Dans son dernier ouvrage, l’archéologue et historien Jean-Louis Brunaux explique que les druides, qui étaient des intellectuels présents dans toutes les cités gauloises, sont à l’origine d’une religion qu’ils ont réussi à imposer partout en Gaule à partir du IVe siècle avant notre ère. Ils eurent aussi un projet complémentaire: celui de rassembler politiquement les peuples gaulois. Ils seraient donc en quelque sorte à l’origine de la France.
Jean-Louis Brunaux est un archéologue et un historien qui a travaillé au CNRS ; il est, depuis la disparition de Christian Goudineau, le spécialiste le plus en vue de l’histoire de la Gaule et des Gaulois. Il a dirigé notamment les fouilles archéologiques du site de Gournay-sur-Aronde qui ont été à l’origine d’un renouvellement complet de nos connaissances concernant la religion gauloise des derniers siècles avant notre ère. Enfin, il a publié de nombreux ouvrages dans lesquels il a décrit de nombreux aspects de la civilisation gauloise (« Les Gaulois » ; « Alésia » ; « Vercingétorix » ; « Les Celtes, histoire d’un mythe » ; « Les Gaulois : sanctuaires et rites »…..). Il a publié récemment un livre intitulé « La cité des druides – Bâtisseurs de l’ancienne Gaule » (éd. Gallimard) dans lequel il revient sur une idée qui a eu un grand succès sous le IIe Empire et sous la Troisième République, à savoir l’idée d’une continuité entre la Gaule et la France (« Nos ancêtres les Gaulois ») qui a été très vivement contestée et moquée à partir des années 1960, au point qu’il devint habituel de nier une quelconque relation entre les Français de souche et les Gaulois.
Nous avons consacré un précédent article ( https://www.inforepublica.fr/2020/08/04/les-origines-lointaines-du-peuple-francais/ ) à l’étude « Ancestra » qui a été réalisée par l’INRAP, il y a cinq ans. Cette étude avait pour objectif explicite de montrer que les Français contemporains de souche, ne descendent pas ou peu des Gaulois mais ce n’est pas le constat que firent les paléo-généticiens ; en fait, depuis l’âge du bronze, la population française de souche n’a pratiquement pas changé du point de vue génétique au point que les généticiens n’ont même pas trouvé des traces significatives des incursions romaine et franque ce qui implique que les apports liés à ces incursions ont été très faibles comparativement à la population de la Gaule, qui était importante, il est vrai. Contrairement à la doxa dominante, il semble bien qu’il y ait une continuité biologique entre Gaulois et Français de souche.
Jean-Louis Brunaux est un pourfendeur d’idées reçues qui a expliqué dans certains de ces ouvrages précédents qu’il n’y a pas eu de migration « celtique » en provenance d’Europe centrale au cours de l’âge du fer ; selon lui, les Gaulois étaient autochtones en Gaule, ce qui a été confirmé par l’étude génétique « Ancestra ». Ainsi, il écrit dans son dernier ouvrage : ‘’Contrairement aux théories largement diffusées aux XIXe et XXe siècles, les populations d’Europe occidentale ne se sont pas déplacées en multitudes à la fin de la préhistoire et aux âges des métaux ; les Celtes ne sont pas originaires d’Europe centrale et n’ont pas migré vers l’Océan, comme l’affirment encore certains archéologues et historiens’’ (« La cité des druides » ; page 39). En fait, leurs migrations ont eu lieu d’ouest en est, de Gaule vers le nord de l’Italie, l’Europe centrale, la Grèce et l’Anatolie où ils étaient connus sous le nom de « Galates » lequel renvoie au grec « Keltoï ». Notons que les archéologues britanniques disent depuis des décennies qu’il n’y a pas eu d’invasion « celtique » à l’âge du fer, tout simplement parce que rien ne permet de penser qu’il y eut une invasion quelconque à cette époque.
Les Grecs installés dès le VIe siècle avant notre ère sur les rivages méditerranéens de la Gaule, notamment à Marseille, appelaient « Keltoï » leurs voisins gaulois. Cette appellation servit d’abord à désigner les Gaulois du sud et de l’intérieur de la Gaule avant de devenir, beaucoup plus tard, le nom générique des populations parlant des langues de la famille linguistique dite celtique ou appartenant aux peuples dits de civilisation celtique qui auraient peuplé une bonne part de l’Europe de l’ouest et du centre. Ce que nous apprend Jean-Louis Brunaux est donc très différent de ce qui nous est servi par les médias depuis un demi-siècle.
Au cours des IVe et IIIe siècles avant notre ère, les druides auraient progressivement supplanté les bardes et les « ouateis » (vates en latin) qui leur préexistaient et qui étaient liés à des cultes et à des croyances beaucoup plus anciennes. Ils fréquentaient les Grecs du sud de la Gaule et ils auraient été fortement influencés par la doctrine philosophique des Pythagoriciens à partir de laquelle ils auraient concocté une nouvelle religion qu’ils finirent à imposer dans toute la « Gallia » grâce au réseau druidique qui était présent dans chacun des 80 peuples gaulois. ‘’La nouvelle religion imposée par les druides au plus grand nombre des peuples est à l’origine de la « nation » gauloise. Le culte public cimente entre eux les hommes, tous égaux par leur participation au sacrifice – offrandes d’animaux, de céréales, de pièces prises à l’ennemi au cours des batailles. La nouvelle religion donne aux citoyens accès aux divinités d’une manière réglementée : rien ne se fait sans les druides qui gouvernent autant les riches propriétaires que les guerriers et les paysans » (« La cité des druides » ; page 174). Jean-Louis Brunaux se réfère beaucoup au Grec Poseidonios d’Apamée qui s’est intéressé aux Gaulois auxquels il accordait le titre flatteur de « philhellènes » : ‘’Poseidonios ne nous montre pas des druides coupés du monde, retirés en de profondes forêts et réunis en différentes chapelles où seraient gardés jalousement les secrets de leur savoir. C’est tout le contraire : sous sa plume, les druides apparaissent comme des philosophes, des sages unanimement reconnus par toute la population, les meilleurs des juges, des savants pratiquant toutes les formes de science et veillant à en extraire les applications les plus diverses pour améliorer la vie de leurs congénères, des théologiens régissant toute la vie religieuse, enfin des pédagogues, les seuls à pratiquer cette activité en Gaule. En revanche, il ne nous dit rien de leurs prétendues activités divinatoires, encore moins des formes de magie qu’on leur attribua jusqu’à nos jours bien trop facilement’’ (ibid. page 28).
Ces intellectuels qui interdisaient toute transmission écrite (ils utilisaient l’écriture grecque pour les choses sans grande importance) et toute représentation réaliste de la nature et des humains, se réunissaient chaque année, tout du moins un certain nombre d’entre eux, dans la célèbre forêt des Carnutes que connaissent bien les lecteurs des aventures d’Astérix : ‘’À une époque fixe de l’année, les druides s’assemblent sur le territoire des Carnutes, qui est considéré comme le centre de la Gaule, dans un lieu consacré’’ (Jules César ; «De Bello Gallico » ; VI, 13, 10). Cet endroit situé entre Orléans et Chartres, dans le territoire des Carnutes qui étaient un des 80 peuples de la « Gallia » et qui étaient voisins des Turons (Tours), des Cénomans (Le Mans), des Éburovices (Évreux), des Parisii (Paris), des Senons (Sens), des Éduens (Bibracte) et des Bituriges (Bourges), était au centre géométrique de la Gaule, distant de 450 kilomètres environ des confins les plus éloignés de cette dernière. Les Gaulois disaient « Gallia » pour désigner la Gaule dans son ensemble mais ce nom n’avait rien à voir avec le « gallus », le coq des Romains ; l’animal fétiche préféré de nos ancêtres n’était pas le coq, encore qu’on en trouve de très belles représentations stylisées d’origine gauloise, mais le sanglier. Les « coqs gaulois » qui figurent souvent en bonne place sur nos monuments aux morts sont donc un peu déplacés ; des sangliers auraient été plus appropriés.
Du point de vue géographique et démographique, ‘’[Et] Gallia est, de fait, l’ensemble de trois grands groupes tel qu’il fut formé aux environs du IVe siècle : Belges au nord, Celtes au centre, Aquitains au sud-ouest’’ (Jean-Louis Brunaux ; « La cité des druides » ; page 167). Notons que César a utilisé deux fois le mot « natio » (qui signifie « ethnie » en latin) pour désigner le dit ensemble dans son « De Bello Gallico ».
Au IIe siècle avant notre ère et sans doute dès le IVe siècle, voire même bien avant, il y avait des druides dans toutes les cités gauloises et ils bénéficiaient d’une immense aura, ce qui leur permit de diffuser leur « vue-du-monde » dans toute la Gallia et ‘’À la fin du IIIe siècle avant notre ère, les druides voient s’achever leur projet de généraliser à toute la Gaule leur conception de la religion. Dès lors, ils imposent à travers la Gaule l’institution d’entité « nationale » dans laquelle peuvent se reconnaître, de près ou de loin, les divers peuples qui l’habitent. C’était bien leur dessein depuis toujours : faire de la Gaule une seule cité. Et, au cœur du dispositif, instituer une assemblée « nationale ». Dans les réunions annuelles de cette assemblée, des hommes puissants issus de toute la Gaule viennent solliciter des conseils, dans le domaine religieux, de la justice et, de plus en plus, de la politique’’ (ibid. page 197). La nouvelle religion élaborée par les druides dès le IVe siècle avant notre ère était une religion « publique », semblable à celle des Romains, qui reléguait les divinités datant des temps préhistoriques et qui les remplaçait par des figures civiques ressemblant beaucoup à leurs homologues grecs et romains : Mercure, Apollon, Mars, Jupiter, Minerve et Dis Pater ; ‘’Ces nouveaux dieux gaulois étaient cependant plus « actifs » que les héros innombrables des légendes répandues en Grèce et en Italie. Ils s’occupaient des humains, sur terre et dans l’univers tout entier, veillaient sur eux, écoutaient leurs demandes, mais demeuraient silencieux et n’apportaient aucune réponse directe’’ (ibid. page 139). L’apparition de cette nouvelle religion a été révélée par la découverte de plusieurs grands sanctuaires à partir de 1977. Ces sanctuaires étaient comparables aux « temenos » des Grecs et aucun d’entre eux n’est antérieur à la fin du IVe siècle ; ils sont apparus soudainement en Gaule et ils n’ont été précédés par aucune prémisse. ‘’Les sanctuaires du type de Gournay – enceintes quadrangulaires dans lesquelles les dieux sont honorés par des offrandes d’armes et des sacrifices de mammifères – se répandent tout au cours du IIIe siècle. Leur nombre et leur répartition parmi les peuples dont César, deux siècles plus tard, livrera les noms prouvent qu’ils jouent un rôle majeur dans l’édification des cités. Les druides se trouvent évidemment à la manœuvre’’ (ibid. page 145). À la différence des anciennes divinités qui occupaient des lieux retirés, à l’écart des humains – forêts, cours d’eau, montagnes, gouffres, rochers….- les nouveaux dieux siégeaient dans ces sanctuaires, au milieu des hommes.
Les Gaulois, dont l’activité politique était intense, étaient souvent fascinés par la civilisation romaine et en particulier par les institutions politiques de la république romaine, au point que certaines cités gauloises, celle des Éduens notamment, les avaient adoptées, mais, de façon plus générale ‘’Dans la plupart de ces cités gauloises, le pouvoir se trouvait aux mains d’hommes élus et contrôlés par un conseil des nobles et une assemblée du peuple’’ (ibid. page 11), une organisation politique assez proche de celle de la république romaine. C’est d’ailleurs ce qu’avait remarqué François Hotman qui fut l’auteur d’un ouvrage remarquable de philosophie politique intitulé « Franco-Gallia », publié en 1573, dans lequel il a écrit ’’Je tiens pour chose toute asseurée que c’est là le seul et vray remede à tous nos maux, que de réformer nostre manière de vivre au moule des vertus de ces grans personnages-là [les Gaulois], et de réduire nostre Estat corrompu, comme une Musique désaccordée, à ce bel accord qui fut du temps de nos Peres’’. François Hotman connaissait très bien la Gaule et les Gaulois parce qu’il avait étudié attentivement les œuvres de Polybe, César, Diodore et Strabon.
La France aurait donc été « préformée » par les druides dont l’action visant à fédérer les 80 peuples gaulois dans un même ensemble politique aurait été interrompue par le projet de colonisation du très ambitieux Jules César. Les hussards noirs de la République n’étaient donc pas dans l’erreur. Notons qu’au moment de la Révolution française, les révolutionnaires identifiaient le Tiers État aux Gaulois et, reprenant à leur compte la théorie soutenue par Henri de Boulainvilliers, ils considéraient que les nobles étaient des Francs qu’il fallait renvoyer dans les « forêts de Franconie » ! Les origines de la France se situeraient donc bien en amont du royaume de France.
Le passé gaulois a laissé sa marque à un niveau inférieur, dans nos institutions administratives et politiques locales ; en effet, les 80 cités gauloises sont peu ou prou les 80 départements créés par nos révolutionnaires qui, après avoir longuement hésité sur le maillage politico-administratif de notre pays (certains avaient proposé un damier !), ont finalement repris la trame des évêchés qui était en gros celle des cités gallo-romaines qui, elles-mêmes, avaient succédé aux cités gauloises. Il y a donc une certaine continuité depuis ces dernières jusqu’à nos actuels départements qui ont donc de ce fait une réelle légitimité historique. Il y eut bien sûr des modifications mais nos départements ne sont pas les constructions totalement arbitraires que certains dénoncent. Ainsi, les cinq départements bretons ont pour lointaine origine les cinq cités de la péninsule : Osismes (Finistère), Coriosolites (Corseul-22), Vénètes (Vannes), Namnètes (Nantes) et Redones (Rennes). De petits évêchés (Dol, Saint Pol de Léon,Tréguier) qui avaient été créés au Moyen Âge, ont été supprimés après 1789.
Dans les registres paroissiaux d’une paroisse du nord du diocèse de Nantes, figurent des mentions de ce type : ’’Ce jour, a été enterré XX, un pauvre mendiant étranger originaire du diocèse de Rennes’’ ; ces mentions datent des années 1750-1770 et le diocèse de Rennes était distant d’environ 20 kilomètres ! Il y avait donc alors un sentiment d’appartenance à des communautés relativement « étrangères » les unes aux autres qui étaient les descendantes des anciennes cités gauloises.
William d’Ozouville, qui était un historien local comme il y en eut beaucoup au XIXe siècle, s’intéressait à l’histoire de la Mayenne où il s’était fixé et marié. Son beau-père, Jean-François de Hercé, qui était devenu prêtre puis évêque de Nantes après avoir été marié et maire de Laval, lui confia la mission d’établir un argumentaire qui permettrait de soutenir une demande de restauration de l’évêché de Laval. Le département de la Mayenne correspond grosso modo à ce qui fut le territoire des Diablintes, dont le chef lieu, où existent des ruines gallo-romaines très intéressantes, s’appelle de nos jours Jublains, mais l’ancien évêché des Diablintes avait été supprimé en 1801 et rattaché à celui du Mans. C’est en remontant aux lointaines origines gallo-romaines de l’évêché des Diablintes que William d’Ozouville réussit à convaincre les pouvoirs publics qui décidèrent de restaurer cet évêché, en 1855, avec l’appui d’une très grande majorité des communes concernées. Les Diablintes avaient eu raison des pesanteurs administratives.