quantité suffisante, missiles de tous types compris’’ (« La défaite de l’Occident » ; page 271). Le nombre des salariés des industries d’armement a été divisé par trois depuis 1980, passant de 3,2 millions à 1,1 million selon « Foreign Affairs » ; il y a eu, sans aucun doute, des gains de productivité dans ce domaine comme dans la plupart des autres  activités industrielles mais pas dans ces proportions, loin s’en faut. Cette réduction des effectifs est un bon indicateur du déclin de l’industrie étatsunienne, déclin matériel mais aussi humain. Quant à la production agricole étatsunienne, qui était fortement excédentaire, elle est, aujourd’hui,  presque en déficit. Enfin, notons que la part des États-Unis dans la production industrielle mondiale est passée de 44,8% en 1928 à 16,8 en 2019 et elle continue de diminuer tandis que celle de la Chine a atteint 28,7% de la production industrielle mondiale en 2020.

Les élites européennes sont soumises à l’empire étatsunien

Pour Emmanuel Todd, il est évident que l’UE n’est qu’un vassal des États-Unis : ‘’Si nous fouillons l’inconscient de l’OTAN, nous observons que sa mécanique militaire, idéologique et psychologique n’existe plus pour protéger l’Europe occidentale, mais pour la contrôler’’ (« La défaite de l’Occident » » ; page 192) mais cela, nous le savons depuis la parution du livre de Zbigniew Brzezinski ; sa remarque concernant la soumission des élites européennes, qui serait plus profonde encore que celle des élites sud-américaines,  frappe davantage : ‘’Une géographie inédite de l’Occident se dégage, telle qu’on la voit de Washington. Le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont des annexes (les Five Eyes). L’Europe occidentale est une deuxième Amérique latine, où la domination américaine, quoiqu’en reflux, est beaucoup plus ancienne. Mon ami Philippe Chapelin, grand connaisseur de l’Amérique latine, m’a alerté sur l’évolution des élites européennes vers une soumission de type latino-américain, avec cette différence que l’intelligentsia de gauche est restée indépendante des États-Unis en Amérique latine, ce qui n’est pas le cas en Europe’’ (« La défaite de l’Occident » ; page 188).

Nation active et nation inerte

‘’Une nation, c’est un peuple conscientisé par une croyance collective et une élite qui le dirige en fonction de celle-ci. Il ne faut pas croire cependant que lorsque la croyance collective en la nation disparaît, le peuple disparaît avec elle. Seule sa capacité d’action s’évanouit. Le peuple subsiste. Même si la France n’a plus d’élites dignes de ce nom, plus de croyance en elle-même, même si elle a ratifié le traité de Maastricht, aboli sa souveraineté, supprimé son idéal collectif, le peuple français continue d’exister en dépit de lui-même…….L’impuissance de la nation en tant qu’agent historique efficace nous permettait de postuler, dans le cas de la France, géopolitiquement, une nation disparue’’ (« La défaite de l’Occident » ; page 175). Emmanuel Todd introduit les notions de « nation active » et de « nation inerte » qui permettent de comprendre que des nations dont les élites souhaitent la disparition continuent d’exister à l’état « végétatif », pendant un certain temps, dans les profondeurs du peuple comme si elles étaient mues par une force d’inertie. Lors d’une interview accordée à Olivier Berruyer, Emmanuel Todd a dit : ‘’La matrice religieuse est morte, le retour au religieux est exclu, le seul instrument disponible pour reconstruire du collectif, c’est la nation’’ (E. Todd, https://www.youtube.com/watch?v=7YF-QoBNmZs ; à 44’) et il a ajouté que, si la nation n’a plus aucun sens pour nos élites, il est encore possible d’envisager la restauration d’une communauté nationale française avant que ce qui reste de notre nation disparaisse dans ce trou noir qu’est désormais la civilisation occidentale. Il est beaucoup moins optimiste pour la nation étatsunienne dont il pense qu’elle est morte et pour la nation britannique qui serait sur la même trajectoire que sa grande sœur d’outre-Atlantique.

E.Todd reproche aux « souverainistes » d’être hostiles aux immigrés y compris ceux qui sont plus ou moins bien assimilés mais on peut lui opposer ce que disent la plupart des anthropologues et éthologues contemporains, à savoir qu’une communauté humaine n’existe que face à d’autres communautés. La solidarité qui prévaut au sein des communautés et la méfiance ou l’hostilité envers les autres communautés sont les deux faces d’une même réalité. L’une ne va pas sans l’autre. D’ailleurs, E. Todd cite Adam Ferguson qui avait parfaitement compris cela : ‘’Comme l’a montré Adam Ferguson, homme des Lumières écossaises, dans son Essay on the History of Civil Society, les groupes humains n’existent pas en eux-mêmes, mais toujours par rapport à d’autres groupes humains équivalents…… L’une des thèses clés de Ferguson est que la moralité interne d’une société a un rapport avec son immoralité externe. C’est l’hostilité à un autre groupe qui fait qu’on est solidaire du sien. « Sans la rivalité des nations et la pratique de la guerre, écrit-il, la société civile elle-même aurait difficilement pu trouver un objet ou une forme ». Et de préciser qu’il est vain d’espérer donner à la multitude d’un peuple un sentiment d’union en son sein sans admettre l’hostilité envers ceux qui s’opposent à lui’’ (« La défaite de l’Occident » ; pages 33 et 34). Le sociologue Bernard Lahire ne dit pas autre chose : ‘’Dans l’histoire des sociétés humaines, l’un des grands invariants réside dans l’opposition entre un « nous », chargé de toutes les valeurs positives imaginables, et un « eux » associé à tout ce qui est perçu comme négatif’’ (« Les structures fondamentales des sociétés humaines » ; page 842).

 Les populations occidentales sont confrontées à des populations immigrées qui ont des cultures et des mœurs très différentes des leurs et qui sont perçues désormais comme envahissantes. Ces populations immigrées sont en fait le catalyseur de la renaissance d’un sentiment national qui s’est érodé depuis 50 ans du fait du dénigrement systématique de la nation par les politiciens, les enseignants et les journalistes mondialistes.

Pour dissoudre la nation nos élites libérales et socialistes ont laissé entrer de très nombreuses populations étrangères mais la présence de ces populations génère un réflexe de rejet et donne un nouveau souffle au sentiment national en voie d’effacement, ce que nos élites si intelligentes n’avaient pas imaginé. En fait, la présence d’immigrés est le catalyseur du sursaut patriotique qui s’étend progressivement à l’ensemble de notre peuple (65% des Français sont favorables au droit du sang selon CSA le 11 février 2024) ou presque ; une petite minorité résiste encore !

’Le projet européen est mort’’ (« La défaite de l’Occident » ; page 167)

‘’L’idée fondamentalement fausse des maastrichtiens (et aussi des anti-maastrichtiens d’ailleurs) aura été de croire que l’Europe allait entraîner  un dépassement de la nation par la création d’une entité d’un ordre supérieur, certes pluri-post-national, mais qui aurait de la substance. Ni les uns ni les autres n’ont compris à temps que le moteur sociologique profond du projet était la dissolution spontanée des nations, dans ce vide qu’ont décrit Peter Mair et d’autres auteurs, et que l’Europe de l’euro ne pouvait être qu’une version élevée au carré de ce que devenaient les nations elles-mêmes : des agrégats atomisés, peuplés de citoyens apathiques et d’élites irresponsables. Un immense agrégat atomisé’’ (« La défaite de l’Occident » ; page 169). Les politiques libérales, comme celles qui ont été menées par les socialistes ont érodé les nations et renforcé les tendances individualistes au point d’affaiblir gravement les liens sociaux, le patriotisme et le civisme.  Notons que les gens de gauche ont d’abord été des partisans de l’individualisme jusqu’en 1848 (cf. Jacques Julliard) mais que de 1848 à 1968, ils ont été « holistes » (cf. Louis Dumont) c’est-à-dire qu’ils privilégient alors les valeurs collectives. En 1968, les idées libertaires surgissent massivement dans le paysage politique français ; elles deviendront hégémoniques à gauche à la fin du siècle ; les gauches redeviennent individualistes et rejoignent alors progressivement les libéraux qui, pour des raisons de circonstances s’étaient alliés avec les droites (par anticommunisme). Notons qu’entre 1848 et 1968, le « holisme » socialiste était universaliste et hostile aux nations (« les prolétaires n’ont pas de pays »).

Nous avons tous remarqué que notre gouvernement devient de plus en plus autoritaire, brutal (répression féroce des Gilets jaunes) et antidémocratique ; cette tendance se généralise dans toute l’Europe y compris bien sûr  au niveau de la Commission européenne. Emmanuel Todd pense que le politologue irlandais Peter Mair a bien senti ce qui se passe ; ce dernier a écrit dans un livre intitulé « Diriger le vide ; l’évidement de la démocratie européenne » que ce processus autoritaire est une conséquence de la décomposition des sociétés occidentales ; dans une situation d’atomisation, de vide, l’État monte en puissance. L’échec de plus en plus manifeste du libéralisme, qui a été souligné par le philosophe étatsunien Patrick Deneen (« Pourquoi le libéralisme a échoué »;     https://www.inforepublica.fr/2021/11/14/pourquoi-le-liberalisme-a-echoue/ ), s’accompagne de la transformation des « démocraties libérales » en oligarchies. L’oligarchie européiste, qui est aux ordres d’une oligarchie ploutocratique mondialisée, est confrontée à la résistance imprévue du « reste du monde ». Face à cette résistance, en l’occurrence celle de la Russie qui est train de vaincre l’OTAN dans les steppes ukrainiennes, l’oligarchie européiste devient folle. Les libéraux et les socialistes semblent vouloir s’engager toujours plus dans un conflit qui comme l’a expliqué le général allemand Harald Kujat, en février 2024, peut aboutir à une guerre nucléaire. L’oligarchie européiste et atlantiste est hyper-idéologisée et fanatique ; la seule chose qui compte pour elle, c’est son idéologie qu’elle est prête à défendre en sacrifiant les libertés fondamentales, l’économie européenne et même la vie des Européens. Comme tous les  fanatiques, ceux de la Révolution française, les Bolcheviques, les nazis…….elle est extrêmement dangereuse. N’oublions pas que ce sont les Girondins, des bourgeois libéraux, qui déclarèrent la guerre à l’Europe entière en 1792 et que la France en est sortie vaincue, ruinée et occupée en 1815.

BG
Author: BG

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